Retour prématuré sur la scène politique : Le pari risqué de Macky Sall
Déchu
à l’issue de la présidentielle du 24 mars dernier, Macky Sall n’aura
passé que huit mois loin des affaires. Il s’est engagé dans les
élections législatives du 17 novembre prochain, un défi politique risqué
pour le président de l’Alliance pour la République (APR).
Après
avoir quitté le pays dans la foulée de la passation du pouvoir à son
successeur, Bassirou Diomaye Faye, le 2 avril dernier, Macky Sall
nourrissait l’ambition de signer un « retour triomphal » en 2029 pour
participer à la prochaine présidentielle. Mais l’ex-président de la
République a été « obligé » d’anticiper son come-back sur la scène
politique, suite à la dissolution de l’Assemblée nationale, où il était
majoritaire, et la tenue des élections législatives aux enjeux
multiples.
«
J’ai accepté de renforcer l’opposition pour éviter une majorité
toute-puissante qui pourrait être tentée de mener le pays sur une
mauvaise voie », a déclaré, à mi-octobre, la tête de liste nationale de
la coalition « Takku Wallu Senegaal », qui a suspendu ses missions
d’Envoyé spécial du Pacte de Paris pour les peuples et la planète (4P). «
Mes alliés, mes compagnons m’ont demandé de revenir pour diriger la
liste, soit pour gagner cette élection, soit pour faire partie de ceux
qui aideront le peuple à sortir de la situation difficile à laquelle il
fait face aujourd’hui. Cela fait sept mois que le nouveau régime est en
place, mais rien n’a changé. Nous avons peur que si rien n’est fait,
cela devienne très difficile pour les Sénégalais », a-t-il ajouté sur
RFI, quelques jours plus tard.
Une
fois élu, ce qui semble fort probable, Macky Sall utilisera-t-il cette
tribune pour, certes, reculer dans la hiérarchie, mais aussi mieux
sauter dans la course à la prochaine élection présidentielle ? Dans son
entourage, la réponse est négative, ce qui corrobore les propos de
l’ex-président de la République dans cet entretien avec RFI. « Vous
savez, mon retour au Sénégal n’est pas encore à l’ordre du jour. Une
fois décidé, je ferai moi-même une annonce officielle et l’information
circulera. En quittant le Sénégal, je n’ai fait que respecter la
tradition : quand un président est méprisé au pouvoir, il doit se
retirer pour laisser le soin à ses successeurs de bien gouverner »,
a-t-il précisé.
Sa
participation à ce scrutin législatif constitue donc un nouveau défi,
non sans risques, pour le leader de l’APR. En cas de revers au soir du
17 novembre, face aux autres listes, cela pourrait entacher son plan de
retour au pouvoir en 2029.
Mais
ce n’est pas inédit qu’un président de la République soit tête de liste
à des élections législatives. Toutefois, dans le cas du chef de l’Apr,
cela s’explique par le contexte politique actuel. « Le pouvoir actuel a
beaucoup critiqué la gestion de ces 12 années au pouvoir du Président
Macky Sall. Le président de la République, ainsi que le Premier
ministre, ont évoqué une gestion légère des deniers publics sous
l’ancien régime. Monsieur Ousmane Sonko a aussi pointé du doigt des
chiffres économiques falsifiés. Le président Macky Sall subit déjà de
nombreuses critiques de la part de ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui
», indique Babacar Ndiaye, analyste politique.
Il
ajoute que, dans son propre camp, les départs ont été nombreux. «
Amadou Ba, qui était candidat de la coalition Benno Bokk Yakaar, a
quitté l’Apr. Dernièrement, un autre départ notable a été celui de Me
Malick Sall, proche du président Sall, qui a décidé de soutenir la
candidature du Pastef. Macky Sall est donc aujourd’hui à la tête d’un
parti fragilisé, marqué par de nombreux départs », explique le directeur
de la recherche et des publications de Wathi, un think tank
ouest-africain. Selon lui, Macky Sall essaie de revenir avec son propre
capital politique. « Il a été président, il pense qu’il a encore des
militants, que les gens le connaissent, qu’il a souvent gagné des
élections et que son bilan et son nom pourraient changer la donne, lui
permettant d’obtenir de nombreux sièges », précise-t-il.
Poursuites judiciaires ?
Quoi
qu’il en soit, l’analyste est convaincu qu’il s’agit d’un pari risqué,
car, en général, un président ne revient pas si vite dans la course
politique. « Nous verrons au soir du 17 novembre si ce risque est
gagnant ou si, au contraire, il entraînera une diminution de son poids
électoral », conclut-il.
Du
côté de l’Apr, on est bien conscient de ce pari risqué qui pourrait
compromettre l’avenir politique de Macky Sall. « L’idéal aurait été de
revenir en 2029 pour signer son come-back triomphal et briguer à nouveau
le suffrage des Sénégalais. C’est ce que nous avions prévu. Mais le
contexte actuel l’oblige à agir ainsi », souffle un leader de l’Apr. «
Il faut que l’on se mobilise autour de lui pour faire face à ces défis. »
Dans
une lettre ouverte de cinq pages adressée, le 6 novembre dernier, à ses
« chers compatriotes du Sénégal et de la diaspora », Macky Sall a écrit
: « Huit mois après, et après deux dégradations successives de la note
souveraine de notre pays par deux agences d’évaluation, en raison
d’affirmations intempestives, calomnieuses et sans fondement, la
dernière, encore plus grotesque, portant sur un prétendu compte bancaire
de 1 000 milliards de F CFA, a été rapidement démentie par des
professionnels de la banque et n’a trompé personne. » Il poursuit en
critiquant la gouvernance des Patriotes africains du Sénégal pour le
travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), qui, selon lui, a déjà
contribué à « assombrir les perspectives de l’économie nationale, mettre
en péril des entreprises et des emplois, aggraver le chômage des jeunes
et tuer à petit feu le secteur privé, formel et informel. »
Dans
un contexte où l’idée d’une Haute cour de justice, en cas de majorité
confortable à l’Assemblée nationale, est vivement débattue au sein du
pouvoir, Macky Sall n’hésite pas à monter au créneau. Selon des ténors
du Pastef, parmi les personnalités visées par cette initiative, figurent
des anciens ministres, des directeurs généraux, ainsi que
l’ex-président de la République. « Le Président Macky Sall est-il
concerné par cette Haute cour de justice ? », se questionne Babacar
Ndiaye. « Le président Wade, une fois son mandat terminé, est parti sans
que l’on enquête sur sa gestion. Mais aujourd’hui, la Haute cour de
justice, dans le discours du Premier ministre Ousmane Sonko, semble être
un moyen de rassembler une majorité à l’Assemblée nationale pour
enquêter sur tous ceux qui ont géré les deniers du pays, ce qui est une
démarche normale pour un État », estime-t-il.
En
ce qui concerne le président Macky Sall, ce dernier a souligné que le
Sénégal n’a jamais été confronté à une situation où un ancien président
de la République serait poursuivi pour sa gestion et sa gouvernance.