Macky Sall, un ancien président en télécampagne
Quelques mois après avoir quitté le pouvoir sans gloire, l’ancien président sénégalais Macky Sall revient en politique pour faire campagne à distance en vue des législatives de dimanche, au risque de l’incompréhension et du désaveu.
M.
Sall, qui a quitté le Sénégal par la petite porte à destination du
Maroc en avril, aussitôt après la passation avec son successeur Bassirou
Diomaye Faye, a « accepté » de conduire son camp aux élections.
Depuis,
la question de ses motivations est posée, comme celle des conséquences
d’un éventuel retour au pays. Son ennemi juré, Ousmane Sonko, devenu
Premier ministre, brandit à l’envi le spectre du procès pour juger les
actes des anciens dirigeants.
M.
Sall « a senti qu’il lui fallait une certaine prise sur le jeu politique
pour protéger ses arrières » dans l’éventualité de « règlements de compte
politiques », décrypte Maurice Soudieck Dione, professeur de science
politique.
M.
Dione envisage aussi une « dimension personnelle de non-satiété par
rapport au pouvoir », en rappelant que M. Sall avait longtemps entretenu
le flou sur sa candidature à un troisième mandat. Il avait renoncé et
désigné son Premier ministre Amadou Ba pour défendre son héritage à la
présidentielle de mars.
M.
Sall a justifié sa décision dans une lettre de cinq pages par la
nécessité de défendre les « acquis » de douze années de présidence et les
« dangers » qu’encourraient l’économie et le démocratie au bout de moins
de huit mois de gouvernance « calamiteuse ».
Le
porte-parole de la présidence Ousseynou Ly a crié à « l’indécence » sur
les réseaux sociaux, reprochant à l’ancien chef de l’Etat les morts de
trois années de troubles, la dette et la corruption.
M.
Sall, respecté sur la scène internationale, est parti réprouvé chez
lui. Les dernières années de sa présidence ont été assombries par les
retombées d’un interminable bras de fer avec M. Sonko. Des dizaines de
personnes sont mortes, des centaines ont été arrêtées.
La
soif de changement d’une population éprouvée par les crises nationale
et internationales a fait triompher à la présidentielle le second de M.
Sonko, Bassirou Diomaye Faye, sorti de prison en même temps que lui dix
jours plus tôt.
En
prenant aussi vite la tête de la coalition Takku Wallu Sénégal, M. Sall
rompt avec la réserve traditionnellement observée, au moins
provisoirement, par ses prédécesseurs.
Mais,
tandis que M. Sonko écume le Sénégal en cortège et promet la
transformation de leur région à des foules échauffées, M. Sall s’adresse
via le haut-parleur d’un téléphone à des rassemblements moins
tapageurs.
– Pardonner ou non –Officiellement, M. Sall rentre quand il veut.
« S’il
revenait au pays, nous assurerions sa sécurité parce qu’il est un
citoyen et ancien président de la République », a assuré dans les médias
Amadou Moustapha Ndieck Sarré, porte-parole du gouvernement. « Mais s’il
revenait et que la justice décidait de son interpellation, ni le Premier
ministre ni le chef de l’Etat n’y pourraient rien ».
S’il
remettait les pieds au Sénégal, M. Sall ne serait pas sûr d’en
repartir. Le Premier ministre Sonko revendique de bloquer la sortie
d’anciens responsables.
M.
Sonko a parlé récemment de « haute trahison » devant l’état dans lequel
il dit avoir trouvé les comptes publics. La haute trahison est le seul
cas où un président peut être mis en accusation.
« Foutaise »,
s’exclame dans le camp de M. Sall Abdou Mbow, l’un des vice-présidents
de l’Assemblée sortante. M. Sonko « lui-même sait qu’il ne peut pas
arrêter le président ».
El
Hadji Mamadou Mbaye, enseignant chercheur à l’université de Saint-Louis
(nord), doute que le nouveau régime aille jusqu’à faire juger M. Sall,
parce qu' »au niveau légal ce sera très compliqué » et que M. Sall a « des
flèches à son arc », qu’il pourrait diriger contre MM. Faye et Sonko.
M.
Sall replonge en politique parce qu' »en réalité il n’a jamais voulu
quitter le pouvoir », analyse M. Mbaye. « Il se sent indispensable ». Mais,
ajoute M. Mbaye, il n’est pas « au centre du débat » et c’est son ancien
dauphin présomptif et désormais concurrent Amadou Ba « qui s’est
positionné comme chef de l’opposition ».
De
là à pousser M. Sall à rentrer au pays… M. Sall a été pris à partie
début octobre dans un avion Casablanca-Paris par une passagère
sénégalaise qui lui a demandé en faisant référence à l’agitation des
dernières années: « Pourquoi avez-vous tué nos enfants? », a rapporté la
presse.
« Je ne pense pas que les Sénégalais soient (encore) prêts à pardonner », dit M. Mbaye.
« S’il
était rentré, la campagne aurait été beaucoup plus mouvementée, à la
limite violente. Il a eu à mener une répression très dure contre
l’opposition. Les plaies ne sont pas cicatrisées », abonde M. Dione.