Accidents de la route : La part de responsabilité des transporteurs
L’édition 2024 du Magal de Touba s’est terminée avec son lot de victimes. Treize personnes ont perdu la vie, selon les chiffres de la Brigade nationale des sapeurs-pompiers. Treize vies perdues en l’espace de quelques jours, alors que le Gamou arrive, sans compter les accidents quasi quotidiens sur nos routes. Jusqu’ici, il a été coutume de pointer du doigt l’indiscipline des chauffeurs. Sur les 80 % des accidents attribués à des facteurs humains, la quasi-totalité est souvent mise sur le dos de ceux qui sont au volant, oubliant la responsabilité des transporteurs.
Entendons-nous
bien, il n’est pas question ici de disculper les chauffeurs et autres
apprentis cars rapides, ‘’Ndiaga Ndiaye’’ ou bus de transport. Leur
indiscipline fait l’unanimité et ils méritent d’être lourdement
réprimés. On attend d’ailleurs avec impatience la matérialisation des
sanctions annoncées par le ministre des Transports après le dernier
accident mortel avant le Magal.
Cependant,
il est temps que la part de responsabilité des transporteurs soit mise
en lumière. Ils sont les employeurs du personnel à bord ; par
conséquent, leur responsabilité ne saurait être occultée, d’autant plus
qu’ils se sont toujours opposés énergiquement à toutes les mesures
allant dans le sens de limiter le nombre d’accidents. L’âge pour avoir
le permis, l’interdiction des porte-bagages, le voyage nocturne… À
chaque fois, les transporteurs ont dit non !
Rien
que la modification d’un véhicule est la preuve parfaite de la
gourmandise meurtrière des transporteurs. Le dernier exemple, ce sont
les minibus de 14 places qui prennent désormais 19 places. On ne dira
surtout pas que c’est le fait des chauffeurs ou apprentis.
En
voilà un véhicule qui, matin, midi, soir roule avec un excédent de cinq
personnes sans compter les bagages. Et à chaque fois qu’il y a
accident, on parle des chauffeurs, des routes et un peu de l’état du
véhicule (la carcasse généralement), mettant de côté ce poids excessif.
En
vérité, les transporteurs n’ont que faire de la sécurité encore moins
du confort des passagers. Se déplacer à bord d’un véhicule privé de
transport en commun est déjà un châtiment avant l’heure, tant les
voyageurs sont entassés comme des sardines, incapables de bouger avec
des genoux coincés entre deux fauteuils. N’espérez surtout pas un temps
de repos pour se dégourdir !
Pourtant,
Dakar Dem Dikk est là pour rappeler qu’il n’existe aucune fatalité à ce
sujet. Cette société gérée par des Sénégalais de bout en bout a
pleinement participé au Magal avec quelques centaines de bus et 25 000
personnes transportées rien qu’à l’aller, sans faire de victime. Depuis
qu’elle a commencé à faire du transport interurbain, rares sont les
accidents dans lesquels ses bus sont impliqués. Il n’y a point de secret
: Dakar Dem Dikk respecte le nombre de places prévues pour les
véhicules qui sont en plus bien entretenus ; il a un personnel qualifié à
bord, pris en charge sur le plan social et des sanctions sont prévues.
C’est
exactement ce que voulait l’État du Sénégal en 2005 quand il a initié
le programme de renouvellement des moyens de transport public urbain à
Dakar. L’objectif n’était pas uniquement de doter le secteur de nouveaux
bus, mais aussi de l’organiser, de le moderniser. D’où la formation
assurée au préalable pour les chauffeurs, les receveurs et les
contrôleurs.
Mais
à peine les transporteurs ont disposé de ces véhicules qu’ils ont
licencié tout le personnel formé. Les premiers employés ont beau
dénoncer, crier à l’injustice, ils ont été dégommés et remplacés par
d’autres n’ayant aucune qualification. Un personnel précaire ne
bénéficiant qu’aucun des droits des travailleurs est monté à bord. À la
place des équipes de rotation, ce sont maintenant deux équipes, voire
une qui officie(nt) de 5h du matin à 22h, sans contrat de travail encore
moins de prestation sociale. Pire encore, ces gens sont mis en
concurrence au bénéfice des transporteurs, mais au péril de leurs vies
et de celles des passagers. À un moment donné, une prime de 2 000 F
était instituée pour ceux qui rapportaient le plus à la fin de la
journée.
Ce
comportement des transporteurs a fait que, près de 20 ans après, le
bordel tant dénoncé avec les cars rapides se reproduit à l’identique
dans les minibus, sinon pire. Une bonne partie des contrôleurs ont
disparu de la circulation et ce sont des receveuses indisciplinées qui
assurent un travail qui n’était pas le leur à l’origine.
Du
côté des véhicules, un partenaire a été choisi par l’État pour
l’entretien. Mais il a été très vite abandonné par les propriétaires
jugeant ses tarifs excessifs. Aujourd’hui, on a du fer lourd et
dangereux sur les portes des véhicules, des cordes sont attachées un peu
partout et des issues de secours rayées par des grillages en métal. Le
passager est véritablement pris au piège, surtout en cas d’accident.
Tout
ceci pour dire que pointer la responsabilité des chauffeurs ne suffit
pas, c’est même de la politique de l’autruche. Il faut avoir le courage
de mettre le doigt sur les transporteurs et que les sanctions
s’appliquent aussi sur eux, à la fois sur la personne et le véhicule