Pourquoi le groupe Wagner est encore plus dangereux depuis la mort d’Evgueni Prigojine
Des offres d’emploi pour le groupe Wagner ont récemment refait surface sur les réseaux sociaux, arborant de nouveau le slogan d’antan: “Faire la guerre est notre métier”. Ces annonces proposent des postes en Russie et ailleurs à l’étranger. Mais que représente encore cette milice russe? Se bat-elle toujours en Ukraine? Est-elle toujours présente en Afrique? Et est-ce vraiment le fils d’Evgueni Prigojine qui la dirige aujourd’hui? Éléments de réponse.
Ce week-end marque le neuvième mois depuis la révolte spectaculaire du groupe Wagner. Son fondateur, Evgueni Prigojine, est décédé le 23 août 2023 dans un mystérieux accident d’avion. Depuis, l’avenir de ce qui était autrefois la milice russe la plus redoutée suscite de nombreuses spéculations. Certains prédisent sa dissolution, tandis que d’autres envisagent un rapprochement avec Poutine. D’autres encore suggèrent qu’elle pourrait trouver refuge en Biélorussie, d’où elle pourrait envisager d’envahir la Pologne.
Sauf qu’un épais brouillard subsiste. Selon un rapport récent du groupe de réflexion militaire britannique Royal United Services Institute (RUSI), Wagner n’a jamais été une milice privée. Le groupe a toujours été financé par le régime de Poutine, souvent par le biais de factures surévaluées pour des services tels que la restauration. Moscou aurait versé au moins 10 milliards d’euros depuis 2014 pour ces activités.
Insaisissable
La raison pour laquelle Evgueni Prigojine était devenu si insaisissable résidait dans sa capacité à contrôler plusieurs secteurs en même temps. Pour le contrer, le Kremlin a morcelé son empire. Le secteur de l’hôtellerie est ainsi passé sous le contrôle de l’agence de renseignement intérieur FSB. Le service de renseignement extérieur SVR s’est vu confier le contrôle des activités des médias. Cela inclut l’“usine à trolls”, officiellement connue sous le nom d’Internet Research Agency, qui sert à diffuser des fake news. Enfin, le bras militaire a été divisé en deux: la partie nationale a été placée sous le commandement de la garde nationale de la fédération de Russie (Rosgvardia) et la partie étrangère sous celui de la tristement célèbre direction générale des renseignements (GRU).
Pavel, le fils
Rosgvardia est une unité de l’armée directement sous le commandement de Poutine. Elle combat également en Ukraine et a transformé ce qui restait du groupe Wagner en “corps de volontaires”. Ce terme prête à confusion, car un groupe de Russes anti-Kremlin se bat également pour l’Ukraine sous le même nom. C’est donc au sein du corps des volontaires prorusses que Pavel, le fils d’Evgueni Prigojine, aurait été promu au rang de leader.
Environ 18.000 combattants
Si on ne connait pas avec certitude la place du fils de Prigojine dans la milice, il est un homme qui a réussi à s’élever au rang de commandant au sein du corps des volontaires prorusses: Anton Elizarov. Préalablement affecté en Ukraine avec le groupe Wagner, il s’est récemment manifesté dans une vidéo diffusée en février, confirmant sa coopération avec les forces de la Rosgvardia. Les services de renseignement ukrainiens affirment que le corps des volontaires pro-russes a pris part à la bataille d’Avdiivka et compterait environ 18 000 combattants.
Des hommes de Wagner seraient également présents en Biélorussie. Ils y auraient été envoyés en urgence après l’échec de la rébellion. Un groupe d’opposition, Hajun, affirme qu’il ne reste que quelques centaines de combattants. Le dictateur biélorusse Alexandre Loukachenko a déclaré en février que l’entraînement de ses troupes, pour lequel le groupe Wagner a officiellement été engagé, était terminé.
Recrutement pour le Corps africain
Et en Afrique? Wagner est-il toujours actif? Oui, mais sous le commandement des services de renseignements militaires russes. Le groupe de réflexion britannique RUSI confirme ce qui a été dit précédemment, à savoir qu’un général de division du GRU a repris les activités d’Evgueni Prigojine sur place. Andrei Averyanov aurait reçu l’ordre de porter les effectifs à au moins 20.000 hommes. Sous Wagner, le nombre de mercenaires russes en Afrique était estimé à 6.000 au maximum.
Un tract de recrutement pour l’Africa Corps, la branche du groupe Wagner en Afrique désormais dirigé par le service de renseignement militaire russe GRU. © Telegram
C’est désormais sous le nom “Africa Corps” que le groupe mène des opérations de recrutement. Des offres d’emploi apparaissent également en français sur des groupes Facebook africains, toujours sous le nom de ‘Wagner’. Ils tentent de recruter des soldats locaux pour la guerre en Ukraine et mentionnent que 700 Africains de quatre pays différents se sont déjà inscrits, en plus de candidats issus du Vietnam et du Népal. La chaîne d’information britannique “Sky” a récemment révélé que 2.000 personnes avaient déjà été recrutées au Népal.
Des combattants du groupe Wagner (Africa Corps) vont voter à l’ambassade de Russie en Centrafrique le 17 mars 2024. © Télégramme
Faire le sale boulot
Toutes ces publicités de recrutement mentionnent de manière claire que l’armée russe rémunère ses membres, marquant ainsi une distinction nette avec l’époque d’Evgueni Prigojine. À cette période, tout lien avec les autorités russes était catégoriquement démenti. Le groupe Wagner tirait sa force de sa capacité à accomplir des tâches controversées que Moscou ne voulait pas assumer ouvertement. La Russie étant désormais considérée comme un état paria, avec un président figurant sur la liste des personnes recherchées par la Cour pénale internationale à La Haye, de telles réfutations sont aujourd’hui inutiles.
C’est en Afrique que l’influence croissante du groupe Wagner prend une dimension particulièrement préoccupante. Selon le Royal United Services Institute (RUSI), les Russes ont de grandes ambitions sur ce continent. Son soutien aux régimes locaux, généralement sous forme d’armement et de formation, visait principalement à renforcer l’influence russe et à sécuriser l’accès aux ressources minières. Toutefois, il semble que la politique russe en Afrique se concentre de plus en plus sur l’affaiblissement de l’Occident.
Le mémorial d’Evgueni Prigojine en République centrafricaine. © Telegram
La Russie alimente les flux migratoires
Dans cette optique, les régimes africains sont incités à s’opposer à l’Occident et même encouragés à perpétrer des atrocités, ce qui rend la coopération de l’Occident avec eux moralement inacceptable. Par exemple, Moscou cherche à présent à isoler l’Europe du Niger, son principal fournisseur d’uranium, dans le but de rendre l’Europe dépendante de la Russie pour son approvisionnement en énergie nucléaire. En attisant l’instabilité en Afrique, Moscou alimente aussi les flux migratoires avec lesquels elle tente de perturber l’Europe.