[8 mars] La politique, le dernier rempart de la virilité ?
« La politique constitue-t-elle le dernier rempart de la virilité ? La politique serait-elle une pratique masculine qui renvoie à un imaginaire masculin ? », s’est ainsi interrogée Seynabou Ndiaye Sylla, en 2001, dans « Femmes et Politiques au Sénégal : contribution à la réflexion sur la participation des femmes sénégalaises à la vie politique de 1945 à 2001 » son mémoire de DEA. Le constat est unanime : depuis les sociétés traditionnelles, la politique était un domaine presque exclusivement masculin et s’exprimait en termes d’autorité, de contrôle et de domination. Cependant, au Sénégal, les femmes ont toujours été présentes dans l’espace politique, malgré sa domination de fait ou institutionnalisée par les hommes.
La période pré coloniale sénégalaise a été marquée par des femmes exceptionnelles devenues de grandes actrices politiques. C’est le cas de Yassine Boubou, huitième Damel du Cayor, un royaume pré-colonial situé à l’ouest du Sénégal actuel, qui à travers ses exploits politiques répertoriés entre 1673 et 1677, incarne aujourd’hui le djom (courage) dans les légendes populaires. On peut citer aussi les reines Ndatte Yalla (1810-1860) et Djembeut Mbodj (1800-1846) du Waalo, etc.
Durant la période coloniale, les femmes jouèrent un rôle important dans les campagnes pour l’élection de leur Parent utérin. « Ce sont les femmes qui élisent »,
admettait d’ailleurs Lamine Guèye, premier avocat noir de l’Afrique
occidentale française (OAF) et premier président de l’Assemblée
nationale du Sénégal indépendant), qui a su très tôt profiter du poids
électoral des femmes et de leur engagement politique, pour avoir été élu
dès 1925 premier maire noir de Saint-Louis du Sénégal.
A
noter également qu’après les indépendances, le Sénégal connaitra la
première femme députée qui deviendra plus tard la première femme
ministre, à savoir Caroline Faye. Avec l’arrivée du président Abdou
Diouf en 1981, elle sera rejointe par la magistrate Maimouna Kane, deux
femmes ministres qui ont beaucoup œuvré pour la promotion de la femme.
Elles ont été les pionnières dans les espaces de décisions stratégiques.
Progressivement, les femmes gagnent du terrain. Le régime libéral verra
l’avènement de la première femme Premier ministre, en l’occurrence Mme
Mame Madior Boye, brillante magistrate, qui officiera à la tête du
gouvernement de 2001 à 2002.
«Pour arriver à élire une femme présidente de la République, il nous faudrait… »
Au
mois de mai 2010, une sorte de révolution se produira sous le régime
libéral. En effet, avec le vote de la loi n° 2010-11 du 28 mai 2010 sur
la parité entre hommes et femmes dans les fonctions électives, le nombre
des députés femmes était alors passé de 33 à 64 sur un total de 150 à
l’Assemblée, soit 42,7 %. Et la tendance a progressé au fil des années.
Cette avancée spectaculaire met en évidence le résultat positif du
combat des femmes pour le progrès et le leadership féminin.
«
Il y a eu beaucoup d’avancées sous Macky Sall et sous Abdoulaye Wade
qui ont nommé des femmes Premier ministre et à d’autres postes de hautes
responsabilités. Il faut maintenant consolider ces acquis et pour
arriver franchement à élire une femme présidente de la République, il
nous faudrait plus de solidarité entre les femmes parce que les hommes
ne nous facilitent pas la tâche », regrettait Adji Mbergane Kanouté, députée.
Toutefois,
en dépit de tout cela, il faut admettre que la masculinisation de
l’espace politique sénégalais demeure la principale difficulté des
femmes et la répartition sexée des espaces (public et privé) rend
l’implication politique de ces dernières, encore plus difficile.
«
La politique, telle que je la vis, est déjà difficile et quand c’est
une femme c’est encore plus difficile. Parce qu’habituellement, c’est la
sphère privée qui nous est affectée (…). A la maison, on fait des
enfants, on s’occupe des enfants, on s’occupe de la maison, on s’occupe
de tout le monde, etc. Quand nous allons dans la sphère publique
affectée aux hommes, ça devient une bousculade car les hommes sont déjà
là, et ont déjà campé, ont déjà leur pouvoir », reconnaissait la professeure Amsatou Sow Sidibé, Candidate recalée aux élections présidentielles de 2019 et 2024.
Cet
état de fait perdure en raison des représentations que la communauté
elle-même a de la place des femmes. Chacun des deux sexes s’y inscrit
dans un ordre préétabli qui détermine toute l’organisation sociale, sans
réelle possibilité de remise en question.
Le système patriarcal
sur lequel repose la structure familiale, donc sociale, est un frein à
la responsabilité citoyenne des femmes qui n’arrivent pas à participer
de manière égalitaire à la construction et au développement
socioéconomique de leurs pays.
Ainsi, certaines femmes perpétuent les inégalités. « Ce sont les femmes elles-mêmes qui refusent la promotion de la femme, du leadership féminin», selon Amsatou Sow Sidibé. Cette dernière pointe également le manque de moyens financiers : «
l’activité politique est synonyme de moyens financiers. C’est de
l’argent et il faut une discrimination positive pour les femmes comme
stipulé dans l’article 4 de la convention des Nations Unies sur les
discriminations à l’Egard des Femmes (CEDEF) … ».