Protectionnisme et taxes: voyager en avion à travers l’Afrique, un onéreux chemin de croix
Pour parcourir les 1.000 km entre Libreville et Bangui, il faut compter au mieux neuf heures et 1.000 dollars, un exemple parmi d’autres de l’onéreux chemin de croix que sont les voyages aériens en Afrique, en raison de politiques protectionnistes et de taxes élevées.
En Europe, un vol Paris-Madrid – une distance équivalente – dure deux heures et vaut cinq fois moins cher.
Mais
contrairement à l’Europe, « les déplacements en Afrique sont très
difficiles », déplore Moses Munga, consultant dans le BTP rencontré à
l’aéroport de Nairobi, en attendant son vol pour le Ghana.
Comme
lui, Ahmed Mekewi voyage dans le cadre de son travail. « J’aurais du mal
à voyager par mes propres moyens », confie cet ingénieur kényan de 29
ans: « Le coût d’un voyage en Afrique est très élevé ».
A
la différence de l’Europe qui a ouvert son marché dans les années 1990,
« il n’y a pas encore un marché aérien africain unifié », explique un
expert du secteur aérien africain, qui a requis l’anonymat en raison de
ses fonctions.
« En
Europe, Air France, par exemple, peut faire le nombre de vols qu’elle
veut vers l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne ou le Portugal. Cette
liberté (…) n’existe pas à l’intérieur de l’Afrique » pour les compagnies
africaines, détaille cet expert, dénonçant la parcimonie avec laquelle
certains Etats accordent des « droits de trafic » permettant d’opérer sur
leur territoire.
Ces « droits de trafic » restreints limitent le nombre d’itinéraires directs et la fréquence des vols, et rallongent les trajets.
Selon
une étude réalisée en 2021 par l’Association du transport aérien
international (IATA) à l’intention de l’Union africaine (UA), sur les
1.431 liaisons possibles entre chacun des 54 pays de l’UA, seules 19%
bénéficiaient d’un vol direct au moins hebdomadaire.
– « Mécanismes protectionnistes » –
Ces
« mécanismes protectionnistes » mis en place par certains pays « pour
favoriser leurs compagnies locales (…) entravent la concurrence et
font grimper les prix » des billets, souligne Linden Birns, consultant
dans le secteur aérien basé en Afrique du Sud.
Conséquence,
« le trafic aérien est tellement cher en Afrique qu’il ne se développe
pas et que les lignes restent mal desservies », déplore Guy Leitch,
analyste aéronautique et éditeur du magazine sud-africain SA Flyer.
« L’Afrique
est la région (du monde) où les prix des billets d’avion sont de loin
les plus chers pour voyager à l’intérieur du continent », note l’IATA
dans son étude.
Outre
les « restrictions » mises en place par les Etats, « les taxes très
élevées » en Afrique pour l’utilisation des services de navigation
aérienne ou les installations aéroportuaires, mais aussi le coût élevé
du kérosène sur le continent, expliquent le prix des voyages aériens
intra-africains, analyse Robert Lisinge, chef de la Division Energie,
Infrastructures et Services à la Commission économique pour l’Afrique de
l’ONU (ECA).
Majoritairement
importé, en raison des faibles capacités africaines de raffinage, le
kérosène en Afrique est « souvent 30% plus cher qu’ailleurs, y compris
dans les aéroports de pays producteurs de pétrole », confirme l’expert
africain ayant requis l’anonymat.
– Gains économiques –
Décision
de Yamoussoukro en 1999 sur la libéralisation du marché aérien en
Afrique, puis Marché unique du transport aérien africain (SAATM en
anglais) en 2018… Les projets de libéralisation peinent à s’appliquer.
« L’idée
du SAATM est de lever (les) restrictions », explique Robert Lisinge: « Si
vous libéralisez le marché, cela accroîtra le nombre de liaisons
(aériennes) et fera baisser les coûts ».
Mais
« il reste de nombreux accords bilatéraux relatifs aux services aériens
et beaucoup de restrictions » qui empêchent les compagnies d’opérer
« autant de vols qu’elles souhaitent, avec des avions de la capacité de
leur choix ».
Une
autre étude de l’IATA de 2014 portant sur 12 pays (trois dans chacune
des sous-régions du continent) concluait qu’une libéralisation du marché
aérien entre ces pays ferait bondir le trafic de 81%.
La
suppression des barrières entre ces 12 pays génèrerait 1,3 milliard de
dollars d’activité économique supplémentaire et favoriserait la création
de 155.000 emplois, concluait-elle.
Les contraintes actuelles « rendent les affaires difficiles », confirme Moses Munga, le consultant dans le BTP.
« Quand
on a trouvé un client et qu’on établit son devis, on doit inclure le
coût élevé du voyage. (…) Tout le monde n’est pas en mesure de
l’assumer et on doit (parfois) abandonner certains contrats »,
explique-t-il.
« L’Afrique
est vaste, les liaisons routières sont relativement mauvaises » et les
lignes ferroviaires peu nombreuses, rappelle M. Lisinge, en évoquant le
projet de Zone de libre échange continentale africaine (ZLCAf): « Le
transport aérien est nécessaire pour transporter les biens périssables
et les commerçants, mais aussi les experts dont aura besoin le commerce
intra-africain ».