Au Gabon, six mois après le coup d’Etat, un bilan contrasté pour le général Oligui Nguema
Six
mois après son coup d’Etat, qui a renversé le président Ali Bongo
Ondimba, le général Brice Oligui Nguema jouit au Gabon d’une immense
popularité, mais de premières critiques émergent sur une gouvernance
jugée autoritaire par ses détracteurs et qui tarde à réaliser ses
promesses de « mieux vivre ».
Les
militaires, qui avaient proclamé, sans verser une goutte de sang, le 30
août « la fin du régime » Bongo, une heure après l’annonce de sa
réélection jugée frauduleuse par l’armée, avaient été acclamés partout
dans le pays.
Le
général Oligui, 48 ans, avait été porté en triomphe comme président de
transition, promettant de rendre le pouvoir aux civils par des
élections, dans un délai fixé plus tard à deux ans.
Depuis
plus de 55 ans, la famille Bongo –le père, Omar, pilier de « la
Françafrique » de 1967 à 2009, puis le fils Ali– dirigeait sans partage
ce petit État d’Afrique centrale, riche de son pétrole, mais sous le
joug d’une élite accusée par ses opposants de « corruption massive » et de
« mauvaise gouvernance ».
Le
général Oligui « est arrivé à un moment où les Gabonais n’en pouvaient
plus », commente François Ndong Obiang, un ex-ténor de l’opposition
aujourd’hui vice-président de l’Assemblée Nationale de transition, dont
tous les députés ont été nommés par le nouveau dirigeant.
Le
pays, qui compte 2,3 millions d’habitants, dont la moitié a moins de 20
ans, « était en lambeau sur le plan des infrastructures, de l’éducation,
de la santé », et le général est, selon lui, perçu comme un « sauveur ».
– « Redresser le pays » –
Le
pays est un des plus riches d’Afrique par habitant mais un habitant sur
trois vit sous le seuil de pauvreté, avec moins de deux euros par jour,
selon la Banque Mondiale.
Aux
Gabonais qui attendent toujours des routes et des écoles en bon état,
ou qui vivent sans eau ou électricité parfois au cœur de la capitale, le
Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI),
composé de généraux, promet de « redresser économiquement le pays » et
« lutter contre la vie chère ».
Notamment
par le paiement des innombrables arriérés de retraites, la construction
de routes et d’hôpitaux, le retour des bourses scolaires et bien
d’autres promesses pour un « mieux vivre ».
Mais
les caisses de l’État peinent à se remplir. Mi-février, malgré une
« situation budgétaire difficile », le Fond Monétaire International (FMI)
reconnait toutefois au CTRI des « efforts visant à renforcer la
transparence et la gestion des finances publiques ».
L’institution
alerte cependant sur « la baisse de la production pétrolière, la
stagnation du revenus par habitant » et « un taux de chômage élevé ».
– « Visages connus » –
Le
CTRI a placé des généraux à la tête des principales mairies et de
nombreux militaires se mêlent aux civils au sein des instances
dirigeantes. Mais le général Oligui se voit reprocher d’avoir
massivement laissé en poste des caciques de l’ancien régime, notamment
du Parti Démocratique Gabonais (PDG) d’Omar et Ali Bongo.
« Les
visages de cette transition sont des visages connus », assène Joanna
Boussamba, porte-parole de l’observatoire de gouvernance publique Copil
Citoyen, qui déplore un « message d’impunité » et une portion congrue
laissée à la société civile.
« La
transition est inclusive, elle doit prendre en compte tout le monde,
même le PDG », rétorque le vice-président de l’Assemblée nationale.
Mais « à peine huit personnes ont été arrêtées », décompte Mme Boussamba.
Elle
fait référence à l’entourage d’Ali Bongo, sa femme Sylvia et leur fils
Noureddin au premier chef, détenus depuis le 30 août, accusés notamment
de détournements massifs d’argent public et de falsification de la
signature de l’ex-président.
Le chef d’Etat renversé est pour sa part maintenu dans sa luxueuse résidence de Libreville.
– « Autoritarisme » –
Le
nouveau pouvoir se voit aussi accusé par l’opposition d’autoritarisme,
et le général Oligui d’un culte naissant de la personnalité entretenu
par les tunnels de louanges sur les télévisions d’État.
Le
pouvoir maintient par exemple depuis six mois, sans livrer la moindre
explication, un strict couvre-feu de 0h00 à 5h00 du matin, imposé au
départ par le régime Bongo le soir de la présidentielle du 26 août 2023.
Pour
l’avocat Anges Kevin Nzigou, le maintien du couvre-feu est
« liberticide ». Ce militant des droits humains se dit désormais opposant
au « régime PDG persistant ».
En
décembre, les employés de la SEEG, qui fournit l’eau et l’électricité
au Gabon, avaient appelé à la grève contestant la suppression de leur
13ème mois.
Après
avoir publiquement menacé les syndicalistes, flattant une population
excédée par les coupures de courant, M. Oligui a fait arrêter sept
d’entre eux, dont deux femmes, interrogés trois jours dans les bureaux
du renseignement. Ils en sont sortis le crâne rasé et exposés
publiquement dans les journaux.
C’était semblable au « premier acte d’une dictature », assène Me Nzigou.
Un
dialogue national « inclusif » doit s’ouvrir en avril, étape clef vers
une nouvelle Constitution et des élections, auxquelles il ne fait guère
de doute que le général Oligui se présentera.