Macky Sall, une image brouillée
Lui s’enorgueillit
d’avoir transformé le Sénégal en douze années de présidence à force de
réformes et de grands travaux. Les adversaires de Macky Sall voient en
lui l’auteur du dernier coup de force en date en Afrique pour se
maintenir au pouvoir.
« Le
Sénégal de 2023 est sans commune mesure avec le Sénégal de 2012 »,
disait M. Sall en présentant le 31 décembre à 62 ans des vœux aux airs
de bilan.
Elu
en 2012, réélu en 2019, il a maintenu pendant des mois l’incertitude
sur une nouvelle candidature en 2024. Le non à un troisième mandat a été
l’un des mots d’ordre de la contestation qui a ensanglanté le pays à
différentes reprises depuis 2021.
En
décrétant en 2023 qu’il en resterait là, même s’il maintient qu’il
avait « le droit de (se) représenter », il avait apporté un soulagement.
« Le
2 avril 2024, s’il plaît à Dieu, je transmettrai le pouvoir à mon
successeur », déclarait-il le 31 décembre en se projetant vers la fin
officielle de son mandat.
Depuis, la crise toujours latente a resurgi.
M.
Sall a annoncé samedi le report de la présidentielle à une date
indéterminée, dans un pays qui considérait le respect du calendrier
électoral comme un signe d’inviolabilité de la pratique démocratique,
malmenée ou anéantie par les putschs et les faits accomplis ailleurs
dans la région.
L’opposant
Khalifa Sall a dénoncé « un coup d’Etat constitutionnel » qui
dissimulerait le dessein d’assouvir un « rêve d’éternité », même si le
président a répété son engagement à ne pas se représenter.
L’ancien compagnon de route Abdou Latif Coulibaly a dit ne pas comprendre lui-même.
« Peut-être
est-ce simplement que quand on exerce le pouvoir on croit que tout est
possible », a-t-il déclaré à la radio française RFI après avoir
démissionné du gouvernement.
Il
a été parmi les nombreux à rappeler les propos tenus en 2012 par M.
Sall: le président « ne peut pas prolonger son mandat, c’est impossible »,
même d’une journée.
L’incompréhension
est d’autant plus grande que M. Sall faisait partie à l’époque de ceux
qui ont combattu au nom de la Constitution la candidature d’Abdoulaye
Wade à un troisième mandat dans un contexte déjà troublé.
“Mourir plutôt que perdre la face”
M.
Sall a rompu en 2008 avec celui qui avait été son mentor et dont il a
été le ministre et le Premier ministre. Il avait fédéré l’opposition et
avait battu M. Wade au second tour.Dans
son autobiographie « Le Sénégal au cœur », M. Sall propose deux
traductions de son nom de famille: « entêté » et « qui refuse ». Le visage
sévère et la stature imposante mais le propos affable, il se revendique,
par sa mère, d’une lignée de guerriers qui « préfèrent mourir que de
perdre la face ».
Ses
dernières années à la tête du pays ont été marquées par la
confrontation sans merci entre le pouvoir et l’opposant anti-système
Ousmane Sonko et les accès de violence auxquels elle a donné lieu.
L’ingénieur
géologue de formation préfère qu’on se souvienne de lui pour ses
nombreux chantiers au service du développement : nouvel aéroport, ville
nouvelle de Diamniadio, parcs industriels, train express régional et
autoroutes, triplement des capacités électriques…
A
l’étranger, Macky Sall a été un interlocuteur écouté, en 2022-2023 en
tant que président de l’Union africaine ou au sein de l’organisation
ouest-africaine Cedeao.
Il
a été le chantre d’une réforme de la gouvernance politique et
financière mondiale. Il a porté la parole d’une Afrique qui « a assez
subi le fardeau de l’histoire », libre de ses choix, comme celui de
continuer à investir dans les hydrocarbures quand elle ne produit que 4%
des émissions polluantes, ou de réprimer l’homosexualité.
« Il
ne peut y avoir de légitimité pour certains de définir et imposer à
tous une seule façon de vivre, comme un prêt-à-porter civilisationnel »,
proclamait-il à la tribune de l’ONU en 2023. Il y disait condamner
fermement « toute forme de changement anticonstitutionnel de
gouvernement », face à la succession de coups d’Etat en Afrique de
l’Ouest.
Avec le report de la présidentielle, M. Sall se retrouve accusé de remettre en cause les principes qu’il a défendus.
L’opposition
dénonce une dérive autoritaire. Elle accuse le pouvoir
d’instrumentaliser la justice. Leurs ennuis judiciaires ont empêché
Khalifa Sall et Karim Wade de concourir contre lui à la présidentielle
de 2019. En 2024, Ousmane Sonko a connu le même sort.
Human
Rights Watch écrivait récemment que, depuis trois ans, 37 personnes
avaient été tuées dans des troubles sans que « personne (n’ait) eu à
répondre de ces actes », et des centaines d’autres arrêtées.Ousmane Sonko le traite de « dictateur ».
« Si
le Sénégal était une dictature, comme certains veulent le faire croire,
pensez-vous sincèrement qu’ils auraient pu passer une seule journée à
m’insulter en boucle ? », répondait M. Sall en novembre dans le magazine
Jeune Afrique. « Ceux qui veulent l’anarchie et le chaos pour assouvir
leurs ambitions me trouveront sur leur chemin ».