Les républicains sabordent la République
‘’La République couchée’’. Tel est le titre d’une tribune mémorable signée par le philosophe Ousseynou Kane dans les colonnes du quotidien Wal Fadjri, le 8 mai 2001. Pour la première fois, dans l’histoire du Sénégal, le chef de l’Etat s’agenouillait devant un guide religieux. En visite à Touba, Abdoulaye Wade s’était prosterné devant Serigne Saliou Mbacké, le khalife général des mourides, créant une indignation auprès de l’élite.
Pour
les Républicains, il était inadmissible que le chef de l’Etat se
‘’reptilise’’ devant l’autorité religieuse, autrement dit, l’Etat ne
peut pas faire allégeance à un chef spirituel.
Plus
de 20 ans après, à défaut d’être couchée, la République est sur le
point d’être abîmée, elle est sabordée par ceux-là qui se disent
républicains. Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’un geste quoique très
symbolique de la part du chef de l’Etat, mais d’un ensemble de
comportements et de propos qui risquent de détruire l’Etat.
Comme
lors de la première alternance, ici aussi, c’est le chef de l’Etat qui a
donné le coup d’envoi. En utilisant la justice pour éliminer ses
adversaires aux présidentielles de 2019 et 2024, Macky Sall a porté un
sacré coup à la République. Comme si cela ne suffisait pas, il a aussi
instrumentalisé l’administration. Le refus de la Direction générale des
élections et de la Caisse des dépôts et des consignations de délivrer à
Ousmane Sonko des fiches de parrainages et d’encaisser sa caution a fait
passer ces deux entités du rôle d’arbitre et de facilitateur à celui
d’acteurs partisans du processus électoral. La majorité présidentielle a
créé un monstre électoral qui, demain, risque de broyer l’Alliance Pour
la République (Apr) mais aussi tout autre parti d’opposition qui gène
les tenants du pouvoir.
Le discours de Sonko aussi
Après
Macky Sall, son principal opposant Ousmane Sonko se chargera de la
suite. Dans son combat contre le régime de l’Apr, décidé à l’écarter de
la présidentielle de 2024, le leader de l’ex-Pastef n’a épargné aucune
institution de la République. La justice, la magistrature, la police, la
gendarmerie, l’administration,… tous ces piliers de l’Etat ont été
défiés, voués aux gémonies. Son discours a largement contribué à la
crise de confiance qui existe aujourd’hui entre les institutions de
l’Etat et les citoyens.
Mais
le coup le plus dur vient de deux partis politiques qui ont incarné la
République lors de ces 24 dernières années. Il s’agit du Parti
démocratique sénégalais d’Abdoulaye Wade et de l’Alliance pour la
République de Macky Sall.
Après
l’invalidation de la candidature de Karim Wade, le Pds affirme avoir
des soupçons de corruption sur deux membres du Conseil constitutionnel.
Il demande l’ouverture d’une enquête parlementaire.
Et
contre toute attente, le Parti de Wade reçoit le soutien de Benno, la
coalition dirigée par Macky Sall. Et, comme toujours lorsque Macky veut
faire passer ses intérêts, les députés ont été convoqués pour entériner
la mise en place d’une mission d’enquête parlementaire.
Alliance contre la république
De
quoi irriter l’Union des magistrats du Sénégal (Ums) pourtant très
discrète depuis le départ de Souleymane Teliko. L’Ums rappelle
qu’«aucune commission parlementaire n’a compétence pour entendre un
magistrat, surtout pour des faits susceptibles de recevoir une
qualification pénale… ». Cette mission, rappelle l’Ums, revient
exclusivement aux juridictions répressives.
Cette
alliance PDS/APR qui vise le Conseil constitutionnel est un précédent
très dangereux pour la République. Voir des opposants s’attaquer aux
sages est une tradition, mais voir le parti présidentiel se liguer à une
opposition et de surcroît mêler le parlement dans l’affaire est une
première à tuer très vite dans l’œuf.
En
vérité, la candidature de Karim Wade importe peu à Macky Sall et Cie,
puisqu’ils ont déjà manœuvré contre Wade fils en 2019. C’est plutôt la
validation de celle de Bassirou Diomaye Faye qui indispose les tenants
actuels du pouvoir. Du coup, à défaut d’instrumentaliser la justice,
comme ils l’ont fait avec Sonko, Khalifa et Karim, ils sont prêts à
décrédibiliser le Conseil constitutionnel, à ruiner sa réputation.
Les
partisans d’un Etat fort et debout en sont arrivés à affaiblir la
puissance publique, à la démolir, pan après pan. Les républicains
dirigés par Macky Sall n’ont pas couché la République comme Wade, ils
l’ont sabordée.