Les conjurés du report de l’élection présidentielle (Par Madiambal Diagne)
ls étaient presque trois cents à
annoncer leur ambition de devenir président de la République du Sénégal
en 2024. Vingt d’entre eux ont finalement été retenus dans la liste
rendue publique par le Conseil constitutionnel, comme déclarés qualifiés
pour la compétition électorale du 25 février prochain. C’est sans doute
beaucoup, car jamais dans l’histoire politique du Sénégal, autant de
candidats ne s’étaient alignés pour une élection présidentielle. Mais ce
nombre pléthorique n’en est pas moins une bonne chose. On peut
considérer que cette élection présidentielle est partie pour être la
plus inclusive possible. Pour rappel, en 2019, seuls cinq candidats
avaient été en lice, contre quatorze en 2012, quinze en 2007, huit en
2000, encore huit en 1993, quatre en 1988, cinq en 1983, deux en 1978.
Un seul candidat, Léopold Sédar Senghor, sous le régime du parti unique,
était en lice pour les présidentielles de 1973, 1968 et 1963.
En
2024, en dépit du système de parrainage qui constitue un premier filtre
permettant de recaler les candidats les plus farfelus, on aura quatre
fois plus de candidats que lors de la dernière élection présidentielle.
Plus que jamais, c’est la réponse définitive que le système du
parrainage se révèle être absolument nécessaire pour réguler la
compétition électorale et préserver le sérieux qui doit l’entourer.
Karim Wade et Ousmane Sonko, candidats sans illusions recalés
Tous
les deux savaient parfaitement qu’ils ne sauraient et ne pourraient
être candidats à cette élection présidentielle de 2024. Karim Meïssa
Wade le sait si bien qu’il n’a pas daigné, depuis plus de sept ans,
fouler le sol du pays qu’il prétendait diriger ; encore qu’à moins d’un
mois du rendez-vous électoral, il continue à donner des consignes à
travers les réseaux sociaux, annonçant son inéluctable retour.
Je
n’ai jamais pris de telles annonces au sérieux, considérant que c’était
un simple jeu de dupes et que Karim Wade souhaitait, au fond de
lui-même, être recalé pour pouvoir dire à ses soutiens qu’il avait voulu
venir mais que la permission ne lui a pas été accordée.
Franchement,
si Karim Wade voulait être candidat, il se serait délesté depuis
longtemps de sa nationalité française qui, fatalement, l’aurait empêché
de participer à l’élection présidentielle. Mais attendre qu’un recours
en invalidation contre sa candidature soit déposé, pour s’empresser de
se faire confectionner un décret en mode «fast track», apparaît plus
comme une pièce de théâtre ; d’autant plus qu’un tel décret est
postérieur au dépôt des candidatures. On n’a pas besoin d’être un grand
juriste pour savoir que si le Conseil constitutionnel avait accepté
cette pièce tardive fournie par Karim Wade, que constitue le décret de
renonciation à son allégeance à la République française, les sept
«Sages» auraient dû alors autoriser tous les autres 40 candidats dont
les dossiers avaient déjà été rejetés, à pouvoir les régulariser. La
même question de double nationalité ne devrait plus se poser pour lui en
2029, si jamais Karim Wade n’aurait pas d’autres nationalités
étrangères, comme espagnole et libanaise.
Ousmane
Sonko s’était lui-même disqualifié pour ce qui concerne la fonction de
président de la République, élu démocratiquement au suffrage universel,
dès l’instant qu’il appelle de manière répétée à l’insurrection contre
les institutions républicaines et surtout à faire
un putsch militaire
pour renverser le chef de l’Etat démocratiquement élu. Le Conseil
constitutionnel aurait pu valablement se suffire simplement de ces
déclarations pour rejeter sa candidature. Ousmane Sonko semble
d’ailleurs en avoir eu bien conscience pour avoir désigné plusieurs
candidats, représentant chacun un pôle particulier ou une obédience de
son parti dissous, l’ex-Pastef. On ne le dira jamais assez, ce parti
politique était apparu comme un conglomérat de forces et de pôles
politiques divers, antagonistes et parfois même réfractaires les uns aux
autres. Ousmane Sonko, comme tous les leaders populistes et démagogues,
pouvait continuer de servir de figure de proue, pour fédérer tout le
monde et promettre à chaque coterie ce qu’elle pouvait espérer ou
attendre. La supercherie ne pouvait pas durer davantage.
Mimi Touré et compagnie s’essaient au putsch institutionnel
Le
fait est trop grave pour qu’on le ravale à un banal débat de salons
dakarois. Un groupe de candidats, qui n’ont pu satisfaire aux exigences
du parrainage, se sont mis ensemble pour prôner l’arrêt du processus
électoral et le report de l’élection présidentielle. Il va de soi qu’ils
n’ont pour cela, aucun argument de droit ou de fait, sinon que leur
égoïsme. Mais ils sont si prétentieux qu’ils apparaissent les plus
incohérents possibles. Il y a moins d’un mois, quand des voix sorties de
nulle part évoquaient l’idée d’un report de l’élection présidentielle,
pour permettre un nouveau dialogue autour du processus électoral,
Aminata Touré, Abdoul Mbaye, Bougane Guèye Dany étaient les plus en
alerte pour s’insurger contre une telle hérésie. «Bëg bëré, bagn bëré»
(l’affrontement aura lieu de gré ou de force), disaient-ils en chœur. Ce
quarteron soupçonnait le camp du Président Macky Sall de chercher des
subterfuges pour rester à la tête du pays. Les mêmes accusations avaient
d’ailleurs été portées, pendant de longs mois et de façon insistante
contre Macky Sall et son régime, jusqu’à ce que ce dernier s’obligeât à
rappeler l’évidence du respect scrupuleux du calendrier électoral. Il
apparaît alors curieux que ces personnes, farouchement opposées à toute
idée velléitaire de toucher au calendrier électoral, veuillent désormais
engager le Sénégal dans une aventure on ne peut plus périlleuse. Quelle
légitimité donneraient-ils aux autorités de l’Etat qui resteraient en
place, au-delà de la période de renouvellement du mandat du président de
la République ? Diantre, pourquoi entonner subitement un discours qui
risque de faire un précédent jamais connu au Sénégal, du report d’une
élection présidentielle ? Ironie du sort, jamais le contexte de la
publication de la liste des candidats qualifiés à l’élection
présidentielle n’a été aussi calme et serein, qu’il ne l’est en ce mois
de janvier 2024. Qui ne se rappelle pas des échauffourées et des morts
enregistrés habituellement à ce stade du processus électoral ?
Justement, en 2012, il y avait tellement de violences et de morts que
l’ancien Président nigérian Olusegun Obasanjo, dépêché à Dakar, par la
Cedeao pour travailler à calmer la situation de tensions politiques au
Sénégal, avait réconisé le report de l’élection présidentielle en
accordant un rabiot de deux ans au Président Abdoulaye Wade dont la
candidature était fortement contestée. Aminata Touré ainsi que tout
l’état-major politique du candidat Macky Sall avaient opposé un fin de
non-recevoir ferme à une telle idée qu’ils considéraient comme
«dangereuse, subversive et anti-démocratique».
Pour
la petite histoire, Sidy Lamine Niasse, patron du Groupe de presse
Walfadjri, était appelé à monter au créneau pour contrecarrer le funeste
projet. Il a ainsi animé une conférence de presse fatale à cette idée,
le 21 février 2012. Le texte liminaire, écrit par Abou Abel Thiam, avait
été validé préalablement par Macky Sall, alors en tournée électorale, à
l’étape de Guinguinéo. Macky Sall avait désigné Alioune Badara Cissé et
Samba Diouldé Thiam pour le représenter à cette conférence de presse.
Olusegun Obasanjo reprit alors immédiatement son avion pour retourner à
Lagos et laisser les Sénégalais avec leurs «sénégalaiseries».
En
tout état de cause, on ne dira jamais assez que si la folie gagnait les
Sénégalais jusqu’à faire acter un report de l’élection présidentielle,
les militaires par exemple seraient eux aussi bien en droit de nous
imposer leurs volontés. Que Dieu en préserve le Sénégal ! En 2022, des
violences politiques avaient endeuillé le pays et pourtant, l’idée de
reporter les élections locales de janvier 2022 et des Législatives de
juillet 2022 avait été battue en brèche par les mêmes acteurs qui
aujourd’hui tiennent un autre discours. Au demeurant, si d’aventure, un
Karim Wade ou quelques officines du camp présidentiel opposées à toute
idée de devoir souffrir la candidature de Amadou Ba, ou encore même des
candidats déjà qualifiés pour la Présidentielle finissent par être
convaincus de joindre leurs voix à celles des théoriciens du report,
cela ne devrait pas pour autant autoriser un saut aussi périlleux dans
l’illégalité et le forfait démocratique. Encore une fois, cela ouvrirait
la boîte de Pandore en ce qu’il ne serait qu’un coup d’Etat.