L’université de Dakar suit les cours et la présidentielle en distanciel
Serigne Fallou Gueye, 23 ans, tâtonne un peu quand
il entreprend les passants du bouillonnant marché de Colobane, à Dakar.
Lui, il est étudiant et il ne serait pas là à vendre des joggings si
l’université n’avait pas fermé il y a des mois.Sa
marchandise sous le bras, la casquette lui mangeant une partie du
visage, Serigne Fallou Gueye, en deuxième année de droit, explique qu’il
préfère faire le vendeur ambulant plutôt que de « rester oisif » et de
« demander de l’argent » à ses parents.
« Sept
mois sans cours, c’est quand même catastrophique et scandaleux. L’Etat
veut sacrifier notre avenir pour des raisons strictement politiques »,
accuse-t-il.
L’université
Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), l’une des plus grandes d’Afrique de
l’Ouest avec plus de 90.000 étudiants, est fermée depuis juin 2023.
Pour
des raisons de sécurité, disent les autorités. Par crainte que les
étudiants ne troublent la présidentielle du 25 février et la campagne,
soupçonne Serigne Fallou Gueye et de nombreux étudiants interrogés par
l’AFP.
Ce
temple du savoir qui a formé des générations de cadres du continent,
dont plusieurs chefs d’Etat, a été l’un des foyers de l’agitation
meurtrière qui a secoué le pays après la condamnation à deux ans de
prison ferme de l’opposant Ousmane Sonko dans une affaire de mœurs le
1er juin 2023.
Les
autorités ont alors fait fermer l’université. Sept mois plus tard, les
allées d’ordinaire fourmillantes et bruyantes du campus restent désertes
et silencieuses.
Depuis
son inauguration en 1959, l’Ucad est connue pour être un lieu de
contestation. Ousmane Sonko, qui était donné comme l’un des favoris de
la présidentielle, est populaire parmi les étudiants et les jeunes.
« Si
on reprend dans les mêmes conditions, est-ce qu’on n’aura pas les
émeutes dans les mêmes conditions », justifiait en novembre à l’Assemblée
nationale le ministre de l’Enseignement Supérieur, Moussa Baldé.
Lui-même
professeur de mathématiques à l’Ucad, il assurait que les autorités
travaillaient aux conditions d’une « ouverture sécurisée ». Il défendait
par exemple le principe d’une numérisation des cartes d’accès au campus
pour faire barrage aux intrusions.
Sans voix
En attendant, l’enseignement en ligne appliqué avec le Covid-19 a été réactivé.
Mais,
pour les étudiants, la fermeture de l’université est un nouveau coup
porté à leur formation alors que l’avenir d’une jeunesse qui représente
plus de la moitié de la population est un enjeu majeur et que les
diplômes n’offrent aucune certitude.
Avec
des moyens insuffisants, des amphithéâtres et des chambres
universitaires surpeuplés, l’apprentissage est déjà éprouvant en temps
normal.
Beaucoup
d’étudiants disent connaître des camarades qui, comme tant de
compatriotes, bravent l’océan pour tenter de gagner l’Europe et dont
certains auraient perdu la vie.
Claude
Lishou, directeur de l’Institut supérieur de formation à distance de
l’Ucad, invoque l’effort consenti pour ranimer l’enseignement en ligne.
Des
accords avec les opérateurs de télécommunication offrent la gratuité de
la connexion aux étudiants et « même un smartphone de modeste
performance suffit pour participer aux activités pédagogiques », dit-il.
Fermeture « concertée »
Le
ministre de l’Enseignement supérieur déclarait en novembre que le
télé-enseignement avait été instauré « en concertation avec tous les
acteurs, y compris les étudiants ».
Et
même s’il reconnaissait la nécessité d’améliorations, il arguait qu’un
« enseignement à distance bien fait (pouvait) être plus profitable qu’un
enseignement en présentiel » parce que les cours étaient durablement
accessibles et que les étudiants pouvaient davantage interagir avec les
professeurs qu’en cours magistral.
Mais
pour de nombreux étudiants, l’enseignement à distance exclut une partie
des élèves dépourvus des outils numériques et est tributaire d’une
bonne connexion, pas garantie.
Étudiante
en troisième année de droit, Coumba Aw, 23 ans, raconte avoir tenté de
suivre les cours en ligne, mais avoir vite décroché car l’application
installée sur son téléphone ne fonctionnait pas souvent.
De plus, regrette-t-elle, « les cours se font sans assistance des professeurs et sont juste balancés comme ça sur la plateforme ».
L’université a annoncé une reprise partielle des cours en présentiel à partir du 3 janvier dans des sites hors du campus.
Étudiant
en Master 2 en portugais, Malick Dieng, 28 ans, a rangé son mémoire de
80 pages et est passé au commerce en ligne. « J’ai une famille à aider,
ma place n’est plus sur les bancs » de l’université, soupire-t-il.