Le Guide de légistique du Sénégal : un fascinant outil de gouvernance normative !
La nouvelle est tombée comme un couperet : au titre des textes législatifs et réglementaires, le Conseil des Ministres, réuni le 10 janvier 2023 sous la présidence du Chef de l’État, a adopté un projet de décret portant approbation du Guide de légistique. Cette onction politique est l’aboutissement d’un long processus technique.
Pour
rappel, les textes législatifs et réglementaires sont la plus haute
expression de la volonté générale et l’épine dorsale de l’action de
l’État. Dans la mise en œuvre des politiques publiques, les départements
ministériels et les autres services de l’État ont recours fatalement à
des projets de loi, de décret ou d’arrêté pour traduire juridiquement
les grandes options gouvernementales.
Aussi, la qualité
rédactionnelle et l’efficacité substantielle des textes normatifs
sont-elles au cœur d’une discipline appelée la « légistique ». Véritable
« technique de fabrication de la loi », cette discipline, peu connue et
souvent confondue avec la « logistique », désigne l’ensemble des
techniques, des normes et principes relatifs à la préparation, à la
rédaction, à l’adoption et à l’évaluation des textes législatifs et
réglementaires .
On enseigne le Droit dans les facultés de Droit,
mais on n’enseigne presque pas la technique de « fabrication du Droit ».
Comment s’étonner alors que la légistique ait une réputation
d’exotérisme et soit mystérieuse même dans l’esprit des juristes ?
La
vieille tradition légistique. Le Sénégal a hérité d’une très vieille
tradition normative et légistique. On évoque souvent avec fierté la «
Constitution de l’Almaamiyat » élaborée par Thierno Souleymane BAAL, qui
fixait plus de treize ans avant la Révolution française, les principes
constitutionnels d’organisation des affaires de la cité ainsi que les
droits et garanties reconnus au peuple .
Dès le lendemain de
l’indépendance, les techniques et méthodes de rédaction des textes
législatifs et réglementaires ont été gravées dans le marbre de lois,
décrets, des instructions, circulaires, notes de service et notes de
greffe. Qui ne se rappelle de la circulaire n° 00017 PM/SGG/SAGE du 03
février 1976 qui recommandait aux agents de l’État de se procurer
l’ouvrage de grammaire intitulé Le Bon usage de Maurice GREVISSE ?
Crise
de la technique normative. La conception d’un texte normatif exige un
appareillage technique et un outillage conceptuel spécifiques dont les
arcanes échappent bien souvent aux hauts fonctionnaires de la
technostructure administrative sénégalaise. Aussi, la pratique normative
a-t-elle permis de révéler des manquements persistants aux règles
relatives à la rédaction des textes préjudiciables à l’efficacité des
interventions normatives au Gouvernement et à la sécurité juridique .
Plusieurs
rapports publics de l’Inspection générale d’État sur l’état de la
gouvernance et de la reddition des comptes ont insisté sur la
dégradation progressive de la qualité du travail normatif au Sénégal, au
point qu’un auteur, évoquant des techniques de rédaction des textes au
Sénégal, a pu parler de « l’art de mal légiférer » .
Cette crise de
la technique législative méconnaît le principe de l’intelligibilité et
de l’accessibilité de la loi et entraîne une perte de légitimité de
celle-ci. La formulation défectueuse d’une disposition constitutionnelle
ou une erreur de renvoi ou de plume qui se glisse dans la rédaction
d’une loi a parfois charrié des contentieux inutiles et même des
troubles politiques regrettables.
Cette situation préoccupante
tenait en partie à l’absence d’un dispositif légistique de référence au
Sénégal. En effet, seules quelques règles de rédaction des textes
législatifs et réglementaires ont fait l’objet d’un encadrement
juridique parcellaire.
En effet, le Président Léopold Sédar SENGHOR,
par une véritable approche légistique, avait déjà codifié les règles
relatives à l’utilisation des majuscules dans le décret n° 75-1027 du 10
octobre 1975 relatif à l’emploi des majuscules dans les textes
administratifs, modifié par le décret n° 80-770 du 24 juillet 1980.
De
plus, l’inspection générale d’État (IGE) avait publié, en 1980, un
Manuel pratique de Secrétariat destiné aux agents de l’État. Ce document
rappelle les règles relatives aux abréviations, aux accents, aux
symboles et à la ponctuation, etc. Mais, il a un champ limité puisqu’il
renvoie pour l’essentiel, s’agissant des méthodes de rédaction et la
présentation des textes législatifs et réglementaires, à la circulaire
présidentielle n° 1596 PR/SG/JUR du 17 juillet 1980 relative à l’emploi
des majuscules et des virgules.
Nouvelle gouvernance normative. C’est
dans ce contexte que s’inscrit la nouvelle gouvernance normative
définie par le Président de la République, dès l’année 2014 et mise en
œuvre par le Premier Ministre, chargé de la coordination de l’activité
normative du Gouvernement . Cette nouvelle dynamique s’est manifestée
par la création du poste de Secrétaire général adjoint du Gouvernement
chargé des Affaires juridiques, la mutation institutionnelle du Bureau
de Liaison du Secrétariat général du Gouvernement, devenue une Direction
des Services législatifs et puis une Direction de l’Activité normative
et l’institution des Cellules juridiques au sein des départements
ministériels, en charge de coordonner la « production normative »
ministérielle .
En outre, le Premier Ministre a élaboré plusieurs
circulaires en vue d’améliorer la qualité des textes et d’en
rationaliser la procédure d’adoption. Ces circulaires ont été publiées
en 2018 dans un Recueil des principaux textes relatifs au travail
législatif et réglementaire du Gouvernement, par le Secrétariat général
du Gouvernement . À cet égard, la circulaire n° 00041 PM/SGG/SGA/PAT du
06 octobre 2015 sur les règles de présentation et de rédaction des
textes a fixé des règles uniformes de présentation et a rappelé
certaines normes de rédaction des textes en vue de faciliter leur
intelligibilité et d’assurer la cohésion de l’action administrative .
Cependant,
la circulaire du 06 octobre 2015 précitée, qui constitue une référence
légistique sûre pour les départements ministériels, ne prend pas en
compte toutes les techniques de rédaction des textes normatifs.
Conception
du Guide de légistique. Dans un contexte marqué par l’absence d’un
document de référence en matière de légistique, le Secrétariat général
du Gouvernement, sous la supervision du Premier Ministre, et en
collaboration avec plusieurs services de l’État, notamment l’Inspection
générale d’État, le Bureau Organisation et Méthodes et l’Inspection
générale des Finances, a engagé un vaste chantier de rédaction d’un
Guide de légistique.
Ce document, élaboré à l’intention des
fonctionnaires et des autres agents de l’Administration de l’État ainsi
que des citoyens, a pour objet de rappeler les techniques et les
méthodes de rédaction ainsi que les règles relatives à l’adoption et à
l’applicabilité des textes législatifs et réglementaires. Il rappelle et
rassemble dans un support référentiel unique tous les préceptes de
légistique et les bonnes pratiques fixés par les lois, décrets,
instructions et circulaires adoptés par les pouvoirs publics depuis le
lendemain de l’indépendance jusqu’à nos jours.
Contenu du Guide. Le Guide, qui compte plus de 330 pages, comporte six fiches qui traversent tout le travail normatif.
Il
suit les différentes étapes du travail normatif et tente de répondre
aux questions que se pose le rédacteur avant de prendre la plume,
pendant la conception de l’acte normatif et même après son entrée en
vigueur.
La fiche n° 1, qui revient sur des considérations générales
sur le paysage normatif, étudie les différentes catégories de textes
juridiques (Constitution, lois, ordonnances, décrets, arrêtés, etc.),
analyse la répartition constitutionnelle des domaines de la loi et du
règlement ainsi que les techniques normatives à la disposition du
rédacteur (abrogation, modification, retrait, approbation,
transposition, etc.).
Quant à la fiche n° 2, elle concerne les
travaux de préparation des textes législatifs et réglementaires. Ces «
préalables normatifs » se déclinent autour de la réalisation des études
préalables (situation de référence normative et étude d’impact et
d’opportunité) et du respect des concertations préalables.
La fiche
n° 3, qui constitue le noyau dur du Guide, traite des techniques de
rédaction des textes législatifs et réglementaires, à savoir les règles
générales et spécifiques de rédaction des textes, à savoir les
techniques de rédaction des amendements et les méthodes de transposition
des directives communautaires.
S’agissant de la fiche n° 4, relative
à la procédure d’adoption des textes, elle décrit le circuit de
validation des textes, c’est-à-dire l’ensemble des étapes et des
formalités à accomplir préalablement à l’entrée en vigueur des textes
normatifs.
La fiche n° 5 aborde les modalités d’applicabilité des
textes législatifs et réglementaires qui permettent de leur conférer un
caractère obligatoire et de créer des droits subjectifs.
Enfin, la
fiche n° 6 est relative à l’évaluation a posteriori des textes
législatifs et réglementaires. Elle contient les standards à respecter
pour apprécier les résultats, l’efficacité et l’efficience à court,
moyen ou long terme des textes juridiques, en vue d’inscrire l’action
normative de l’Etat dans une dynamique améliorative.
Le Guide comporte aussi, en annexes, des modèles de textes modificatif, abrogatif et autonome.
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Valeur juridique du Guide. En vue de garantir la bonne application du
guide, le Gouvernement, qui a entendu lui conférer une valeur
juridique, a justement mobilisé une puissante technique légistique, en
l’approuvant par décret présidentiel. En légistique, l’approbation est
une opération par laquelle une autorité donne son consentement à la
validation d’un acte ; ce qui a pour effet de conférer à cet acte
dépourvu de force juridique la même valeur que l’acte approbatif .
Ainsi, par l’effet de son approbation par décret, le Guide de légistique
s’en trouve élevé à la dignité décrétale et ne pourra ainsi être
modifié ou abrogé que par décret.
Néanmoins, par souci de
souplesse, les prescriptions du Guide de légistique relatives aux
techniques de présentation et de rédaction des textes législatifs et
réglementaires pourront, au besoin, être précisées par arrêté,
instruction ou circulaire du Premier Ministre ou du Ministre, Secrétaire
général du Gouvernement.
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En définitive, par l’adoption en Conseil des Ministres du projet de
décret portant approbation du Guide de légistique, le Sénégal s’arrime
aux bonnes pratiques et standards internationaux et devient l’un des
premiers pays en Afrique à disposer d’un Guide de légistique. Ce
formidable outil constitue une étape décisive dans l’édification de
notre système de gouvernance normative, gage de la performance de
l’action publique.
Gageons que les décideurs publics, les agents de l’État ainsi que les citoyens sauront en faire un bon usage.
Papa Assane TOURE
Inspecteur général d’État
Secrétaire général Adjoint du Gouvernement,
chargé des Affaires juridiques
Docteur en Droit privé et Sciences criminelles