Une opposition sénégalaise forte comme jamais et qui s’affaiblit (Par Abdoul Mbaye)
Quelques semaines à peine après avoir lancé son appel au dialogue, Macky Sall est en train de gagner son principal objectif: diviser le front uni de l’opposition. Pour l’instant, le F24 a su prendre la bonne décision en retenant une démarche qui sauvegarde son existence : sous réserve du respect de sa charte, chaque parti, mouvement, syndicat qui en est membre, est libre d’aller ou de ne pas aller au dialogue proposé par Macky Sall. La coalition YAW pourrait souffrir de ne pas avoir retenu une démarche simi
Si
tel était le cas, Macky Sall aurait déjà en partie gagné la
négociation. En effet, même dans l’hypothèse où il serait sincère, ce
que je ne pense pas, tout négociateur avisé a intérêt à négocier avec
une partie affaiblie par des intérêts divergents. En invitant à sa table
des leaders ayant des statuts différents de citoyens éligibles, non
éligibles, ou promis à une perte d’éligibilité en cours, il sait
parfaitement que leurs préoccupations et objectifs divergents les
diviseront. En réponse, l’intelligence politique de l’opposition aurait
dû consister à réclamer une première concession principale comme gage de
bonne foi et de dialogue sincère possible : l’alignement de tous les
membres de l’opposition au même statut, celui de l’éligibilité. Cette
étape a malheureusement été vite délaissée par des réponses précipitées à
l’appel sans large concertation préalable.
Cette étape
souhaitable aurait tout simplement consisté à réclamer la suppression du
mot « électeur » introduit subrepticement en 2018 par Macky Sall dans
l’article L57 de la loi électorale sénégalaise. Par cette manœuvre,
Macky Sall a ainsi rendu automatiquement inéligibles tous ceux qu’il a
fait condamner avec perte automatique de leurs droits d’électeurs (L29
et L30 de la même loi).
Que l’opposition ne pouvait-elle
s’entendre sur ce préalable avant de déclarer en ordre dispersé accepter
un dialogue sans termes de référence, en listant des conditions,
souvent nombreuses, à leur participation ! Cette posture aurait eu
l’avantage de :
1. Maintenir le front uni de l’opposition, et au moins un camp identifiable comme celui de l’opposition.
2.
Tester la sincérité de l’appel au dialogue plutôt que de s’y rendre
dans l’incertitude avec une posture de « demandeur d’éligibilité»,
puisque là se trouve l’essentiel recherché par ceux qui acceptent
l’appel lancé.
L’opposition sénégalaise a ainsi laissé passer une
belle opportunité de se montrer forte face à Macky Sall et d’obtenir de
lui des concessions indispensables au rattrapage d’au moins une partie
du recul démocratique qu’il a fait subir à la démocratie sénégalaise par
déni de principes et même du droit (refus de supprimer le parrainage
introduit en 2018 dans le cadre de la préparation de sa victoire à
l’élection présidentielle de 2019 comme y enjoint la Cour de Justice de
la CEDEAO).
Il appartient pourtant à cette opposition de relever
légèrement la tête au-dessus de sa tradition politique et politicienne,
de division et de guerre d’égos, pour se rappeler qu’elle dispose d’une
nouvelle force qu’elle a tendance à oublier. Il s’agit du poids
historique de sa présence au sein de la nouvelle Assemblée nationale qui
doit être privilégié aux guerres sans résultats de leadership en son
sein. La majorité contrôlée par Macky Sall au sein de cette institution
est ténue. Le vote peut s’y jouer à deux ou trois voix près, selon que
certains appartiennent vraiment à une opposition dont ils se réclament
ou non.
Qu’elle engage donc un processus de modification de la
loi électorale. Afin de créer l’unanimité au sein de l’opposition et en
dehors d’elle, cette modification pourrait ne seulement concerner que le
retrait du mot « électeur » de l’article L57.
L’introduction de
cette proposition de loi serait précédée d’un gros effort d’explication
et de communication auprès de toutes les couches de la société
sénégalaise. La communauté internationale, qui a également compris que
l’organisation d’une prochaine élection inclusive est la condition d’une
baisse des tensions dans notre pays et de sa stabilité, doit également
être concernée par cette démarche d’explication visant à remettre dans
le jeu politique ceux qui en sont déjà écartés ou qui pourraient l’être
par confirmation de simple délit de diffamation.
La démarche
explicative ne devra écarter aucun député de la majorité, car nous
aurions tort de penser que seule l’opposition regroupe les patriotes
aimant leur pays davantage que le maître de leur coalition politique.
Deux hypothèses sont alors envisageables:
1. Si le vote de la
proposition de loi devient effectif, des élections inclusives dont aucun
leader ne serait apriori écarté pourront être organisées ; le dialogue
avec Macky Sall deviendra moins soupçonneux, et les intérêts du Sénégal
d’aujourd’hui et de demain seront au cœur des échanges plutôt que du
marchandage d’éligibilité.
2. Si le vote de la proposition de
loi est rejeté, il sera alors clair aux yeux de notre peuple et de la
communauté internationale que Macky Sall œuvre pour le chaos au Sénégal.
S’il
m’est permis de rêver, j’en ajouterais une troisième, terminant par une
note d’espoir pour mon pays, pour notre République, pour notre Nation.
Elle est la suivante : le nouveau texte sous forme de proposition, ou de
projet de loi en procédure d’urgence, serait également voté par la
majorité BBY sur instruction de Macky Sall. Pour une fois, depuis bien
longtemps, la séance de l’Assemblée nationale serait tenue dans
l’allégresse plutôt que dans un brouhaha d’insultes et de coups
échangés. Et Macky Sall aura fait la preuve d’une sincérité qu’il
s’efforce de prouver avec le soutien de son service de communication
sans grande réussite pour l’instant.
Sénégalais debout !
Relevons la tête !