A 95 ans, l’heure du retour au pays natal pour le tirailleur Yoro Diao
« Nous rentrons chez
nous pour vivre avec nos petits-enfants » après « les affres de la guerre
et de la vie »: vétéran des guerres d’Indochine et d’Algérie au service
de la France, Yoro Diao retourne définitivement au Sénégal vendredi avec
d’autres tirailleurs, après une bataille avec l’administration
française pour la reconnaissance de leurs « sacrifices ».
A 95 ans, il n’est plus obligé de passer au moins six mois par an en France, loin des siens, pour avoir droit à sa pension.
« C’est
une victoire ! », lance-t-il à l’AFP depuis son studio dans un foyer à
Bondy, en région parisienne. L’effervescence et le chamboulement du
grand départ pour rentrer à Kaolack (centre du Sénégal) y sont
palpables.
Il
reçoit en impeccable costume, arborant à l’occasion ses nombreuses
médailles militaires. Un regard et un sourire bienveillants adoucissent
son visage émacié.
Trois valises s’entassent au sol, encombrant l’espace entre son lit et un bureau débordant de dossiers administratifs.
Une
autre valise a été coincée sous son lit, pleine de photos de famille et
de « camarades » anciens combattants, « des souvenirs » qu’il regarde ému,
dont la cérémonie où il a reçu la Légion d’honneur en 2017. « C’est le
président Hollande qui devait me décorer mais il n’avait pas le temps,
alors il a délégué le préfet… », glisse-t-il avec malice.
Des
pense-bêtes sont posés ça et là car sa mémoire lui joue des tours. Dans
le stress, il a ainsi mis dans son container de déménagement son
passeport rangé dans une veste…
« Négligence »
Le
corps français des « Tirailleurs sénégalais », créé sous le Second Empire
(1852-1870) et dissous dans les années 1960, rassemblait des militaires
des anciennes colonies d’Afrique. Le terme a fini par désigner
l’ensemble des soldats d’Afrique qui se battaient sous le drapeau
français. Ils ont participé aux deux Guerres mondiales et aux guerres de
décolonisation.
Selon
l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais,
37 tirailleurs – tous d’origine sénégalaise, et ayant servi
principalement en Indochine et en Algérie – vivent en France. Parmi eux,
un premier groupe – M. Diao et huit autres, âgés de 85 à 96 ans, –
s’envolera vendredi pour le Sénégal.
Ce
retour a été rendu possible grâce à une mesure dérogatoire décidée par
le gouvernement français, qui leur permet de vivre en permanence dans
leur pays d’origine, sans perdre leur allocation minimum vieillesse de
950 euros par mois.
Une aide exceptionnelle de l’Etat finance leur déménagement, leur vol retour et leur réinstallation.
Ces
mesures sont les ultimes batailles menées par Aïssata Seck, 43 ans,
petite-fille d’un tirailleur, et présidente de l’Association.
Cela
fait dix ans qu’elle lutte pour ces « anciens ». « Choquée » par leurs
conditions de vie et leurs difficultés souvent « humiliantes » dans leurs
démarches administratives.
« Il
y a eu négligence » de l’Etat à leur égard, martèle la conseillère
régionale d’Ile-de-France et conseillère municipale à Bondy, rappelant
que la France n’a levé qu’en 2006 les mesures de gel qui bloquaient les
pensions des anciens combattants coloniaux, contrairement à celles des
anciens combattants français qui étaient revalorisées.
Elle
lance en 2016 une pétition et l’ex-président François Hollande accorde
aux tirailleurs la nationalité française en 2017. Puis le gouvernement
d’Emmanuel Macron annonce début 2023 cette mesure dérogatoire pour leur
allocation.
« J’ai rien lâché » pour rappeler leurs « sacrifices », lance Mme Seck.
Engagé
volontaire dans l’armée française par tradition familiale, Yoro Diao
dit ainsi avoir « donné sa jeunesse à la France » et avoir été « touché au
moral » par la perte au combat de compagnons d’armes.
En
particulier celle de son grand ami Fernand Lotier, un soldat français
tué à ses pieds en Indochine. « Il a pris une balle en pleine poitrine;
il m’a dit +Yoro je vais mourir!, j’ai dit +non Lotier quand même!+ puis
il m’a montré sa blessure… »
« Terrible » Indochine, l’Algérie
M.
Diao raconte avec acuité l’enfer de cette guerre d’Indochine où il a
passé trois ans à partir de 1951, dans des « pluies torrentielles », les
« animaux charognards qui mangeaient la chair humaine ».
« C’était
terrible… j’étais infirmier major, chef des brancardiers; (je
transportais) les blessés sous le feu de l’ennemi; c’est +la baraka+,
j’ai pas été blessé mais j’ai perdu beaucoup de camarades »,
souffle-t-il.
Puis il sera mobilisé pour la guerre d’Algérie, pendant deux longues années.
Alors,
cette obligation de passer six mois par an en France, M. Diao l’a vécue
avec incompréhension et a souffert « d’isolement », n’ayant pas les
moyens pour faire venir sa famille.
Avec
pudeur, il confie être meurtri de ne pas avoir été aux côtés de son
épouse quand elle est décédée en 2017. « Je la perds comme ça, sans être
présent… nous avons fait 40 ans de mariage, ça faisait mal ! ».
En
2015, il se rend au Sénégal deux fois (au lieu d’une fois
réglementaire) pour s’occuper d’elle. Il est depuis 2016 sanctionné par
l’administration française qui lui prélève 66 euros par mois, et lui
réclame encore plus de 13.000 euros.
« Par rapport à ma carrière militaire, c’est dur… », lâche M. Diao.
Selon
lui, les dernières mesures gouvernementales arrivent ainsi « tard ». Cela
a « mis trop de temps pour coïncider avec notre vie… ».
Mais
« mieux vaut tard que jamais », concède-t-il, évoquant sa joie de revoir
ses petits et arrière-petits-enfants. « Je vais bien vivre, je vais
manger, je vais me promener dans le village ».
Aïssata
Seck est « très contente » pour les neuf tirailleurs, qui « rentrent de
manière sereine ». « C’est le retour de leur dignité », lance-t-elle.