Les combats s’intensifient au Soudan, près de 200 morts en trois jours
Plus de 185 personnes ont été tuées au Soudan où la lutte pour le
pouvoir des deux généraux aux commandes depuis le putsch de 2021 a gagné
en intensité.
Dans
le ciel de Khartoum, les avions de l’armée du général Abdel Fattah
al-Burhane , dirigeant de facto du pays depuis le putsch de 2021,
tentent de venir à bout des tirs intenses des blindés des paramilitaires
des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo ,
dit « Hemedti », son second pour le coup d’Etat devenu depuis samedi son
ennemi juré.
Après
que trois employés du Programme alimentaire mondial (PAM) ont été tués
au Darfour (ouest), les humanitaires dénoncent des pillages et l’ONU de
« graves violations » contre son personnel. Lundi soir, l’Union européenne
a annoncé que son ambassadeur avait été « agressé dans sa résidence » à
Khartoum où les combats de rue et les bombardements sont incessants et
n’épargnent aucun secteur.
Face
au danger, plusieurs ONG et agences de l’ONU ont suspendu leurs
activités, un coup dur dans un pays où la faim touche plus d’un habitant
sur trois.
Au
moins deux hôpitaux de la capitale ont été évacués « alors que roquettes
et balles criblaient leurs murs », ont annoncé des médecins qui disent
n’avoir plus de poches de sang ni d’équipements pour soigner les
blessés.
Médecins
sans Frontières (MSF) raconte avoir accueilli lundi 136 blessés dans
son dernier hôpital fonctionnel au Darfour-Nord. « La majorité sont des
civils qui ont été pris dans les tirs, dont beaucoup d’enfants »,
rapporte l’ONG. « Onze sont morts » samedi et dimanche faute d’équipement
et de personnel.
A
Khartoum, depuis le déclenchement des combats samedi, les habitants se
barricadent dans leurs maisons. Au-dessus d’eux, des colonnes d’épaisse
fumée noire s’élèvent, une odeur de poudre pique les narines et chacun
se demande quand l’électricité et l’eau courante reviendront.
Implications régionalesA
chaque nouvelle frappe aérienne ou tir d’artillerie, parents et enfants
sursautent, racontent des familles qui n’ont jamais vu une telle
violence dans la capitale d’un pays qui se lançait il y a quatre dans
une transition qui se voulait démocratique.
Aujourd’hui,
tous regardent, depuis leurs fenêtres, passer des blindés ou des
miliciens à bord de véhicules civils dont ils ont retiré les plaques
minéralogiques. En espérant qu’aucune balle perdue ou éclat d’obus ne
vienne frapper leur immeuble.
Les
rares épiceries ouvertes ont prévenu qu’elles ne tiendraient plus qu’un
jour ou deux si aucun camion n’entre pour approvisionner la ville.
Plus
de 185 personnes ont été tuées, selon l’ONU, et 1.800 au moins
blessées. Les belligérants, eux, n’ont jamais communiqué sur leurs
pertes.
L’ONU
appelle les deux généraux de « cesser immédiatement les hostilités » car
elles pourraient être « dévastatrices pour le pays et toute la région ».
Mais l’émissaire des Nations Unies au Soudan, Volker Perthes, s’est dit
peu optimiste sur un retour rapide au dialogue alors qu' »il est
difficile d’évaluer dans quel sens l’équilibre évolue ».
Le
conflit était latent depuis des semaines entre le général Burhane et le
général Mohamed Hamdane Daglo, dont les ex-miliciens de la guerre dans
la région du Darfour étaient devenus ces dernières années les supplétifs
officiels de l’armée.Lundi, les contacts diplomatiques ont semblé s’intensifier.
En
fin de journée, l’Egypte, grand voisin influent, a annoncé avoir
discuté de la situation avec l’Arabie saoudite, le Soudan du Sud et
Djibouti, trois autres acteurs importants au Soudan, ainsi qu’avec
Paris. Le Qatar de son côté s’est entretenu avec le président de la
Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, censé se
rendre au plus vite au Soudan, au-dessus duquel plus aucun avion ne
vole.
En
pleine guerre médiatique, les belligérants ont continué de
s’invectiver: « Burhane bombarde les civils depuis les airs, nous le
poursuivons et l’amènerons en justice », a lancé le général Daglo, en
anglais, sur Twitter. En face, l’armée a assuré sur Facebook « se
rapprocher tout près de l’heure de la victoire définitive ».« Première fois à Khartoum »Il
était toujours impossible lundi de savoir quelle force contrôle quoi.
Les FSR ont annoncé avoir pris l’aéroport et être entrés dans le palais
présidentiel, ce que l’armée a nié.
L’armée assure tenir le QG de son état-major, l’un des principaux complexes du pouvoir à Khartoum.
Quant
à la télévision d’Etat, après deux jours de combats à ses abords, elle
diffuse désormais des images et des communiqués de l’armée qui assure
avoir regagné du terrain en de nombreux endroits.
« C’est
la première fois de l’histoire du Soudan depuis l’indépendance (en
1956) qu’il y a un tel niveau de violence dans le centre, à Khartoum »,
assure à l’AFP Kholood Khair, qui a fondé le centre de recherche
Confluence Advisory à Khartoum.
Khartoum
« a toujours été l’endroit le plus sûr du Soudan, pendant les guerres
meurtrières contre des rebelles » lancées au Darfour et ailleurs dans les
années 2000, poursuit-t-elle.
Mais
depuis samedi, des médecins rapportent des coupures d’électricité dans
des salles d’opération, racontent que des patients, parfois des enfants,
et leurs proches « n’ont plus ni à boire ni à manger ».
« Aujourd’hui,
les combats se déroulent partout dans la ville, les FSR sont implantées
partout et notamment dans des zones densément peuplées car les
belligérants ont cru que la possibilité d’un bilan civil élevé allait
dissuader l’autre camp: maintenant on sait que leur lutte de pouvoir à
tout prix l’a emporté », résume Mme Khair.