Mali: le groupe État islamique prend Tidermène, Ménaka en sursis
La commune de
Tidermène, dans le nord-est du Mali, près de la frontière avec le Niger,
est aux mains du groupe État islamique depuis lundi après-midi. La
ville de Ménaka est à présent encerclée par les jihadistes de l’EI qui
ont progressivement pris le dessus sur leurs rivaux du Groupe de soutien
à l’islam et aux musulmans (Jnim), lié à Al-Qaïda.
Cette
fois, ils n’ont même pas eu à combattre. Selon plusieurs sources
locales, sécuritaires et communautaires, les jihadistes de la branche
sahélienne du groupe État islamique ont investi Tidermène, environ 75
kilomètres au nord de Ménaka, lundi après-midi. Leurs rivaux du Jnim,
lié à Aqmi, n’ont pas tenté de s’opposer. Un peu plus d’un an après le
début de la vaste et meurtrière offensive lancée par l’EI dans le
nord-est du Mali – près d’un millier de morts depuis mars 2022, selon
les décomptes cumulés des communautés locales –, la ville de Ménaka est
aujourd’hui encerclée, isolée. Après les prises de Tamalat,
Anderamboukane, Inekar, Talataye, l’arrivée de l’organisation État
islamique à Tidermène prive Ménaka de sa dernière voie d’accès.
«
Ils coupent directement Ménaka du Nord », à présent « l’État islamique
peut empêcher tout ravitaillement qui n’est pas sous escorte »,
constatent avec amertume plusieurs sources locales. Depuis un an, la
population de la ville de Ménaka a été multipliée par trois du fait de
l’afflux des déplacés qui ont fui les attaques des communes voisines.
Selon les chiffres onusiens, la population de Ménaka est ainsi passée de
11 000 à plus de 30 000 habitants, accueillis dans la plus grande
précarité. Les témoignages de civils, joints ces dernières semaines par
RFI, évoquent des familles entassées dans les cours des maisons, dans
des campements de fortune installés au bord des routes ou même à
l’extérieur de la ville, bien souvent sans accès direct à l’eau et sans
ressource suffisante pour acheter de la nourriture.
« Combattre ou plier bagages »«
C’est fini », se désespère un cadre communautaire de Ménaka, qui
poursuit : « nous attendons la fin du Ramadan, on verra ensuite ce que
les gens veulent faire : combattre tous ou plier bagages. » Cette source
estime que les habitants de la ville et, plus globalement, de la
région, ont été abandonnés à leur sort. Le MSA (Mouvement pour le salut
de l’Azawad) et le Gatia (Groupe autodéfense touareg imghad et alliés),
groupes armés signataires de l’accord de paix de 2015 et en pointe
depuis un an pour tenter de protéger les civils de la région, n’ont pas
reçu l’aide qu’ils attendaient de la part des autres groupes armés du
Nord. Quant aux casques bleus de la Minusma et aux militaires maliens
présents dans la ville, avec une poignée de leurs supplétifs russes, ils
demeurent cantonnés dans la ville. Aucune des sources jointes par RFI
n’estime que ces forces sont en mesure de défendre la ville face aux
centaines de combattants – plus d’un millier selon certaines estimations
– du groupe État islamique, actifs dans cette zone du nord-est du Mali,
mais également de l’autre côté de la frontière avec le Niger, toute
proche.
«
Nous avons combattu avec Issoufou et Bazoum [l’ancien et l’actuel
président du Niger voisin, NDLR], avec IBK [ex-président du Mali
renversé par le coup d’État d’août 2020, NDLR] et avec Barkhane [la
force française chassée du Mali par les autorités de transition et qui a
achevé son retrait en août dernier], mais la plupart du temps, nous
sommes restés seuls », déplore un cadre de la Plateforme, qui rassemble
le MSA et le Gatia. Ni les attaques successives, ni les centaines de
Maliens tués depuis un an dans cette partie du pays n’ont arraché le
moindre communiqué ni la moindre déclaration aux autorités maliennes de
transition.
Habitants en sursisSollicités
par RFI sur la chute de Tidermène, sur la situation plus que précaire
de Ménaka et sur l’envoi d’éventuels renforts, ni l’armée malienne, ni
le ministère malien de la Défense n’ont donné suite. La Minusma indique
quant à elle qu’« actuellement, la situation dans la ville de Ménaka et
ses environs immédiats reste relativement calme. La Minusma et les
forces de défense et de sécurité maliennes coordonnent leurs efforts
pour protéger les civils. » Des déclarations rassurantes qui tranchent
avec le désarroi affiché par les représentants communautaires locaux
joints par RFI.
«
Je ne crois pas qu’ils attaqueront la ville maintenant, juge cependant
un cadre de la Plateforme, cela mobilise trop d’hommes. » De fait, le
groupe EI n’a jusqu’ici jamais cherché à occuper les villes. Les tenir
sur le long terme nécessiterait des moyens importants. Circuler, mener
des attaques rapides puis se retirer tout en s’assurant du contrôle du
secteur, telle semble être la stratégie adoptée. « Je ne pense pas qu’il
y aura de bataille, abonde une autre source sécuritaire du nord du Mali
qui suit de très près la situation. L’EIGS a d’abord affaibli le MSA et
le Gatia, puis le Jnim. Maintenant, ils sont maîtres du terrain. » Pas
forcément de quoi rassurer les habitants de Ménaka, qui se savent
désormais en sursis.