Présidentielle tendue au Nigeria et à l’issue incertaine
Entre pénuries et
risques de violences, les Nigérians s’apprêtent à élire samedi le
prochain président du pays le plus peuplé d’Afrique lors d’un scrutin
qui s’annonce tendu et dont l’issue reste incertaine.
Pour
la première fois depuis le retour à la démocratie en 1999, le Nigeria
pourrait connaître une présidentielle à deux tours, alors que la
popularité croissante d’un candidat outsider et une pénurie de billets
de banque sont venues chambouler la campagne.
A
80 ans, le président Muhammadu Buhari se retire après deux mandats
marqués par une explosion de l’insécurité et de la pauvreté dans ce pays
où 60% de la population a moins de 25 ans.
Quelque
94 millions d’électeurs sont appelés dans 176.000 bureaux de vote pour
élire son successeur parmi 18 candidats, ainsi que des députés et
sénateurs.
Un
rendez-vous crucial alors que le Nigeria devrait devenir en 2050 le
troisième pays le plus peuplé au monde et que l’Afrique de l’Ouest est
menacée par un fort recul démocratique et la propagation de violences
jihadistes.
Lagos
a certes érigé le Nigeria au rang de puissance culturelle mondiale
grâce à Nollywood, deuxième industrie cinématographique au monde, et à
l’Afrobeats, genre musical qui enflamme la planète avec ses stars comme
Burna Boy et Wizkid.
Mais
le prochain président du premier producteur de pétrole et de la plus
grande économie du continent héritera surtout d’une myriade de
problèmes: des violences criminelles et jihadistes dans le nord et le
centre, une agitation séparatiste dans le sud-est, une inflation
galopante ou encore un appauvrissement généralisé.
– Candidat surprise –Si
les pancartes électorales ont coloré les routes lors d’une campagne
marquée par des meetings géants organisés à travers tout le pays, c’est
surtout la détresse qui se lit sur les visages.
« Un
homme sensé ne peut pas voter pour le parti au pouvoir une nouvelle
fois », fulmine Mohammed Badawa, un commerçant de 52 ans coincé dans une
file d’attente devant une banque.
Le
pays est depuis plusieurs semaines confronté à une grave pénurie de
liquidités liée à une récente réforme de la banque centrale, qui a
provoqué des émeutes dans de grandes villes.
Le
parti au pouvoir (APC) a pour candidat Bola Tinubu. A 70 ans, cet
ex-gouverneur de Lagos (1999-2007) est surnommé le « parrain » ou « le
faiseur de roi » du fait de son immense influence au sein du pouvoir.
Lors
de sa campagne, ce Yorouba (ethnie majoritaire dans le sud-ouest) de
confession musulmane n’a cessé de répéter qu’il est le seul à même de
pouvoir redresser le Nigeria, vantant son bilan à Lagos.
Richissime
homme d’affaires, il a gravi tous les échelons politiques au gré
d’accusations de corruption sans jamais être condamné.
Tout
comme Atiku Abubakar, le candidat du principal parti d’opposition (le
PDP qui dirigea le pays de 1999 à 2015), cité dans de nombreuses
affaires. A 76 ans, cet ancien vice-président (1999-2007) briguera pour
la sixième fois la magistrature suprême.
Seul favori à être originaire du nord, il espère rafler de nombreux votes dans cette région stratégique.
– Possible deuxième tour ? –Mais face à ces deux vétérans, un challenger crédible a émergé.
La
popularité de l’ex-gouverneur d’Anambra (sud-est) Peter Obi, chrétien
de 61 ans, soutenu par le petit Parti travailliste (LP), a pris tout le
monde de court.
Celui
qui jouit d’une réputation d’homme intègre séduit la jeunesse connectée
et urbanisée du pays, en lui promettant un « nouveau Nigeria ».
Le
taux de participation est généralement faible au Nigeria (33% en 2019),
mais un pic de nouveaux inscrits sur les listes électorales (10
millions dont 76% à moins de 34 ans) pourrait changer la donne.
L’insécurité
avec des attaques des jihadistes de Boko Haram et de l’Etat islamique
(nord-est), de bandes criminelles (nord-ouest et centre), et de
séparatistes armés (sud-est) « pourraient perturber le vote dans de
nombreux endroits », s’inquiète le centre de réflexion International
Crisis Group (ICG).
La
course entre les trois favoris « signifie qu’on ne peut pas totalement
exclure un second tour à cette élection, ce qui serait une première au
Nigeria », ajoute ICG.
Pour l’emporter, un candidat doit obtenir la majorité des voix et au moins 25% des suffrages dans deux tiers des 36 Etats.
Au
Nigeria, les résultats sont quasiment toujours contestés et l’issue
incertaine du scrutin fait redouter des violences post-électorales.