Le plan d’invasion de l’Ukraine par la Russie était connu des États-Unis dès octobre 2021
Des mois avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les États-Unis connaissaient déjà les détails du plan d’action de Moscou. Mais les plus hauts dirigeants américains ne sont pas parvenus à convaincre leurs alliés de l’imminence de l’attaque (photo d’archive prise à la Maison Blanche en février 2021).
GUERRE EN UKRAINE – Les États-Unis connaissaient pratiquement tout, dès le mois d’octobre 2021, du plan russe d’invasion de l’Ukraine, finalement déclenché le 24 février dernier. Et malgré cela, ils ne sont pas parvenus à convaincre leurs alliés, ni même les Ukrainiens d’ailleurs, de la possibilité et de l’immense de l’attaque. Voici ce que révèle le Washington Post dans une longue enquête publiée ce mardi 16 août.
Compilant des photographies satellites, des communications interceptées en Russie et du renseignement humain obtenu dans les hautes sphères du pouvoir politique comme dans les rangs de l’armée de Moscou, les services secrets américains ont effectivement prévenu très tôt qu’un plan d’ampleur était mis au point, bien plus ambitieux que l’annexion de la Crimée en 2014 ou qu’une attaque dans les régions séparatistes du Donbass, dans l’est du pays.
Ajoutant à cela des analyses comportementales de Vladimir Poutine, « qui, allant fêter ses 69 ans, avait compris qu’il commençait à manquer de temps pour devenir l’un des dirigeants marquants de l’Histoire de la Russie », les renseignements américains ont ainsi convoqué dès octobre des réunions de première importance. Face à Joe Biden, la vice-présidente Kamala Harris, les ministres de la Défense et des Affaires étrangères et le chef d’état-major, ils ont prévenu dès octobre 2021 : « Toutes les pièces sont en place pour un assaut massif. »
Un plan d’action détaillé par le menu
À ce moment-là, des mouvements de troupes importants en direction des abords de l’Ukraine ainsi que la constitution de stocks de munitions, de nourriture et d’autres ressources nécessaires à une invasion indiquaient aux Américains l’imminence de l’attaque, même s’ils ne disposaient pas du jour précis de son lancement.
Comme le rapporte toujours le Washington Post, qui a interrogé des sources au sein du renseignement, des dirigeants ukrainiens, américains et des membres de l’Otan, les États-Unis ont très tôt été en possession d’un plan ressemblant à s’y méprendre à ce qu’ont entrepris les troupes de Vladimir Poutine.
Selon les informations transmises à Joe Biden en octobre, la Russie avait d’une part prévu d’encercler Kiev par le nord et l’Est, progressant notamment à travers la zone d’exclusion autour de Tchernobyl. Profitant de l’hiver et de la terre glacée pour avancer rapidement, l’objectif était de prendre la capitale ukrainienne en trois ou quatre jours, et de capturer Volodymyr Zelensky pour le remplacer par un président fantoche. Dans le même temps, Moscou voulait utiliser des troupes basées en Crimée et à la frontière à l’est de l’Ukraine pour prendre possession de tout le sud-est du pays.
Une fois cette première phase accomplie, la Russie ambitionnait de réduire l’État ukrainien à sa portion la plus occidentale, jugée comme trop anti-russe pour pouvoir être conquise et occupée. La Russie, quant à elle, aurait contrôlé une large partie orientale du pays, de la Moldavie au sud au Bélarus au nord. « Un plan d’une audace stupéfiante », évoquent les renseignements américains dans le rapport, qui aurait même pu « détruire l’architecture de l’Europe post-Deuxième Guerre mondiale ».
Le scepticisme des alliés et des Ukrainiens
Sauf que les États-Unis se sont alors retrouvés face à un casse-tête. Refusant de s’engager seuls dans une aide à l’Ukraine, avec l’équilibre délicat d’en faire suffisamment pour qu’elle ne soit pas vaincue, et pas trop pour ne pas donner l’impression d’entrer en conflit ouvert avec la Russie, ils se sont dans le même temps heurtés au scepticisme de leurs alliés. Et à l’échec des négociations avec l’entourage de Vladimir Poutine, auquel ils ont plusieurs fois expliqué qu’ils connaissaient son plan d’invasion.
Fin octobre, Joe Biden a pourtant transmis quelques informations sensibles à ses plus proches alliés : la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Puis mi-novembre, Avril Haines, première femme à diriger le renseignement national des États-Unis, s’est exprimée devant les membres de l’Otan pour leur livrer des éléments des services de renseignements. « Mais seuls les Britanniques et les pays baltes étaient partants pour réagir et armer l’Ukraine », relate une source au Washington Post. Avril Haine en personne se souvient dans l’article que « de nombreuses interrogations existaient quant à la possibilité que Vladimir Poutine se lance dans une invasion d’une telle ampleur ». « Ils se disaient ’Il ne va pas envahir, c’est cinglé », ajoute un cadre de l’administration Biden.
Ainsi, Français et Allemands ont refusé de croire que « seuls » 80 à 90 000 soldats puissent suffire pour envahir un pays aussi vaste et peuplé que l’Ukraine. D’autant que leur confiance envers le renseignement américain avait été éreintée par le fiasco de la guerre en Irak, et plus récemment par le départ désastreux des troupes américaines d’Afghanistan, alors même que les Américains affirmaient quelques jours avant que les autorités locales avaient les moyens de résister aux talibans.
Pour expliquer la défiance des alliés de Washington s’ajoute aussi le fait que les Américains n’aient fourni que peu de preuves de ce qu’ils avançaient. Par peur d’interception de ces données et parce qu’ils craignaient qu’une fois mis au courant, les Ukrainiens puissent tenter eux-mêmes d’attaquer les positions russes et donc de précipiter une escalade, ils ont ainsi préféré limiter les informations transmises à leurs alliés.
Dernier élément : ceux-ci doutaient par ailleurs de la capacité de Volodymyr Zelensky, « un ancien comique de télévision qui avait perdu le soutien populaire du fait de son incapacité à obtenir la paix avec la Russie », à gérer un conflit face à tel rival. Avec pour conséquence l’invasion finalement déclenchée en février face à une Ukraine peut-être loin d’être aussi préparée qu’elle aurait pu l’être.
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