Lettre du jour : Une formidable opportunité de clarification (Par Adama NDIAYE)
Pape Diop a franchi le Rubicon. Après quelques semaines d’atermoiement, le chef de file de la coalition Bokk Gis Gis a décidé de rallier le groupe parlementaire Benno Bok Yakaar, assurant ainsi une majorité, certes étriquée,mais une majorité quand même, au Président de la République, Macky Sall. Ce ralliement, comme on pouvait s’y attendre, a déclenché quelques cris d’orfraie, du reste compréhensibles. Il y a quelques semaines, lors de la campagne électorale, Pape Diop a dressé un tableau peu reluisant du Sénégal de Macky Sall et battu campagne au nom de la rupture. “Il y a eu une seconde alternance en 2012 mais les changements ne sont pas notables. En vérité, on assiste à un recul sur tous les plans. J’ai fait le tour du pays, mais rien n’a changé”, déclamait-il. Deux semaines après, le voilà qui part à Canossa…
Mais au-delà des considérations morales et éthiques, le revirement de Pape Diop offre une chance de redessiner les cartes et d’offrir plus de clarté dans l’échiquier politique.
Quoiqu’on en pense, Pape Diop a plus d’affinités avec Macky Sall, Idrissa Seck, Souleymane Ndéné Ndiaye, Modou Diagne Fada, qu’avec Ousmane Sonko, Barthélémy Dias, Guy Marius Sagna. Les retrouvailles libérales, tant chantées par Serigne Mbacké Ndiaye, et auxquelles Macky Sall semble travailler ardemment par des décisions autant politiques que symboliques, doivent se concrétiser. Mais pour que cela ait du sens, il faut que Abdoulaye Wade, à son tour, bénisse et parraine ses retrouvailles.
Seulement en a-t-il intérêt ?
Après tout, Macky Sall est une bête blessée, qui semble plus proche de la fin comme l’attestent les dernières élections locales, mais surtout le récent scrutin législatif. Le Pape du Sopi pourrait légitimement continuer à miser sur le cheval Yewwi Askan Wi pour prendre une revanche sur le destin et repositionner son fils, Karim Wade.
N’empêche, une fusion APR/PDS aurait le mérite d’en finir avec cette détestable manie des alliances de circonstance qui donne des airs de tambouille aux différentes coalitions politiques.
Trois blocs
Trois blocs doivent se dessiner autour des anciennes sensibilités politiques historiques.
Un bloc “libéral” constitué de l’Alliance pour la République et du Parti démocratique Sénégalais (PDS).
Un axe social-démocrate autour de du Parti socialiste (PS) et de l’Alliance des Forces de Progrès (AFP). Ces deux formations, en constante perte de vitesse, ont tout intérêt à s’émanciper de Benno Bok Yakaar (BBY). Pour que cela se concrétise, les leaders des deux partis devront mettre en sourdine les vieilles querelles cristallisées par la rivalité entre le défunt Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse. Inimitié entre les deux leaders qui avait fait capoter la candidature unique de la coalition Benno Siggil Sénégal, lors de la présidentielle de 2012 et…propulsé Macky Sall au second tour. Et puisqu’on est un peu dans le l’ordre de la fiction politique, Aissata Tall Sall, Khalifa Sall, Barthélémy Dias, Alioune Sarr et Dr Malick Diop pourraient être les fers de lance de cette gauche modérée.
L’ultime bloc, sorte d’ovni politique contestataire, populaire/populiste et nationaliste aurait naturellement pour figure de proue, Ousmane Sonko. Portée par son aura personnelle et une popularité de plus en plus grandissante dans les coins les plus reculés du Sénégal, le leader de PASTEF a d’ailleurs tout intérêt à cultiver sa posture anti-système. Sa nature implacable est, précisément, un obstacle à l’épanouissement sous son égide de larges coalitions, comme l’a illustré les bisbilles au sein de Yewwi Askan Wi lors de la phase d’investiture des candidats. Le costume du franc-tireur allant seul à la conquête du vote populaire semble mieux lui convenir.
Même s’il est certain que la décision de Pape Diop n’aura pas un effet domino d’une telle ampleur, la vie politique sénégalaise mérite un peu plus de cohérence. La bataille des idées doit primer sur les querelles entre hommes. Et le Sénégal doit sortir de cette funeste tendance où la compétition électorale se résume à un référendum contre le Président en place. « Tout sauf Diouf”, “tout sauf Wade” et maintenant “tout sauf Macky”…