Mali : Minusma, la mission des Nations unies au bord de la rupture
Le futur de la mission des Nations unies au Mali
(Minusma) paraît plus que jamais incertain. Mercredi, les autorités de
transition ont ordonné l’expulsion de son porte-parole, accusé de
propager de fausses informations, alors que sur le terrain, les
problèmes logistiques s’accumulent.
Après
la France et ses partenaires européens, les Nations unies vont-elles
devoir, à leur tour, quitter le territoire malien ? La question est sur
toutes les lèvres à la suite de l’annonce, mercredi 20 juillet, de
l’expulsion d’Olivier Salgado, le porte-parole de la Minusma (Mission
multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au
Mali).
Les
autorités, qui détiennent depuis le 10 juillet 49 soldats ivoiriens
considérés comme des « mercenaires », reprochent au représentant de
l’organisation d’avoir affirmé « sans aucune preuve » que Bamako avait été
informé de leur arrivée sur le sol malien. Cette crise diplomatique
intervient dans un contexte militaire compliqué pour les forces des
Nations unies.
Déjà
considérée comme la mission de l’ONU la plus dangereuse du monde, la
Minusma se retrouve aujourd’hui fragilisée par le départ de Barkhane,
qui lui procurait jusqu’ici un précieux soutien aérien. Autre ombre
majeure au tableau, l’annonce par l’Égypte, l’un de ses principaux
partenaires, de la suspension de son contingent, à partir de mi-août,
faisant suite à la « multiplication des attaques contre ses Casques
bleus ».
Efficacité contestée
Si
l’expulsion d’Olivier Salgado a fait éclater au grand jour les tensions
entre le pouvoir malien et l’organisation onusienne, celles-ci ne sont
pas nouvelles. « L’ONU fait l’objet au Mali des mêmes critiques que
Barkhane car d’énormes moyens ont été déployés au Sahel sans résultats
tangibles pour la population », explique un expert de la sécurité au Mali
sous couvert d’anonymat.
Présente
au Mali depuis 2013, la Minusma comprend actuellement 12 261 militaires
issus de 57 pays déployés sur le terrain. Contrairement aux missions
militaires française (Barkhane) et européenne (Takuba), son mandat se
limite à appuyer les autorités maliennes dans la sécurisation des
populations et n’inclut pas la lutte antiterroriste.
Un
positionnement critiqué en septembre 2021 par le Premier ministre
malien Choguel Maïga, qui avait appelé à « un mandat plus robuste » ainsi
qu’à « un changement de posture » de la force onusienne.
Tensions autour des droits de l’Homme
La
mission comprend également 1 718 policiers ainsi que 1 180 civils, dont
des enquêteurs sur la question des droits de l’Homme. Le 30 mai
dernier, la Minusma a publié un rapport indiquant une forte hausse des
exactions, imputées parfois à l’armée malienne elle-même, appuyées « par
des éléments militaires étrangers ». Une référence implicite aux
miliciens russes de Wagner.
Le
ministère des Affaires étrangères malien avait réagi, fustigeant des
allégations ne « s’appuyant sur aucune preuve tangible » et visant à
« discréditer » les forces maliennes. Alors que le Conseil de sécurité de
l’ONU a approuvé le renouvellement de la mission le 30 juin pour un an,
le Mali a fait savoir qu’il refusait d’octroyer aux enquêteurs des
droits de l’Homme la liberté de circuler sans autorisation préalable.
Une décision annoncée au nom de la souveraineté malienne qui contrevient
aux critères définis par l’ONU dans le cadre de ses missions.
Rotations suspendues À
ces tensions autour de la question des droits de l’Homme s’est ajoutée
l’affaire des 49 militaires ivoiriens arrêtés à l’aéroport de Bamako.
Invoquant la « sécurité nationale », les autorités ont annoncé, le 14
juillet, la suspension immédiate des rotations des contingents
militaires et policiers de la Minusma « y compris celles déjà programmées
ou annoncées ».
Une
situation qualifiée d’ »extrêmement préoccupante » par l’organisation,
soulignant que les retards dans la relève de ces contingents ont des
conséquences « en termes d’efficacité opérationnelle » ainsi que sur le
« moral des personnels en uniforme ».
Envoyés
par les pays partenaires des Nations unies, les Casques bleus sont
habituellement déployés pour des missions d’environ six mois, avant
d’être relevés et remplacés par un nouveau contingent.
Or,
au Mali, avant même la suspension de leur rotation, nombre d’entre eux
s’étaient déjà vu contraints de prolonger leurs missions du fait de la
fermeture des frontières, dans le cadre des sanctions imposées par la
Cédéao contre le Mali, de janvier à juillet 2022.
Le soutien aérien, « un point critique »
Autre
problème et non des moindres, la peur du vide suscitée par le retrait
des forces françaises de Barkhane, dont le départ du Mali doit être
officialisé fin août.
La
fermeture des bases françaises « enlève forcément une bulle de sécurité
pour la Minusma, car la présence de Barkhane avait un effet dissuasif
certain pour les jihadistes » affirmait en décembre dernier l’ancien chef
d’état-major de la force Philippe Pottier.
Alors
que l’armée française comptait maintenir son soutien aérien aux forces
de l’ONU, Bamako a exigé son arrêt, arguant que cet accord avait été
conclu entre la France et la Minusma sans l’aval du Mali. En
conséquence, le soutien aérien de Barkhane a été retiré du mandat de la
mission onusienne.
« Dans
un théâtre aussi vaste et dangereux, cet aspect est un point critique,
pour les capacités opérationnelles de la mission comme pour la sécurité
des troupes », explique le général Jean-Paul Paloméros, ancien chef
d’état-major de l’Armée de l’air française. « Cet appui permet notamment
d’apporter un soutien médical avancé, c’est-à-dire sur place, ainsi que
de procéder à l’évacuation des blessés. À ce titre, il est essentiel
pour le moral des troupes en opération. »
Pour
pallier ces moyens en moins, la Minusma a lancé un appel auprès des
pays contributeurs de troupes pour la fourniture d’hélicoptères
« cruciaux pour la protection de la mission » comme pour celle « des
populations civiles ».
Des contributeurs inquiets
Face
à cette avalanche de difficultés, la Minusma fait le dos rond. Le 20
juillet, elle a jugé profondément regrettable l’expulsion de son
porte-parole tout en réaffirmant sa « détermination à continuer à œuvrer à
la mise en œuvre de son mandat ». Mais parmi ses pays contributeurs,
certains s’inquiètent désormais ouvertement des risques encourus par
leurs contingents. Car la Minusma est déjà de loin la mission de l’ONU
qui subit le plus de pertes humaines, avec 177 décès attribués à des
actes hostiles depuis 2013.
Le
15 juillet, l’Égypte a annoncé qu’elle allait suspendre la
participation de ses quelque 1 035 soldats, à compter du 15 août, pour
une durée indéterminée. Il s’agit de l’un des contingents les plus
nombreux et réputé parmi les plus aguerris de la Minusma. Quelques jours
plus tôt le pays avait exprimé « son inquiétude face à la multiplication
des attaques contre ses Casques bleus » qui ont coûté la vie à sept
d’entre eux depuis le début de l’année.