Niasse : L’esprit et la lettre de la République (Par Aliou Sall)
Une grande page d’histoire de notre pays se tourne avec la décision de Moustapha Niasse le Président de l’Assemblée Nationale de se retirer du champ politique. Pour ma génération qui a grandi sous son ombre, cette longévité force l’admiration et constitue véritablement une leçon de viesinon un art de vivre la cité : celui de faire de la politique en s’évertuant autant que possible de ne pas se défaire des éléments constitutifs de la noblesse de cette activité.
Moustapha Niasse est ce miroir qui renvoie aux générations,actuelle et à venir, leurscarences objectives, leurs errements et malgré tout, leurs espoirs encore tangiblespour transformer en destin abouti lesleurres pernicieux, les gloires éphémèreset les sorties de route inopinées pouvant jalonnerle chemin restant à parcourir.
A l’entame de la rédaction de ce texte,nous nous sommeslogiquement demandé par quel bout prendre cet itinéraire exceptionnel, ce long fleuve pas toujours tranquille vers le Panthéon des grands hommes de notre pays, de l’Afrique et du monde.
De l’enfant prodige de KeurMadiabel
éduqué à bonne école, au serviteur acharné de l’Etat qui conjugue le
niveau d’exigence au plus que parfait, en passant par le politique connu
et reconnu de par le monde pour sa fibre patriotique ; entre rencontres
mémorables, postures épiques, prises de position et de parole
intransigeantes sur les principes ;le curseur balance entre le viatique
pour les contemporains et les balises pour les générations futures. A
n’en pas douter, le parcours de cet homme défie le temps et offre des
leçons pour l’éternité.
Pouvait-il
en être autrement quand on se prénomme Moustapha, autrement dit l’Elu,
le prédestiné. L’onomastique nous enseigne que le nom ou le prénom n’est
jamais tout à fait étranger à la personnalité de l’individu. Je cite,
concernant Moustapha :
« Il a la tête bien vissée sur ses épaules et
les pieds sur terre. Mustapha fait toujours en sorte de planifier et
d’organiser sa vie. Ainsi, son parcours est tracé, ses idées sont
claires, tout comme ses ambitions dans la vie. Il ne laisse jamais ses
émotions le submerger, et reste maître de lui-même, quelles que soient
les circonstances. C’est un homme digne de confiance, et ne manque
jamais de le prouver. Inébranlable, Mustapha reste toujours lucide, même
en cas d’échec, personnel ou professionnel. Son engagement et sa
dévotion sont toujours exemplaires. Mustapha se démarque par sa
vaillance qui en dit long sur son caractère. Il sait être drôle et
volubile ; sa compagnie offre de grands moments de plaisir ».Tout est
dit.
En
l’occurrence, nous parlons ici d’un homme multidimensionnel, un
personnage hors du commun du landerneau politique sénégalais du moment,
dont le moins que l’on puisse dire, est qu’il renverse littéralement les
codes et fonce tête baissée à l’assautdes valeurs et repères
traditionnels, toutes ces bonnes fées en définitive, qui se sont
toujours penchées avec grâce et indulgence sur le berceau du Sénégal en
devenir.
L’histoire
de notreRépublique stricto sensu,y compris celle des Républiques
forgées au fer rouge des alternances fièrement exhibées à la face du
monde, faites de recompositions permanentes, de
renaissancesspectaculaires et de reniements sans détour, cette
histoire-là cependant sait reconnaître les siens, tous ceux et celles-là
qui ont contribué à lui donner corps,à veiller soigneusement sur elle
contre vents et marées, à l’alimenter enfin de leurs intelligences, dans
la forme comme dans le fond. Parmi ces vigies qui vouent à la
République un respect quasi religieux, on peut sans risque de se
tromper, placer tout en haut de l’échelle Moustapha Niasse,l’actuel
Président de l’Assemblée Nationale.
Il
constitue un exemple édifiant de précocité dans la conduite des hommes
et de maitrise des dossiers les plus sensibles par sa connaissance aigüe
des arcanes de l’Etat et du monde politique.
Au
cœur de cette relation fusionnelle, difficile d’imaginerque notre futur
retraité parvienne un seul instant à échapper à sa nature profonde, ou
encore aux sollicitations de l’Etat et de la République qui savent
pouvoir compter chaque fois que de besoin, sur son soldat, défenseur
infatigable de leurs positions les plus avancées.
Ancien
capitaine de l’équipe de Football junior du Lycée de Saint-Louis,ancien
Président de l’Union nationale des Etudiants du Sénégal,ancien
Président du Secrétariat national pour les Jeunes et pour la Formation
pratique de l’Union progressiste sénégalaise (UPS), ancien membre du
Bureau politique de l’UPS devenue Parti Socialiste, en qualité de
Secrétaire national chargé de la Vie politique du Parti, Major de la
promotion André Peytavin de l’École nationale d’administration (ENA) du
Sénégal,Directeur de cabinet du Président Senghor dont nul n’ignore la
rigueur et le sens de l’organisation et de la méthode au point de
l’ériger en Bureau dans l’antre de la Présidence de la République.
C’est
dire si le jeune énarque a de qui tenir ! Comment imaginer que cette
mine de savoir, de savoir-faire et de générosité à l’endroit de la
République puisse du jour au lendemain couper les amarres avec à la fois
l’appeldu devoirvis-à-vis de l’Etat qui ne connait jamais de répit, et
son amour charnel pour la Républiquechevillé au corps ?
Son
esprit fécond et toujours en éveil saura-t-il se mettre définitivement
au-dessus des contingences républicaines et politiques ?
Rien n’est moins sûr.
Et
pourtant qui ne lui souhaite pas de goûter enfin au plaisir d’écouter
et d’entendre la doucemusique d’une retraite bien méritée, au milieu
d’une famille qui n’a pas souvent eu l’heur de profiter de la présence à
ses côtés de ce citoyen du monde ?
Moustapha
Niasse a grandi avec le Sénégal indépendant en tant qu’homme tout court
d’abord, puis a gravi les échelons comme Haut fonctionnaire de l’Etat,
eta puisé enfin des ressources insoupçonnables dans le militantisme
politique aux seules fins de se rendre utile à un pays confronté aux
urgences entrouvertes par son accession à la souveraineté
internationale. Avec abnégation toujours, la force de la conviction
souvent puisque c’est son ADN qui le commande, et ce brin de réussite
propre aux esprits éclairés qui savent se préparer pour être au bon
endroit au bon moment.
Beaucoup
d’hommes et de femmes valeureux ont traversé les Républiques qui se
sont succédé depuis les indépendances, consacrant à celles-ci la
quintessence de leur jeunesse ou de leur âge mûr. Très peu pourtant
d’entre ces fils et filles du pays l’auront fait avec un égal bonheur
comme Moustapha Niasse qui, dans sa grandeur d’âme,a mis sous le
boisseau une ambition justifiée et légitime afin que les institutions
n’en pâtissent pas et qu’elles puissent dès lors survivre aussi bien aux
hommes et femmes quels que soient leur charisme et leur intelligence
politique, d’une part, et aux contingences politiques quelles que
puissent êtreleur forme et leur acuité d’autre part. Et si la politique
apu altérer le bons-sens et l’esprit de discernement d’un bon nombre
d’acteurs dans leur parcours politique, elle n’a jamais pu prendre à
défaut l’homme d’Etat Moustapha Niasse.« Le politicien pense à la
prochaine élection, l’homme d’Etat à la prochaine génération » disait
avec beaucoup d’à-propos James Freeman Clarke à l’instar d’autres
penseurs.
Il ne croyait pas si bien dire.
Voilà
Niasse dans sa réalité crue. Il pensait à bon droit faire tout juste de
la politique, s’investir pour la Cité. Comme le bon monsieur
Jourdainperdu entre prose et poésie, peut-être ne s’était-il même pas
rendu compte qu’il avait enjambé depuis bien longtemps les frontières de
la politiqueetque ses actions de tous les jours portaientl’empreinte
d’un homme d’Etat accompli, contribuant ainsi à donner encore plus de
sens et de force à la République et à l’Etat.
Le
mal de notre siècle est que la magie des nouvelles technologies pousse
beaucoup d’hommes et de femmes à prendre des raccourcis et à
s’autoproclamer maladroitement hommes d’Etat sans donner du temps au
temps,sans non plus en connaitre ni les servitudes ni les
responsabilités, encore moins réunir les qualités requises pour faire
partie du lot des élus et dont la première repose sur la primauté de
l’Etat sur les velléités messianiques.
Moustapha
Niasse, en ce qui le concerne peut à bon droit s’enorgueillir de faire
partie des rares privilégiés à se retrouver au sommet de la pyramide, à
tutoyer les cieux, à cocher toutes les cases. Mais en grand seigneur
qu’il est, tout porte à croire qu’il préfère le silence de ceux qui
savent au bruit assourdissant de tonneaux vides de ceux-là qui
s’époumonent à se prendre pour ce qu’ils ne sont pas.
En
effet, pour signer un bail aussi long avec la République et les
Républiques sorties de ses flancs, il faut donner à celle-ci et à
celles-là, des gages de compétence, un sens élevé des responsabilités et
une ouverture d’esprit au-dessus de la norme.
Moustapha
Niasse n’a jamais pensé qu’il détenait une science infuse ou une
baguette magique capable de lui faire sauter les étapes pour apprendre
et assimiler avant même de se connaître et de connaîtreses forces et ses
faiblesses. Or donc comme le dit l’adage, « le paradoxe de la force,
c’est d’être capable de connaître ses faiblesses ». C’est sur ce
postulat que Moustapha Niasse tire sa force. Parce qu’il atrès tôt
mesuré l’aléatoire du décret des hommes devant celui de Dieu, « maître
des temps et des circonstances » ; parce qu’il a tôt fait de mesurer
également ce que signifiait son humble personne face au destin d’un
peuple ; parce qu’il sait enfin que la perfection n’est pas de ce monde ;
il a fait de l’ambition jamais démentie mais toujours drapée d’une
forte dose d’humilité, de travail et de temps donné au temps, les clés
pour s’ouvrir les portes de l’histoire.
Voici ce qu’il disait lors de son Appel du 16 juin 1999 inscrit dans les mémoires :
«
…J’ai servi mon pays, avec disponibilité, du mieux que j’ai pu et
jusqu’à la limite des conditions dans lesquelles j’ai exercé les
responsabilités et assumé les charges que j’ai occupées. Je sais que
d’autres sénégalais, avant ou en même temps que moi, ont servi avec le
même dévouement, la cause de notre pays. Demain, d’autres le feront…
J’ai toujours considéré que toute forme de succession à la tête de
l’Etat, qui exclurait, directement ou manquerait les procédures du
suffrage universel, est totalement condamnable. Le jour où les
Sénégalais et leurs dirigeants auront, ensemble, des destins croisés, le
pays sera sauvé… Il y a un temps pour tout : un temps pour la
réflexion, un temps pour le travail »
…Aujourd’hui,
aucun homme seul, ni aucun parti politique ne sauraient se vanter de
pouvoir relever, de manière exclusive, tous les défis qui nous
interpellent. Ce n’est qu’unis dans la diversité et dans le libre choix
des programmes de redressement, que le Sénégal parviendra à faire face à
la situation.
…A
mes parents, à mes amis, aux personnes qui me sont chères, je laisse
l’entière liberté de choisir, en toute conscience, face à cette
décision. Parce que je leur reconnais la libre pratique de leurs droits
de citoyen, le droit de m’accompagner dans mon combat ou celui d’évoluer
dans un autre cadre ».
Comme
on dit, le plus durn’est pas d’arriver au sommet, mais plutôt d’y
rester. Cette longévité n’est pas le fruit du hasard. Cette invite en
est la parfaite illustration.Elle daterait d’aujourd’hui, que personne
n’y trouverait à redire. C’est ce qui fait la force des visionnaires.
«
Lou yaagg, dëgglë »selon la sagesse populaire.A ce grand monsieur,
trésor vivant de la République, rien n’est de trop pour lui manifester
une reconnaissance qui transcende les générations,à l’instar de
l’ensemble de son œuvre.