La visite très controversée de Joe Biden en Arabie saoudite
Après deux jours
d’échanges ouvertement chaleureux avec les officiels israéliens, le
président américain Joe Biden aborde vendredi un versant bien plus
délicat de son premier voyage au Moyen-Orient: les Territoires
palestiniens et, surtout, l’Arabie saoudite.
Le
président Biden a prévu de visiter un hôpital de Jérusalem-Est, secteur
palestinien de la ville sainte occupé et annexé par Israël, où il
devrait annoncer une aide au réseau hospitalier local. Puis il devrait
se rendre à Bethléem, en Cisjordanie, également un territoire
palestinien occupé par Israël, pour s’entretenir avec le président
Mahmoud Abbas pour discuter de la situation dans les Territoires
palestiniens et d’aide économique. Le président Biden, qui se félicite
d’avoir rétabli des liens « coupés » par son prédécesseur Donald Trump,
devrait annoncer des financements destinés aux Palestiniens.
Ils
porteront notamment sur un projet visant à faire passer à la 4G en 2023
la connexion internet sur les réseaux sans fil en Cisjordanie et dans
la bande de Gaza, sous blocus israélien depuis plus de 15 ans. Y règnent
respectivement la 3G et la 2G, ce qui complique la digitalisation de
l’économie. Sur sa route vers Bethléem, Joe Biden pourrait apercevoir
des affiches géantes de l’ONG israélienne anti-colonisation B’Tselem
sertie de l’inscription « M. le président, ceci est l’apartheid », en
référence, selon elle, à la politique israélienne dans les Territoires
palestiniens.
D’autres
affiches et graffitis rendent, eux, hommage à Shireen Abu Akleh,
journaliste vedette américano-palestinienne de la chaîne Al Jazeera,
tuée le 11 mai en marge d’une opération de l’armée israélienne en
Cisjordanie occupée. Mais au-delà de ces aspects économiques, et de
rappeler son soutien à la solution « à deux Etats » (une Palestine
indépendante et viable aux côtés d’Israël), Joe Biden s’est gardé de
relancer le processus de paix israélo-palestinien, au point mort depuis
2014. Après son entretien avec Mahmoud Abbas, Joe Biden, un fervent
catholique, doit aller à la basilique de la Nativité de Bethléem, avant
de quitter la Terre sainte pour aborder le versant le plus stratégique
et peut-être aussi le plus complexe de son périple: l’Arabie Saoudite.
Le fantôme de KhashoggiToute
délicate qu’elle soit, cette étape palestinienne n’est rien à côté du
terrain miné que sera l’Arabie saoudite, pour ce président qui avait
promis de mettre les droits humains au coeur de sa diplomatie. Encore
candidat, Joe Biden avait promis de faire de la monarchie pétrolière un
« paria » à cause de l’assassinat de Jamal Khashoggi, et une fois élu,
avait déclassifié un rapport accablant sur la responsabilité du prince
héritier Mohammed ben Salmane (MBS). Après son arrivée à Jeddah
vendredi, il va, selon un haut responsable américain, avoir des
« conversations bilatérales » avec le roi Salmane et d’autres
responsables. Parmi eux: le prince héritier.
Jeudi,
à Jérusalem, il a refusé de dire clairement s’il évoquerait directement
le cas du journaliste assassiné pendant sa visite à Jeddah, où il est
prévu qu’il rencontre « MBS », après un vol inédit entre Israël et
l’Arabie saoudite, pays qui ne reconnaît pas officiellement l’État
hébreu. Quelques heures avant son envol vers Ryad, l’Arabie saoudite,
qui ambitionne de devenir un hub mondial du transport aérien, a annoncé
ouvrir son espace aérien à « tous les transporteurs », dans un geste de
bonne volonté apparent envers Israël. Joe Biden a salué une « décision
historique ».
Cependant,
l’échange avec le puissant MBS pourrait être à haut risque pour Joe
Biden, qui cherche à la fois à rester fidèle à sa défense des droits
humains et à convaincre l’Arabie saoudite d’ouvrir les vannes de sa
production pétrolière. L’enjeu: abaisser le prix du gallon d’essence à
l’approche des élections de mi-mandat. « Mes vues sur Khashoggi sont
absolument claires et je ne me suis jamais tu quand il s’est agi de
poser des questions sur les droits humains », a dit Joe Biden, en
assumant d’aller en Arabie saoudite pour défendre les intérêts
américains. À cela s’ajoutent le sort des îlots stratégiques de Tiran et
Sanafir, au coeur des guerres israélo-arabes, pris entre l’Egypte,
l’Arabie saoudite, Israël et la Jordanie, qui pourraient être au menu de
cette visite.
Un voyage qui passe malDans
le camp démocrate, la visite de Biden en Arabie saoudite ne passe pas
du tout, certains lui reprochant une forme de cynisme et d’ainsi
participer à la réhabilitation de MBS. Le président américain s’est
expliqué dans une tribune publiée par le Washington Post samedi 9
juillet, une démarche rare. Il a promis d’”approfondir” le processus de
normalisation des relations entre Israël et certains pays arabes
notamment. Toutefois, la question des droits humains est au coeur de la
controverse.
“Je
sais que beaucoup ne sont pas d’accord avec ma décision d’aller en
Arabie saoudite. Mes vues sur les droits humains sont claires et
anciennes, et les libertés fondamentales sont toujours au programme de
mes voyages à l’étranger, comme elles le seront lors de ce déplacement,
ainsi qu’en Israël et en Cisjordanie”, avait-il écrit, sans mentionner
la moindre fois le prince héritier dans sa tribune.
Pour
Karen Young, du Middle East Institute à Washington, « la bonne manière
de gérer la question de l’image est de se concentrer sur la nature
internationale du sommet » auquel Joe Joe Biden assistera à Jeddah, qui
réunit l’Arabie saoudite, mais aussi de nombreux pays du Moyen-Orient.
Une occasion d’ailleurs de pousser la normalisation engagée par Israël
avec plusieurs pays arabes, dans le but de faire face à l’Iran, ce que
n’a pas manqué de lui faire remarquer jeudi le Premier ministre
israélien Yaïr Lapid. « Monsieur le président, vous allez rencontrer les
dirigeants de l’Arabie saoudite, du Qatar, du Koweït, d’Oman et d’Irak.
Je voudrais leur dire à tous: nos bras sont grands ouverts en faveur de
la paix! », a déclaré M. Lapid.