Mali : La France officialise la fin de la task force Takuba, agrégation de forces spéciales européennes
Le scénario était
attendu, le voilà confirmé: Paris a annoncé vendredi la fin de la task
force Takuba au Mali, une agrégation de forces spéciales européennes,
victime collatérale des tensions avec les colonels au pouvoir à Bamako.
Takuba,
montée à grand-peine par l’ancienne ministre des Armées Florence Parly
pour faire partager aux Européens le fardeau de la lutte contre les
jihadistes au Sahel, a succombé aux deux coups d’Etat au Mali en août
2020 et mai 2021, à la dégradation brutale des relations
franco-maliennes puis au départ cette année de la force antijihadiste
française Barkhane.
« La
réorganisation du dispositif militaire français au Sahel (…) a
conduit à la fin des opérations de (…) Takuba au Mali à compter du 30
juin », a indiqué le général Pascal Ianni, porte-parole de l’état-major
français.
Barkhane
et Takuba témoignent de ce que « les Européens sont capables d’accomplir
ensemble dans des environnements sécuritaires complexes », a-t-il
poursuivi, louant « les leçons » de cette expérience opérationnelle.
Takuba,
symbole de la l’Europe de la défense chère au président français
Emmanuel Macron, avait fini par rassembler une dizaine de pays
européens, et jusqu’à 800 à 900 soldats d’élite.
Ils
étaient chargés d’aider les forces maliennes à gagner en autonomie et
leur permettre de reprendre pied dans les territoires délaissés par
l’Etat, face aux groupes jihadistes liés à Al-Qaïda ou au groupe Etat
islamique (EI).
« Jeu politique » Souvent
dubitatifs au départ, devant obtenir l’accord de leurs Parlements
respectifs, neuf pays européens avaient fini par accepter le projet
(Belgique, République Tchèque, Danemark, Estonie, Hongrie, Italie,
Pays-Bas, Portugal et Suède).
La
« pleine capacité opérationnelle » de Takuba – qui signifie « Sabre » en
langue tamasheq – avait été décrétée début avril 2021. Elle aura duré
moins d’un an: les opérations conjointes ont en fait cessé dès février
dernier.
« Outre
le partage d’une appréciation de situation, des procédures communes et
une fraternité d’armes ont été forgées », a salué l’état-major français.
Mais
Takuba n’aura pas résisté aux tensions avec Bamako. En janvier, la
junte avait demandé au Danemark de retirer ses troupes tout juste
arrivées mais déployées « sans son consentement ». Copenhague avait
dénoncé « un jeu politique sale ».
En
rompant avec Paris, la junte de Bamako a aussi rompu avec ses alliés.
Elle est accusée, même si elle s’en défend, d’avoir fait appel à la
société privée de mercenaires russe Wagner, accusée de multiples
violations des droits de l’Homme et autres trafics au Moyen-Orient et en
Afrique.
Le
signe d’une réorientation géopolitique majeure du Mali, qui intensifie
le déclassement français dans la région et met un point d’interrogation
devant l’avenir de l’engagement des Européens dans la lutte
antijihadiste au Sahel.
ReconfigurationA
titre d’exemple, la force suédoise avait déjà décidé de ne pas
prolonger ses forces spéciales au-delà de leur mandat initial en juin.
Stockholm ne devrait pas non plus relocaliser de troupes hors du Mali,
même si les échanges avec la France se poursuivent officiellement.
Et
si Stockholm conserve 200 hommes au sein de la Minusma, mission de paix
des Nations unies au Mali, elle en partira un an plus tôt que prévu, au
premier semestre 2023. Et aujourd’hui, c’est le dispositif
international tout entier dans la région qui vacille.
L’armée
française aura quitté le Mali d’ici fin août après neuf ans
d’engagement. Et la Minusma, prolongée d’un an, sera privée de soutien
aérien. « La reconfiguration militaire en cours dans la région pourrait
compromettre les efforts antiterroristes passés », ont souligné des
experts de l’ONU dans un document obtenu par l’AFP.
« Notre
transformation vers un modèle partenarial était incarné au Mali par
Takuba. Mais l’opération a été percutée en pleine montée en puissance », a
reconnu auprès de l’AFP le général Hervé Pierre, qui supervise depuis
Niamey les partenariats entre armées française et ouest-africaines. Mais
« l’esprit de Takuba perdurera dans le partenariat de combat avec les
Nigériens, dans une relation encore plus équilibrée ».
En
mai, le président nigérien Mohamed Bazoum avait appelé Français et
Européens à « prendre plus de risques et ne pas être hantés par les
pertes » au Sahel.
Il
réclamait que leurs forces soient déployées « avec des capacités
aériennes conséquentes, des règles d’engagement efficaces, des
sacrifices, des moyens financiers, avec beaucoup plus d’hélicoptères, de
bombes ».
Des
« discussions sont en cours » entre Paris et plusieurs pays de la région
sur leurs besoins en terme d’assistance militaire, a confirmé le général
Ianni, alors que la menace jihadiste s’étend vers le Golfe de Guinée.