Réponse à Thierno Alassane Sall : Le Sénégal, à la pointe de la relance économique

Réponse à Thierno Alassane Sall : Le Sénégal, à la pointe de la relance économique

Le monde est sans nul doute en train de vivre ses moments les plus sombres de son histoire économique. Le covid et la guerre russo-ukrainienne n’ont pas fini de saborder les tissus économiques des pays les plus résilients ; partout on note un certain désenchantement. Dans un tel contexte, le Sénégal ne peut faire exception.

Cette situation fait, pour reprendre les termes d’un ancien ministre que je me plairai de répondre dans cette tribune, « le lit de souffrances, multiples et multiformes, des populations ». A ces souffrances, j’ajoute, désormais, celle que Monsieur Thierno Sall a fait subir à tous les économistes sérieux dans sa tribune parue ce matin sur seneweb et intitulé « Le Sénégal au fond du gouffre économique »

Dans un tableau économique sombre, voire apocalyptique ; Monsieur le ministre Thierno Alassane Sall projette la catastrophe économique au Sénégal en disant s’appuyer sur les estimations de la DPEE publiées par le Ministère de l’Economie dans la dernière note de conjoncture, et consacrée au premier trimestre de la présente année (2022). S’il est vrai que dans la dernière note de conjoncture, il est affirmé que le « Sénégal a enregistré une réduction de 7,1 % de son activité économique hors agriculture et sylviculture, en variation trimestrielle », il n’en demeure pas moins que cette situation n’est guère inquiétante puisqu’elle reflète une différence apparente entre un début d’année où les activités sont généralement au ralenti et une fin d’année 2021 où l’économie était en surchauffe. A ce niveau, Thierno doit savoir ceci : au deuxième paragraphe de la page 9 de la note de conjoncture, le Ministère de l’Economie ne fait guère une analyse de la situation de l’activité économique globale mais plutôt une simple comparaison par rapport au trimestre précédent. Par conséquent, Monsieur le Ministre Sall devrait plutôt nous faire écho de ce que la note trimestrielle de conjoncture révèle quand il s’est agi de faire le point de l’état de l’économie comparé à la même période de 2021 (ce qui est un proxy du taux de croissance). Sur ce point, les estimations de la DPEE sont assez éloquentes. En effet, selon le rapport « sur une base annuelle, une consolidation de 5,5% de l’activité économique est notée au premier trimestre de l’année 2022, à la faveur principalement du tertiaire (+7,9%), du secondaire (+3,9%) et de l’administration publique (+5,0%) ». En langage beaucoup plus accessible, une hausse de 5,5% de l’activité économique est notée entre mars 2021 et mars 2022. Par conséquent, il est aisé de se rendre compte que la situation de notre économie est loin de l’apocalypse, car si cette tendance est maintenue durant les prochains trimestres, le Sénégal renouera avec les fortes croissances connues par le passé.

Parlant du secteur secondaire, Monsieur le Ministre a tout faux en voulant nous faire croire que l’analyse en glissement trimestrielle suffit pour décréter une contre-performance globale de ce secteur stratégique de notre économie. Nous lui rappelons au contraire que ce secteur a noté une croissance de 3,9%, en glissement annuel et cette hausse est à mettre en relation avec la production agro-alimentaire (+3,3%), la construction (+5,9%), la « production et distribution d’électricité et de gaz » (+14,4%), les activités extractives (+3,9%) et la fabrication de produits chimiques de base (+26,1%). Ces informations sont à lire à la page 13 de la note de conjoncture disponible sur le lien suivant : dpee.sn/download/note-de-conjoncture-du-1er-trimestre-2022/.

Pour le secteur agricole, s’il est vrai que la DPEE fait état d’une diminution substantielle des financements retenus pour les acteurs du secteur (-13,7 %), la base d’enquête limitée aux agences Nord et Est du CMS et de la banque agricole ne suffit pas pour décréter que l’engagement du gouvernement auprès des organisations de producteurs du Sénégal n’est que factice. En vérité, pour faire le point sur le niveau d’engagement global de l’Etat auprès des producteurs, Thierno Sall devrait d’abord élargir le champ de l’analyse à tout le secteur financier bénéficiant de conventions avec l’Etat et non pas se limiter à ce rapport d’enquête dont le champ est circonscrit à deux entités financières et sur deux régions. En vérité, il n’y a point d’inquiétude sur les prévisions du secteur agricole, mais une curieuse méconnaissance de sa part de l’orientation technique de la note de conjoncture.

D’ailleurs Thierno Sall oublie sciemment de noter dans sa contribution que, « les prévisions de mise en valeur agricole ont progressé de 36,7%, en rythme annuel, s’établissant à 26 124 hectares. Elles sont dominées par l’oignon (34%), la tomate industrielle (11%), le maïs (10%) et la pomme de terre (10%). A fin mars 2022, le niveau de réalisation, pour toutes spéculations confondues, est estimé à 89,4%, en hausse de 15,2%, à la faveur d’un accroissement des surfaces emblavées en maraîchage et en horticulture. Les prévisions agricoles, dans le sous-secteur dont il est question, ne sont alors pas du tout alarmantes contrairement aux dires de Thierno Sall.

Sur la question de l’emploi, je ne ferai pas de commentaire sur son analyse puisque ces affirmations ne s’éloignent pas trop de la réalité, il faut le reconnaitre. Malgré tout, je me ferai le plaisir de lui dire que dans ses prochaines notes, le chiffre de -1,8% noté en glissement annuel est plus approprié pour expliquer la situation du secteur et non le 1,2% de variation trimestrielle négative qu’il a avancé dans sa tribune.

Parlant du taux d’inflation, l’ancien ministre de l’Energie nous fait croire que la DPEE a fait une prévision de 6,1%, à la fin de l’année 2022. Cette affirmation est totalement infondée et pour le savoir, j’invite le lecteur à aller à la page 31 de la note de conjoncture pour être édifié. En vérité, les 6,1% auxquels il fait allusion rend compte de la situation actuelle, comparée à la même période de l’année dernière, ce qui n’est d’ailleurs pas une surprise puisqu’étant liée à la conjoncture internationale marquée par une hausse généralisée des prix dont l’élément déclencheur a été la guerre en Ukraine.

Bref, le seul point où le ministre Thierno Alassane Sall a fidèlement rapporté les orientations de la note de conjoncture est relatif au chapitre où il reconnait que les recettes fiscales ont été améliorées. Toutefois, en s’empressant de vouloir systématiquement trouver la petite bête, notre Thierno s’est embourbé en accusant les services des impôts et des douanes d’avoir été à la pointe de la répression économique contre les consommateurs. ». Thierno Alassane ne rend pas compte de la vraie situation en affirmant, je cite  « L’amélioration des recettes fiscales s’est faite sur le dos du peuple sénégalais : les taxes sur les biens et services intérieurs ainsi que les droits de douanes, toujours répercutés sur les prix des biens de consommation importés et donc payés, en dernière analyse, par les consommateurs, se sont accrus respectivement de 84,4 milliards FCFA et de 53,5 milliards FCFA à fin mars 2022.

En effet, dans un contexte de fixité des taux de taxation, doublée d’une batterie de mesure gouvernementale (gel des taxations de certains produits de consommation courante…), n’importe quel économiste sérieux peut aisément comprendre qu’une augmentation des recettes fiscales ne peut que rendre compte de la vitalité de l’activité économique du Sénégal malgré une situation de crise mondiale.

Pour terminer, je me réjouis du fait que Thierno Sall, en exposant ses notes de lecture d’un document technique, participe tant soit peu au relèvement du débat politique qui, il faut le dire, n’a jamais été aussi honteusement tiré vers le bas par une opposition friande de massage non thérapeutique. A ce niveau j’invite l’autre partie de l’opposition à s’inspirer de cette tribune de Thierno pour nous faire part, elle aussi, de leurs commentaires de lecture de la note de conjoncture trimestrielle de la DPEE qui aura fini par nous démontrer que certains de nos politiciens-technocrates sont parfois très limités sur beaucoup de sujets.

Souare Mansour

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