Le débrief de l’actu-Pr Abdoulaye Sakho : “Sur le plan psychologique, les lions n’ont plus peur de personne”
Le Professeur Abdoulaye Sakho est Agrégé
des facultés de droit et Directeur du Master Droit et Economie du Sport
de l’Institut EDGE. C’est surtout un grand passionné de sport et de
football, en particulier. Seneweb a évoqué avec lui la qualification
épique des lions à la phase finale de la coupe du monde.
Le
Sénégal s’est qualifié pour sa troisième participation à la coupe du
monde, mardi dernier, au terme d’une folle séance de tirs au but.
Pensiez-vous que ce serait aussi difficile ?
Je
crois que difficile n’est pas le mot approprié. Mon avis est que
c’était plutôt stressant pour le public et les fans sénégalais. Mais
très sincèrement, au-delà de l’aléa propre à toute rencontre sportive,
ce n’était pas très difficile. D’ailleurs, j’avoue avoir été moins
stressé que lors de la finale. En effet et pour parler comme les
économistes, les indicateurs de performance d’une équipe de football
étaient beaucoup plus verts du côté du Sénégal que de l’Egypte. Sans
compter l’avantage psychologique d’avoir remporté le dernier match
décisif même si c’était à l’ultime moment avec des tirs au but
Les
joueurs sénégalais ont longtemps eu la réputation d’avoir des lacunes
sur le plan de la force mentale. Pourtant, les lions viennent de
remporter deux séances de tirs au but successives, un exercice qui ne
nous réussissait pas. Comment expliquez-vous cette métamorphose ?
Pour
moi, ce n’est rien d’autre que l’installation de la culture de la gagne
depuis quelques années au sein de cette équipe nationale. A y regarder
de près, on se rend compte que le Sénégal perdait très peu de matchs et
surtout arrivait à être présent dans toutes les compétitions concernant
le football. Cela rassure et fait reculer la pression et la peur de
perdre. Donc, du point de vue psychologique, cette équipe n’a plus peur
de personne. Vous avez dû vous en rendre compte, c’est plutôt elle qui
fait de plus en plus peur. Rappelez-vous, elle a fait match nul avec le
Brésil puis, sur la route de la coupe du monde, elle a fait trembler la
Croatie, futur finaliste de cette même coupe du monde et durant la coupe
du monde elle a battu la Pologne de Lewandowski qui était 7eme au
classement FIFA. Par la suite, nous nous sommes installés sur le toit de
l’Afrique depuis près de 4 ans. Je crois qu’avec de telles
caractéristiques, vous gagnez en assurance.
“Nos joueurs sont parmi les tops players de niveau mondial”
D’autant
plus que du point de vue effectif, nos joueurs sont parmi les tops
players de niveau mondial. Ainsi, le mental en bandoulière, un collectif
avec des talents mais surtout très soudé parce qu’une ossature en place
depuis les JO de Londres 2012 et un apport inestimable de joueurs de
caractère formés en France, tout ceci a produit ce cocktail qui fait de
l’équipe nationale du Sénégal un groupe dans lequel les joueurs ne
jouent pas seulement ensemble mais aussi et surtout un groupe dans
lequel, les joueurs se font confiance mutuellement. Il devient donc
facile d’atteindre le haut niveau, dans la haute performance dont les
caractéristiques sont : constance et régularité dans la performance.
Les
Égyptiens, après le match, ont déposé une plainte après ce qu’ils
qualifient de “racisme et de comportement hostile” du public sénégalais.
Ces récriminations sont-elles légitimes ?
J’avoue
que je ne connais pas la teneur de leur plainte, de quoi ils se
plaignent mais si c’est ce que vous venez de me dire, je crois qu’il n’y
a aucune chance pour que ce genre de plainte prospère suite à un match
de foot. Je suis d’ailleurs étonné que l’on évoque le racisme concernant
les sportifs sénégalais. En tout état de cause et dans tous les pays,
les autorités ont des difficultés avec les supporters car, avec eux, la
passion l’emporte souvent sur la raison. Toutefois, les autorités
sénégalaises du foot et la fédé en particulier ne se laisseront pas
intimider. Ceci dit, il faut aussi que nous arrêtions de relayer des
choses qui me paraissent farfelues pour nous faire peur. Je crois qu’il
ne faut accorder aucun crédit à cette plainte.
“J’ai suivi l’indignation sélective de certains grâce à la presse et je ne peux pas la partager”
En
tant que passionné de football et amoureux du fair-play, avez-vous été
gêné par l’utilisation des lasers par les supporters sénégalais ?
Le
fair-play, c’est comme la liberté, c’est comme la justice : une et
indivisible. Ce ne doit pas et, ça ne peut pas être à géométrie
variable. J’ai suivi l’indignation sélective de certains grâce à la
presse et je ne peux pas la partager. J’espère que ces faits vont
inciter les autorités sportives mondiales à prendre des mesures
radicales pour que les rencontres sportives se déroulent dans l’équité
la plus totale. S’indigner au point de demander à rejouer un match et ne
rien dire lorsqu’un joueur est victime de racisme dans certains
championnats. L’utilisation du sport comme arme de lutte contre les
actes antisportifs ne peut être sélective.
On
a vu que ces barrages en zone Afrique ont donné lieu à des polémiques
et des incidents graves, notamment lors de Nigeria-Ghana à Abuja.
Quelles leçons en tirez-vous ?
C’est
dommage, c’est désolant et c’est triste. Mais parlons d’abord des
causes avant les leçons. Je trouve sur le premier point que ce sont les
enjeux qui justifient tout ce qui entoure ces matchs. Il s’agit de la
coupe du monde quand même. Les équipes nationales participent du
rayonnement des nations et sont dans le circuit des relations
économiques et diplomatiques internationales. Donc c’est plus qu’un jeu
comme aurait dit le regretté Pape Diouf. Par ailleurs, il se développe
de plus en plus une sorte de nationalisme débordant dans cette période
de difficultés économiques et souvent, la jeunesse cherche un exutoire
pour exprimer ses frustrations. En conséquence, un match perdu est
souvent l’occasion de débordements qui n’ont rien à voir avec le match
lui-même…
“Des
défaites ou des déceptions ne devraient pas conduire à ces
débordements. C’est méconnaître ce qu’est le sport que de croire qu’on
doit toujours et obligatoirement gagner”
Sur
le deuxième point maintenant, je ne sais pas s’il y a une solution à ce
phénomène que beaucoup de sénégalais ont redouté ces derniers temps. La
principale leçon que j’en tire est qu’il faut demander aux autorités du
sport de préparer les supporters à toutes les éventualités et à
continuer à éduquer les jeunes sur ce qu’est le sport. J’espère que les
Jeux Olympiques de la Jeunesse, qui se profilent, permettront de donner
une autre dimension au sport chez nous et surtout de montrer que les
rencontres sportives sont aussi des moments de fête pour un pays. Donc
des défaites ou des déceptions ne devraient pas conduire à ces
débordements. C’est méconnaître ce qu’est le sport que de croire qu’on
doit toujours et obligatoirement gagner.
Pour en revenir au Sénégal, pensez-vous que l’équipe outillée pour une longue épopée au Qatar ?
(NDLR
: l’entretien a été réalisé avant le tirage au sort de la coupe du
monde)Bien sûr. Je crois que le coach a dit que le Sénégal a de
l’ambition pour cette coupe du monde. On a tout ce qu’il faut pour tenir
la dragée haute à tout adversaire que nous rencontrerons. Il y a
quelques mois de préparation qui devront permettre de peaufiner des
stratégies et de renforcer la cohésion du groupe en vue d’objectifs que
le groupe lui-même se fixera. Les matchs de coupe du monde ne sont pas
les matchs couperets qui se déroulent sur le continent. J’ai vraiment
confiance en notre équipe qui est d’une constance et d’une régularité
énorme sous l’ère Aliou Cissé.
Est-ce
que ce genre de victoires (Can, qualification au mondial) ont une
influence sur la consommation, et plus généralement la croissance ?
Le
sport est aujourd’hui l’un des secteurs économiques les plus dynamiques
au monde. Vous avez la croissance passe soit par la consommation soit
par l’investissement. Cette qualification consécutive à une première
victoire en CAN est l’occasion de booster ces deux variables
(consommation et investissement) et d’arrêter de faire de notre sport,
particulièrement du football, un fournisseur de matières premières pour
les championnats européens. Notre sport est, en effet, tourné vers une
exportation qui ne semble pas rapporter grand-chose à notre football
local qui peine à exister en Afrique. Donc permettre à la fédération et à
son unité marketing de faire consommer en masse le produit qu’est
l’équipe nationale et ses dérivés tout en ouvrant des perspectives
d’investissement et d’emplois dans le secteur du foot pour l’Etat et le
secteur privé. Si cela est fait ce sera une grosse contribution au
développement dans notre pays…