Eau potable à Dakar : L’acceptabilité, ce défi à relever !
Dans le but
d’assurer une meilleure production et distribution d’eau potable, le
gouvernement du Sénégal a mis en place plusieurs projets. Mais
l’atteinte de ces deux objectifs semble reléguer au second plan un défi
tout aussi important : la qualité de l’eau.
Le
Président de la République, Macky Sall, inaugurait le 10 juillet 2021
la troisième station de traitement d’eau du Sénégal, Keur Momar Sarr
(KMS 3). Cette infrastructure hydraulique d’une valeur de 433 millions
d’euros possède, dans sa première phase, une capacité de production de
100 000 m3 d’eau par jour pour Dakar et sa banlieue. Ainsi, l’usine
alimente, d’ores et déjà, 60% des ménages de la capitale.
A
plus de 200 km du lieu d’implantation de ce projet, à Pikine, on
retrouve Ndeye Ndiaye dans sa maison. Bien qu’heureuse de l’avènement de
KMS 3, elle a tenu à mettre l’accent sur un autre point. « Est-ce que
cette usine nous permettra d’avoir une meilleure eau ? »,
s’interroge-t-elle dans un premier temps. Avant d’ajouter : « on espère
ne plus avoir droit à cette eau colorée désagréable au goût que nous
avons tous les jours ».
Illustrant
ses propos, elle nous conduit à sa pompe, y dépose un seau et tourne la
tête du robinet. Aussitôt, une eau rougeâtre se déverse dans le
récipient. « Vous voyez, c’est notre quotidien, dit Ndeye Ndiaye. Et
quand elle n’est pas colorée, on observe des dépôts de grains noirs dans
le fond des récipients ».
Une
situation qui la pousse à mettre la main à la poche pour répondre à ses
besoins quotidiens : « ma famille et moi, ne buvons pas l’eau du
robinet. On achète à la place des bidons de 10L tous les 3 jours ». Une
fréquence d’achat qui lui coûterait 12 000 FCFA par mois. « Ça pèse
financièrement mais nous en sommes contraints », explique-t-elle.
Fer, Manganèse,… les intrus dans nos conduites
Dans
sa zone, Ndeye Ndiaye n’est pas la seule dans cette situation. De
nombreux ménages dakarois sont touchés par ces phénomènes de coloration
de l’eau et de goût prononcé. Pour tenter de savoir les raisons de cette
problématique, nous nous sommes rendus à Diamniadio où se déroule le 9e
forum mondial de l’eau. Sur les lieux, on retrouve Ousmane Coulibaly
ingénieur à la Société Nationale des Eaux du Sénégal (SONES) sur le
stand de l’entreprise. D’emblée, l’agent fait savoir qu’il existe deux
types de pollution : Physico-chimique et bactériologique. Pour la
première citée, elle est causée par les minéraux présents dans les
nappes où les forages puisent l’eau consommée par les ménages.
«
A Dakar, la pollution la plus récurrente est celle physico-chimique.
C’est le fer qui emmène la couleur rougeâtre et c’est le manganèse qui
donne des fois une couleur noire à l’eau. Si ces nappes traversent des
zones qui sont chargées de latérite, de fer ou de calcaire, l’eau est
automatiquement chargée de ces matières », explique l’expert.
Outre
ces causes chimiques, l’impact de certains travaux pourrait aussi avoir
des répercussions sur la qualité de l’eau. Une hypothèse émise par
Ibrahima Sarr, chef du département Visio de Sen ‘Eau : « la plupart du
temps, la mauvaise qualité de l’eau est liée aux dépôts qui sont sur le
réseau et qui se remettent en suspension. Quand nous avons des travaux
et qu’on isole ces conduites, ces dépressions peuvent créer ce
remue-ménage qui fait en sorte que les maisons voisines se retrouvent
souvent avec de l’eau colorée. »
Dernier
élément d’explication, la vétusté des réseaux de canalisation de la
capitale sénégalaise et notamment de Dakar centre. La zone est dotée de
plus de 1000 km de réseau datant de l’époque coloniale.
Un accès universel à une eau de meilleure qualité : le plaidoyer des consommateurs
Malgré
les caractéristiques de cette eau marquée par une forte présence de
minéraux, elle n’en demeure pas moins potable. « On ne peut pas dire que
l’eau est polluée mais on peut dire qu’elle n’est pas agréable. De même
que l’on ne peut dire qu’elle n’est pas potable car elle ne possède pas
de germes », argue, Ousmane Coulibaly. Un argument appuyé par le fait
que le liquide précieux sénégalais subirait, constamment, une batterie
de contrôles. Chose qui ferait d’elle, la denrée la plus surveillée du
pays. « Plus de 9900 prélèvements sont effectués chaque année par
l’institut pasteur et d’autres laboratoires. Ils vérifient si l’eau
répond aux normes fixées par l’Organisation Mondiale de la Santé »,
renchérit l’ingénieur de la SONES.
De
ces faits, il va s’en dire qu’un autre facteur entrerait en compte dans
le processus décisionnel du consommateur sénégalais : l’acceptabilité
de l’eau. Un argument prôné par Momar Ndao, président de l’association
des consommateurs du Sénégal : « quand une eau est colorée, elle n’est
pas acceptée par le consommateur. L’eau au niveau de certaines régions
du Sénégal pose de sérieux problèmes. Par exemple au niveau du bassin
arachidier. Notamment à Kaolack. C’est une eau parfaitement claire mais
la forte teneur en fluor, colore les dents en jaune. Il y a aussi des
eaux qui ont trop de calcaire et qui encrassent facilement vos ouvrages
».
Face
à la nécessité pour la population d’avoir une eau de qualité, Momar
Ndao plaide : « on souhaite que la ressource soit disponible dans tous
les quartiers. Qu’elle respecte les normes définies par l’OMS mais
aussi celles de l’acceptabilité des populations. Enfin, on souhaite
qu’elle soit accessible financièrement ».
Usines de déferrisation, renouvellement du réseau de canalisation : les réponses du gouvernement
Face
à cette nouvelle exigence des populations les autorités s’attèlent à
les solutionner. « L’Etat a réalisé un ambitieux projet à Sébikotane
pour abattre le fer contenu dans l’eau qui va vers la banlieue »,
déclare Charles Fall, directeur général de la Sones, lors d’une
rencontre organisée avec les consommateurs au forum mondial de l’eau.
Une autre usine du genre a vu le jour à Kolda pour une valeur de 5
milliards de Fcfa.
Dans
le cadre du projet de dessalement de l’eau de mer de Dakar, le
gouvernement sénégalais compte prendre à bras le corps la question de la
vétusté du réseau de canalisation. « L’Etat a décidé de renouveler 316
km du réseau de Dakar. En allant du petit jusqu’au grand diamètre. Et le
projet a déjà démarré », annonce le directeur général de la SONES.