La place du Sénégal est dans le camp anti-Poutine (Par Madiambal Diagne)
Le Conseil des droits de l’Homme de
l’Onu a approuvé, le vendredi 4 mars 2022, à une écrasante majorité, une
résolution en faveur d’une commission d’enquête internationale sur les
violations des droits humains et du droit humanitaire en Ukraine après
l’invasion russe du 24 février 2022. Le Sénégal a voté favorablement la
résolution. L’attitude du Sénégal a évolué quelque peu dans sa
perception du conflit car, le 2 mars 2022, le Sénégal s’était abstenu
lors du vote, à l’Assemble générale de l’Onu, d’une résolution
condamnant la Russie pour avoir envahi l’Ukraine, un Etat souverain. 141
pays avaient voté en faveur de la résolution, 5 pays (Russie,
Biélorussie, Corée du Nord, Erythrée, Syrie) avaient voté contre et 35
pays s’étaient abstenus.
Dès
la publication des résultats de ce vote, le Sénégal a dû mesurer qu’il
venait pour la première fois de son histoire, de se mettre en marge de
la mouvance de la communauté internationale dans une position aussi
fortement endossée. Mieux, le Sénégal a pu constater qu’en Afrique de
l’Ouest et particulièrement dans l’espace de la Cedeao, seul le Mali du
Colonel Assimi Goïta, pouponné par la Russie, a eu à exprimer un vote
similaire. Tous les autres pays membres de la Cedeao qui ont participé
au vote, ont condamné l’opération déclenchée par Vladimir Poutine.
Aussi, faudrait-il aller jusqu’en Centrafrique, un autre pays sous la
férule de la Russie et de la milice Wagner, pour trouver un autre pays
francophone d’Afrique au Sud du Sahara qui a eu à voter comme le
Sénégal.
Rien ne justifie la posture de neutralité du Sénégal
Charles
de Gaulle disait que les Etats n’ont pas d’amis mais des intérêts. Par
cette maxime, il paraphrasait en quelque sorte Henry John Temple, Lord
Palmerston, qui disait en 1848 : «We have no eternal allies, and we have
no perpetual enemies. Our interests are eternal and perpetual, and
those interests it is our duty to follow» (L’Angleterre n’a pas d’amis
ou d’ennemis permanents ; elle n’a que des intérêts permanents).» Quels
sont les intérêts du Sénégal dans ce conflit ? Si on met sur une balance
les relations entre le Sénégal et les deux pays belligérants, on peut
considérer que le Sénégal n’a pas plus d’intérêt diplomatique,
économique ou stratégique avec la Russie qu’il n’en aurait avec
l’Ukraine. De ce point de vue, renvoyer dos à dos l’agresseur et
l’agressé ne constitue pas une attitude juste ou équitable. Mais le plus
dommageable est que cette posture de neutralité met à mal l’image du
Sénégal d’être une démocratie fondée sur des principes de droit et de
légalité et attachée au respect des principes et règles du droit
international. Est-il encore besoin de rappeler que le seul instigateur
et détonateur de cette guerre d’Ukraine est Vladimir Poutine ? Il a pris
le soin de préparer ses troupes de guerre, de les massifier, de les
mettre en ordre de bataille aux frontières de la Russie et/ou de la
Biélorussie avec l’Ukraine. Vladimir Poutine avait nié, sur tous les
tons et avec une sincérité touchante, qu’il ne se préparait pas ainsi à
envahir l’Ukraine mais qu’il organisait simplement des manœuvres
militaires et que les accusations proférées par le Président américain
Joe Biden ne constituaient que des manœuvres pour le diaboliser et
chercher à le discréditer. Finalement, le monde se rendra compte que
Vladimir Poutine est passé à l’acte et a envahi l’Ukraine, trompant
ainsi la communauté internationale. Une telle mauvaise foi est
condamnable, encore que Vladimir Poutine a depuis lors entonné la
rhétorique que la Russie a été agressée par l’Ukraine et sans dire quand
et comment ce petit poucet a pu avoir l’audace et le penchant
suicidaire de déclencher les hostilités. D’ailleurs quelle bravoure y
a-t-il à s’attaquer à plus faible que soi ? Dans sa propagande, le
Président Poutine affirme empêcher l’Ukraine de continuer à faire les
yeux doux à l’Union européenne et à l’Otan pour devenir membre de ces
organisations. Voilà une nouvelle doctrine Poutine, de s’arroger le
droit de bombarder un pays souverain qui songerait à nouer de nouvelles
alliances alors qu’aucun avion ou soldat ou char de combat de l’Otan ou
de l’Ue ne se trouvait encore en Ukraine pour la menacer ou montrer de
quelconques velléités hostiles à la Russie. C’est dire que le prétexte
ou l’alibi fallacieux de la légitime défense présumée est inapproprié.
La Russie n’a subi aucune menace ou provocation de la part d’aucun autre
pays. Au contraire, c’est Vladimir Poutine qui a toujours entretenu et
développé la rhétorique guerrière et n’a eu de cesse de menacer ses
voisins. A la vérité, Vladimir Poutine aurait sans doute peur de voir
d’éventuelles bases de l’Otan, plus près de ses frontières mais il a une
autre forte motivation, celle d’empêcher l’installation de régimes
démocratiques à ses frontières, comme en Ukraine ou en Géorgie, qui ont
adopté le système de vie démocratique libre et pluraliste. Le Kremlin ne
voudrait point laisser place à une perspective de contagion dans son
pays. Vladimir Poutine a fini par avouer le véritable objectif de son
attaque contre l’Ukraine en appelant les militaires ukrainiens à
renverser le régime de Volodymyr Zelensky et ainsi prendre le pouvoir.
Aucun démocrate ne devrait accepter ou s’accommoder qu’un chef d’Etat
étranger appelle des militaires d’un autre pays à renverser un régime
démocratiquement élu. La démarche traduit une certaine forme de
banditisme d’Etat. Les populations de Finlande, de Moldavie, d’Estonie
et des autres Etats baltes ne s’y trompent pas et l’esclandre militaire
de Vladimir Poutine pousse davantage ces pays dans les bras de l’Ue et
de l’Otan. Même la Suède, qui était dans une posture de neutralité entre
la Russie et l’Otan, envisage désormais sérieusement de rejoindre
l’Otan ! Vladimir Poutine montre une fois de plus le manichéisme de la
situation, c’est-à-dire que dans le cas d’espèce, il s’agit d’une
opposition entre le camp de la démocratie contre celui du totalitarisme.
Le choix du Sénégal ne devrait donc être discutable encore moins
ambigu. Tout cela a fini par faire qu’un pays, connu pour sa neutralité
légendaire et historique dans les conflits internationaux, la Suisse, a
voté clairement à l’Onu pour condamner l’agression de la Russie contre
l’Ukraine.
Les derniers actes impardonnables de Vladimir Poutine
Depuis
le déclenchement de l’opération d’invasion russe en Ukraine, le monde a
pu observer les exactions contre les populations civiles. L’Armée russe
ne respecte aucune règle internationale et bombarde les zones habitées
et refuse aux civils et aux enfants de fuir pour se mettre à l’abri. Les
médias sont bombardés et les journalistes qui rendent compte des
événements sur le terrain sont menacés et terrorisés. Le monde libre
aurait d’ailleurs mieux fait la leçon à la Russie en n’imposant pas de
son côté des restrictions aux médias de propagande russes. Sur un autre
registre, Vladimir Poutine brandit le chantage de l’arme nucléaire
contre l’Ukraine et tout pays qui s’aventurerait à prêter main forte au
Président Zelensky. On réalise que l’Humanité peut retomber dans une
confrontation nucléaire. En attendant, Vladimir Poutine n’a pas de
scrupule pour chercher à exterminer les populations ukrainiennes et
d’autres peuples qui subiraient fatalement des dégâts collatéraux d’une
vaste contamination nucléaire. Autrement comment qualifier l’acte
irresponsable de bombarder la centrale nucléaire de Zapporijja, la plus
grande centrale nucléaire d’Europe. L’incendie d’une partie de la
centrale, provoqué par les bombardements russes, aurait pu avoir des
conséquences désastreuses pour les pays du monde. Qui n’a pas souvenir
des conséquences de l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl en
1986 ? Le monde n’en a pas encore totalement fini avec ce drame
nucléaire. On mesure alors le geste criminel de songer à bombarder une
centrale nucléaire. Un tel acte de guerre suffit pour condamner Vladimir
Poutine. Comme aussi, l’envoi de mercenaires de Wagner et de forces
spéciales tchétchènes pour chercher à assassiner le Président Zelensky.
Comment peut-on fermer les yeux sur de tels faits et sur la fuite en
avant de Vladimir Poutine ? Quiconque n’a pas condamné les folies de
Vladimir Poutine sera fort embarrassé quand il aurait fini d’appuyer sur
le bouton nucléaire.
L’histoire diplomatique du Sénégal condamne l’agression russe
Quelques
voix ont essayé d’expliquer la position de neutralité du Sénégal en se
référant à son histoire diplomatique. Justement, rien dans la tradition
diplomatique du Sénégal ne laisse place à une autre attitude que la
condamnation de la Russie. Le Sénégal n’a jamais été neutre dans des
conflits frontaliers ou territoriaux à travers le monde et quelques
exemples emblématiques le prouvent. En Afrique par exemple, le Sénégal a
pris fermement position contre toute remise en cause du principe de
l’intangibilité des frontières. C’est ainsi qu’en 2006, le Sénégal de
Abdoulaye Wade s’était insurgé contre l’invasion par le Nigeria de la
province camerounaise de Bakassi. Dans le conflit du Sahara occidental,
le Sénégal n’a jamais été neutre. Et en 1990, le Président Abdou Diouf
avait pris part à la première guerre du Golfe pour aider à chasser les
troupes de Saddam Hussein qui avaient envahi le Koweït. C’est à cette
occasion que le Sénégal avait perdu, le 21 mars 1991, 93 de ses
«Jambars» qui avaient péri dans un crash aérien en Arabie saoudite. Sous
l’égide de Léopold Sédar Senghor, le Sénégal a toujours clairement
affiché son soutien à la Palestine jusqu’à diriger, depuis 1975, le
Comité Al Qods, pour l’exercice des droits inaliénables du Peuple
palestinien mis en place par l’Onu. Dans le conflit territorial
israélo-palestinien, le Sénégal avait poussé son soutien à la Palestine
jusqu’au fait que les dirigeants palestiniens, comme Yasser Arafat,
voyageaient avec des passeports sénégalais. Plus récemment, en 2015,
dans le conflit yéménite, le Sénégal a pris position en faveur de la
coalition arabe et avait envisagé l’envoi d’un contingent de 1200 hommes
en Arabie saoudite pour aider à la «protection des Lieux Saints de
l’Islam», qui seraient menacés par les rebelles Houtis soutenus par
l’Iran. Dans le conflit entre la Chine et Taïwan, le Sénégal avait
toujours soutenu la Chine jusqu’au revirement, en 1996, du Président
Abdou Diouf qui avait alors reconnu Taïwan. Le Sénégal a fini par
renouer avec la Chine en 2005.
La remontrance à l’ambassadeur d’Ukraine à Dakar
L’ambassadeur
d’Ukraine à Dakar, Yurii Pyvovarov, a eu à relayer un appel lancé par
les autorités de son pays, en l’occurrence le Président Zelenksy, pour
demander des volontaires internationaux pour aider son pays à faire face
à l’agression russe. Quelques citoyens sénégalais avaient commencé à
manifester un enthousiasme à y participer, quelles que soient leurs
motivations propres du reste. Mais les autorités sénégalaises ont
remonté les bretelles au diplomate ukrainien en le convoquant dare-dare
au ministère des Affaires étrangères et en publiant un communiqué de
mise en garde ferme. L’interdiction par le Sénégal, un Etat souverain,
de voir ses ressortissants s’engager comme mercenaires ou volontaires de
guerre ne saurait être discutable. Seulement, il convient de
relativiser cette attitude car la Légion française continue de recruter
et d’enrôler librement des citoyens sénégalais. Aussi, le 21 mai 2021,
des milliers de Sénégalais manifestaient en faveur de la Palestine dans
les rues de Dakar et l’ambassadeur de la Palestine au Sénégal, Safwat
Ibraghith, se disait surpris par le soutien des Sénégalais : «Nous avons
été submergé par l’élan de sympathie des Sénégalais qui sont
naturellement venus nous consoler, des Sénégalais qui souhaitent
rejoindre l’armée de la Palestine et se battre à nos côtés. C’est
inédit. Je n’ai jamais vécu ça et je n’oublierai jamais cela. C’est un
message fort et courageux. Ça nous a touché et impressionné.» A ce que
l’on sache, jamais le Sénégal n’a convoqué l’ambassadeur ou publié un
communiqué pour mettre en garde contre de telles opérations. Dans le cas
de l’Ukraine, d’autres pays ont accepté l’opération d’enrôlement de
volontaires pour la défense de l’Ukraine, comme le Japon, le Danemark,
la France, les Usa, le Canada, la Suède, la Lettonie, le Niger, etc. Par
contre, d’autres pays où le même appel a été relayé par les
ambassadeurs d’Ukraine, ne l’ont pas accepté mais n’ont pas pour autant
poussé leur aversion jusqu’à convoquer un ambassadeur ou publier un
communiquer officiel de menace. La leçon de l’histoire est que la
diplomatie ne se mène pas sur la place publique. Il est certain que
Yurii Pyvovarov n’aurait fait aucune résistance pour obtempérer aux
injonctions du Sénégal, même si c’était fait dans l’intimité d’un
bureau. La mise en garde a été d’autant plus mal reçue qu’elle
intervient au lendemain d’un vote incompris du Sénégal à l’Assemblée
générale de l’Onu. En tout cas la perception a pu être, sans doute à
tort, que le Sénégal pencherait pour Poutine. Au demeurant, il faudrait
éviter le suivisme et tomber dans une posture anti-occidentale grégaire
de certaines élites africaines. On peut reprocher à la France ou aux Usa
d’avoir eu des comportements de «salauds», dans de nombreux théâtres
dans le monde, mais force est de dire que la violation de la loi ou de
la légalité internationale ne saurait légitimer ou justifier une autre
violation du droit. De manière triviale, ce n’est pas parce qu’un crime a
été ignoré, toléré ou qu’on se soit résigné, qu’un nouveau crime puisse
être acceptable.
Aux
dernières nouvelles, le Sénégal a retrouvé sa place aux côtés du monde
libre en décidant de voter désormais toutes les résolutions condamnant
la Russie.
Il
est à noter qu’au nom de l’Union africaine dont il assure la présidence
en exercice, Macky Sall a interpellé Vladimir Poutine sur la nécessité
de respecter les droits humanitaires, ceci avant même le vote de la
Commission des droits de l’Homme de l’Onu