Russie-Ukraine : Aux origines d’une longue crise de plusieurs décennies
Alors que l’invasion
russe en Ukraine est officiellement lancée, ce jeudi matin, par
Vladimir Poutine, il semble être utile de revenir sur la longue et
tortueuse histoire qui oppose ces deux nations voisines et qui a préparé
le terrain à la crise qui se déroule sous nos yeux.
Les
images ont choqué le monde. Le président russe Vladimir Poutine a mis à
exécution, tôt le matin ce jeudi 24 février, ses récentes menaces en
lançant une « opération militaire spéciale » en Ukraine, ce, malgré
l’opposition affichée par la communauté internationale.
Dans
un article paru en 2014, lors de l’invasion de la Crimée par la Russie,
le site nationalgeographic.com donnait une idée de cette affaire qui,
aujourd’hui, continue de défrayer la chronique. En effet, pour saisir
l’héritage commun des deux pays dans toute son ampleur, il faut remonter
dans le temps de plus d’un millénaire, lorsque Kiev, aujourd’hui
capitale ukrainienne, était au centre du premier État slave : la Rus’ de
Kiev, qui a donné naissance à l’Ukraine et la Russie en même temps. En
l’an 988, Vladimir le Grand, prince païen de Novgorod et grand-prince de
Kiev, se convertit au christianisme orthodoxe et se fait baptiser dans
la ville criméenne de Chersonèse. Depuis lors, « Russes et Ukrainiens ne
forment qu’un peuple, un tout uni », selon une déclaration récente de
Vladimir Poutine.
Héritage de la discorde
Pourtant,
ces dix derniers siècles, les puissances concurrentes n’ont eu de cesse
de morceler l’Ukraine. Au 13e siècle, des guerriers mongols venus
d’Orient prennent la Rus’ de Kiev. Au 16e siècle, les armées polonaise
et lituanienne envahissent le pays par le flanc ouest. Au 17e siècle, la
guerre entre la république des Deux Nations et le tsarat de Russie voit
les territoires situés à l’est de la Dniepr passer sous contrôle
impérial russe. L’est de l’Ukraine devient la « Rive gauche » ; et on
appelle « Rive droite » les territoires se trouvant à l’ouest de la
Dniepr et contrôlés par la Pologne.
Plus
d’un siècle plus tard, en 1793, la Rive droite ukrainienne est annexée
par l’Empire russe. Dans les années qui suivent on met en place la
russification, un ensemble de mesures interdisant notamment
l’utilisation et l’étude de la langue ukrainienne. On contraint
également les habitants à se convertir à l’orthodoxie russe.
Mais
c’est au 20e siècle que l’Ukraine va endurer un de ses traumatismes les
plus graves. Après la révolution communiste de 1917, à l’instar
d’autres pays, l’Ukraine connaît une guerre civile brutale avant d’être
absorbée entièrement dans l’Union soviétique en 1922. Au début des
années 1930, pour forcer les paysans à rejoindre les kolkhozes, Joseph
Staline orchestre une famine qui aboutit à l’affamement et à la mort de
millions d’Ukrainiens. Ensuite, Staline fait venir Russes et citoyens
soviétiques en nombre pour repeupler l’est. Pour beaucoup, ils ne
parlent pas ukrainien et n’ont pas vraiment de lien avec la région.L’indépendance de l’Ukraine en 1991
Cet
héritage historique a ancré des divisions encore bien visibles
aujourd’hui. L’est de l’Ukraine est très tôt passé sous le joug russe,
tandis que l’ouest a été brinquebalé pendant des siècles entre les mains
de puissances européennes comme la Pologne et l’Autriche-Hongrie. De ce
fait, les habitants de l’est entretiennent des liens plus forts avec la
Russie et ont tendance à soutenir des dirigeants pro-russes alors que
l’ouest de l’Ukraine a tendance à soutenir des politiciens pro-Occident.
L’est compte davantage de russophones et de pratiquants orthodoxes ;
certaines régions de l’ouest sont davantage ukrainophones et
catholiques.
Après
l’effondrement de l’URSS en 1991, l’Ukraine a pris son indépendance.
Mais l’union du pays s’est avérée difficile. « Le sentiment de
nationalisme ukrainien n’est pas aussi ancré à l’est qu’à l’ouest »,
estime Steven Pifer, ancien ambassadeur américain en Ukraine. La
transition vers la démocratie et le capitalisme a été douloureuse et
chaotique, et il tardait à bon nombre d’Ukrainiens, surtout à l’est, de
retrouver la stabilité relative des périodes passées.Des « cicatrices » rouvertes en 2004
«
Après tous ces facteurs, la plus grande fracture réside dans le fait
que certains voient l’ère impériale et soviétique d’un œil plus
favorable que d’autres qui considèrent que c’est une tragédie »,
explique Adrian Karatnycky, spécialiste de l’Ukraine et ancien
contributeur au think-tank Atlantic Council. Ces cicatrices ont été
rouvertes lors de la révolution orange, en 2004, qui a vu des milliers
d’Ukrainiens descendre dans la rue en faveur d’un rapprochement avec
l’Union européenne notamment.
D’après
Serhii Plokhii, professeur d’histoire à Harvard et directeur de
l’Institut de recherches sur l’Ukraine, cette division est d’ailleurs
visible sur les cartes écologiques du pays : d’un côté les steppes du
sud et de l’est de l’Ukraine avec leurs terres arables, de l’autre les
régions boisées du nord et de l’ouest. Selon lui, une de ces cartes
représentant la démarcation entre steppes et forêts (une ligne diagonale
courant d’est en ouest) « ressemble de manière frappante » au découpage
politique lors des élections présidentielles ukrainiennes de 2004 et de
2010.
La
Crimée a été occupée et annexée par la Russie en 2014. Peu après, un
soulèvement séparatiste dans le Donbass, dans l’est de l’Ukraine, a vu
naître, avec le soutien des Russes, les républiques populaires de
Lougansk et de Donetsk. Aujourd’hui, de nouveau, les troupes russes sont