Crise ukrainienne: les trois scénarios qui s’offrent à Vladimir Poutine
La Russie pourrait se contenter de la
reconnaissance des deux républiques sécessionnistes de Donetsk et
Lougansk, mais elle pourrait aussi chercher à conquérir une partie du
reste de l’Ukraine.
La
Russie vient de franchir son Rubicon: ses troupes sont désormais
officiellement présentes dans l’est du territoire ukrainien, en plus de
la Crimée.
Vladimir
Poutine vient en effet de reconnaître l’indépendance des deux
républiques sécessionnistes de Donetsk et Lougansk, qui jouxtent le
territoire russe. Il a, dans la foulée, envoyé des troupes russes pour
«protéger ces territoires contre une attaque militaire ukrainienne». La
fiction selon laquelle la Russie n’était pas partie prenante du conflit
dans l’est de l’Ukraine a donc volé en éclats: elle est explicitement
belligérante.
Désormais, le pouvoir russe a trois options très différentes devant lui:
- un scénario «géorgien», qui figerait ses positions militaires et mutilerait durablement l’unité du territoire ukrainien;
- un scénario révisionniste et maximaliste d’invasion de l’Ukraine depuis le nord, l’est et le sud;
- un scénario «azovien», dans lequel la Russie envahirait uniquement le territoire qui jouxte la mer d’Azov pour établir une continuité territoriale avec la Crimée, annexée par elle en 2014.
Scénario 1: un gel «à la géorgienne»
En
2008, la Russie et la Géorgie étaient entrées en guerre, à l’initiative
du gouvernement géorgien de l’époque, dirigé par Mikheïl Saakachvili.
Le conflit s’était soldé par la défaite de la petite Géorgie et la
sécession de deux territoires: l’Abkhazie, sur le littoral de la mer
Noire, et l’Ossétie du Sud, à la frontière montagneuse avec la
Fédération de Russie (l’Ossétie du Nord étant un «sujet», c’est-à-dire
un territoire fédéré de la Fédération de Russie). Cette sécession avait
été suivie d’une reconnaissance par Moscou de l’indépendance des deux
«États». Seuls quelques régimes amis de la Russie l’avaient suivie dans
la reconnaissance, notamment la Syrie et le Venezuela.
Aujourd’hui,
la Fédération de Russie peut encore choisir un scénario «géorgien» pour
les territoires de Lougansk et Donetsk, s’arrêtant donc à leur
reconnaissance, sans chercher à aller plus loin en territoire ukrainien.
Cela présenterait, pour elle, plusieurs avantages: accroître son
emprise sur le territoire de l’Ukraine sans avoir officiellement
déclenché d’invasion ni même combattu; compter ses alliés en dénombrant
ceux qui la suivront dans la reconnaissance de ces États (Kazkhstan?
Biélorussie? Chine?); et peut-être éviter que l’Occident ne prenne des
sanctions très lourdes contre son économie.
Toutefois,
après que, dans son discours du 21 février, Vladimir Poutine a
vilipendé l’Ukraine, la présentant comme un État artificiel et soumis
aux Occidentaux, cette position serait difficilement compréhensible pour
une opinion publique russe persuadée par de nombreux médias et par son
président lui-même que la nation ukrainienne n’existe pas et que le
pouvoir de Kiev serait sur le point de commettre un génocide contre les
russophones de l’Est du pays.
Scénario 2: une campagne maximaliste
Pour pousser son avantage, Vladimir Poutine pourrait être tenté d’engager une invasion complète de l’Ukraine.
Dans
son allocution du 21 février, il n’a pas exclu cette option. Si
l’Occident est une menace existentielle pour la Fédération de Russie et
que l’Ukraine en est une colonie artificiellement constituée pour
préparer l’affaiblissement de la Russie, alors la conséquence est
inévitable: Moscou doit reconstituer en Ukraine un «État tampon»
appartenant à sa sphère d’influence.
Jusqu’à
il y a peu, plusieurs hypothèses étaient ouvertes: une neutralisation
de l’Ukraine, une «finlandisation» ou même l’installation d’un
gouvernement pro-russe à Kiev. Aujourd’hui, la présence de troupes
russes sur le territoire ukrainien polarise les Ukrainiens: ils se
définissent pour une large part en opposition à la Russie. Puisque
rallier l’Ukraine à sa sphère d’influence paraît impossible et puisque
les Occidentaux ne souhaitent pas donner à la Russie les garanties
qu’elle exige, il lui reste à s’emparer de ces garanties elle-même, les
armes à la main.
Pour
Moscou, ce scénario de conquête aurait plusieurs avantages. Tout
d’abord, si les Occidentaux se refusent à intervenir militairement en
Ukraine, le succès militaire russe est assuré. La campagne serait
déclenchée par le Nord à partir de la Biélorussie, par l’est depuis la
Russie, par le Sud depuis la Crimée et par l’ouest à partir de la
Transnistrie. Ensuite, la prise de l’Ukraine replacerait la Russie en
position de force en Eurasie, à la fois dans son face-à-face avec
l’Union européenne et dans le partenariat très compétitif avec la Chine.
Enfin, cela donnerait au régime Poutine, du point de vue de l’opinion
publique intérieure, un élan nationaliste indéniable.
Une
victoire militaire renforcerait la Russie stratégiquement tout en
l’affaiblissant politiquement (elle se retrouverait encore plus isolée
qu’aujourd’hui sur la scène internationale) et économiquement (les
Occidentaux ne manqueraient pas d’adopter des sanctions particulièrement
lourdes).
Scénario 3: une vision «azovienne»
La
troisième option militaire à la disposition de Moscou est la conquête
des provinces qui séparent, sur le continent, ces Républiques
autoproclamées de la Crimée annexée en 2014.
La
Russie pousserait son avantage par un campagne éclair à partir de
Lougansk et Donetsk, pour établir une continuité continentale entre deux
parties de son territoire. Ce scénario présente des avantages d’un
autre ordre pour Moscou: si la présidence russe considère que les
sanctions décidées aujourd’hui par les Occidentaux sont de toute façon
maximales, autant pour elle pousser son avantage et réaliser une
partition de fait de l’Ukraine; en outre cette conquête «limitée»
pourrait être justifiée par la protection des russophones de l’Ukraine
orientale car les populations sont, dans cette zone (autour de Marioupol
notamment) tournées vers la Russie.
La
Russie se trouve à la croisée des chemins avec ces trois scénarios. Le
dosage des sanctions par les Européens sera déterminant: si elles sont
perçues comme maximales, le Kremlin sera tenté d’empocher un gain
supplémentaire par la conquête. Mais si elles sont considérées comme
trop faibles, il lira cette réaction comme un signe de faiblesse…
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.