Voyage à Kidira : Au coeur d’une souffrance sans frontière
Pour forcer la main au Colonel Assimi Goïta, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest a instauré une série de sanctions contre le Mali, dont la fermeture des frontières terrestres et aériennes avec le Sénégal. Une décision qui, sur le terrain, à la frontière de Kidira, se traduit, outre les conséquences économiques, par une incompréhension des populations. Les routiers en premier.
C’est un lopin de terre tendu d’une piste ocre, bordé sur le versant Est par de nombreux arbres et en contrebas, sur le versant opposé, par quelques maisons et services. Du côté du béton, Kidira, au Sénégal. En face, délimité par des neems ou margousiers, Diboli, au Mali. Au milieu, la ligne frontière où deux officiers sénégalais montent la garde dans le calme. En temps normal, cette zone grouille de vie, entre le bruit des moteurs de la gare routière, les effluves des repas des restauratrices et les échanges linguistiques du marché. Maliens et Sénégalais s’adonnaient alors librement et indistinctement à leurs activités, au plus grand bonheur de l’économie locale et nationale. Mais depuis le 9 janvier, une barrière improvisée faite de barbelés et de pneus colorés rouge et blanc empêche toute interaction. On ne passe plus, ni d’un côté, ni de l’autre. La Cedeao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest) en a décidé ainsi. Insatisfaits des conditions de transition proposées par le gouvernement malien, les dirigeants de la Cedeao ont pris une série de sanctions parmi lesquelles, la fermeture des frontières entre les États membres de l’organisation et le Mali. Conséquences, comme toutes les autres communes frontalières du Sénégal, Kidira, porte d’entrée la plus directe vers Bamako, est devenue économiquement une zone morte.
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«Même pour se dire bonjour, on se met de chaque côté de la frontière. C’est pitoyable»
Distante
de la capitale dakaroise de 692 km et arrimée au premier village
malien, sur la rive droite de la Falémé, Kidira est un carrefour où les
12 571 habitants côtoient chaque jour les quelque 9 000 personnes qui y
transitent. Une situation géographique qui profite à l’économie locale.
Les populations vivent des produits de la frontière et la principale
activité reste le commerce. Subsidiairement, la prise en charge des
immigrés qui passent quotidiennement la frontière. Mais depuis la
fermeture sans délai, les travailleurs se rongent les freins.
Sur la
crête de Diboli, la manière dont les voitures et motos sont rangées
aurait pu faire une belle photo de carte postale. Stationnés au sommet
de la piste rouge avec le ciel en décor de fond et les arbres en
barrière protectrice, les jakartamen et les taximen semblent s’offrir un
moment de détente. Mais la fébrilité de leur regard et le vrombissement
par à-coups des moteurs trahissent leur nervosité. Mains en visière,
ils scrutent régulièrement l’horizon sénégalais à la recherche du
moindre client. De l’autre côté, leurs collègues sénégalais ne sont pas
au mieux. Les rares personnes qui traînent encore sur le parvis, ne
remplissent même pas un car, à plus forte raison les dix qui,
d’habitude, partent chaque jour de Kidira vers l’intérieur du pays. A
l’arrêt, un bus attend d’avoir le nombre de passagers pour s’ébranler
vers Dakar. Ce sera le seul départ de la journée, une évidence qui joue
sur les nerfs de Saliou Ndiaye. Visage sévère et gabarit de petit
lutteur, il s’énerve à tout-va. Contre un vieux coupable de traverser
n’importe comment. Contre un jeune homme au verbe trop haut. Contre un
photographe dont l’objectif aurait capté son image sur la rue publique.
Il est le seul dont la voix est distincte sur le parvis de la gare. «Je
m’énerve parce que des gens sont venus ici, il y a quelques jours, nous
filmer pour ensuite raconter n’importe quoi sur la toile. Nous nous
devons de protéger l’image du Sénégal, il ne faut pas mettre le feu aux
poudres à la frontière», éructe-t-il, toutes veines saillantes. La
manière dont les gens le regardent et surtout l’évitent dans sa colère,
montre l’importance du personnage dans la zone. Saliou est transporteur,
responsable des bus «Al Azhar» qui font la navette Dakar-Kidira. Il y a
peu, il avait jusqu’à six bus à charger par jour, mais avec la crise,
il arrive à peine à en remplir un. En quinze jours de blocus, il n’en
est plus qu’à compter ses pertes. La raison intrinsèque de son coup
d’éclat, quand les autres impactés ont décidé de se terrer dans un
silence hébété. Mouminatou Diallo vend de la nourriture à la frontière
depuis 2015. Elle en a vu passer de toutes les couleurs, mais jamais
encore le scénario où sa marmite de riz regrette la clientèle. La main
qu’elle tient constamment bloqué au-dessous de sa mâchoire témoigne de
son désarroi. «C’est la première fois que je vois une telle chose ici.
Je viens seulement par acquit de conscience et toujours dans l’espoir de
retrouver les clients», s’exclame-t-elle, réajustant le pagne sur sa
forte corpulence. Voilà plus d’une dizaine de jours que les affaires ne
marchent plus pour Mouminatou. A peine aura-t-elle vendu deux plats de
«cebbu jën» aujourd’hui pour quelqu’un qui écoulait tout son menu au
petit-déjeuner et au déjeuner. Elle a fini par arrêter la préparation du
matin et à réduire la quantité du midi. Au jour déclinant, elle devra
se rendre à l’évidence d’une baisse drastique de ses recettes. A raison
de 500 FCfa le plat, elle n’aura que 1 000 FCfa à ramener à la maison.
Le prochain menu devra donc se passer de viande. Ce qui tombe bien,
puisque cette denrée se fait aussi rare à Kidira. Le commerce de bétail
fait partie des activités des frontaliers et la commune est l’une des
principales portes d’approvisionnement en moutons lors de la Tabaski.
Mais depuis la fermeture, l’abondance n’est plus de mise. L’étal
d’Alassane Bâ en est la parfaite illustration. Établi sur la route
nationale, à quelques encablures de la ligne frontière, le boucher rit
de sa mésaventure, il a tardé à faire son marché à Diboli et maintenant,
il n’a plus que quelques morceaux à proposer à la clientèle. «La viande
de bœuf et de mouton de mon étal vient du Mali et il ne m’en reste
pratiquement plus. Je serai obligé de me rabattre sur les chèvres pour
éviter la fermeture», déplore l’homme.
A Kidira, vit aussi une
grande partie d’étrangers dont la majorité est malienne. «Au moins 70%
de la population», dit un des collaborateurs du maire Demba Niox Thiam.
Lui-même accueille dans sa maison deux de ses neveux dont la mère est
mariée au Mali. Des parents qu’ils ne peuvent plus voir tant que la
situation n’est pas rétablie. Ce qui désole l’édile. «Les Maliens sont
des voisins, une grande partie vit dans ma commune, tandis qu’ils ont
leurs familles de l’autre côté. Les premiers jours, ce blocus était un
crève-cœur pour eux. Ils ont souffert de ne plus pouvoir partir voir
leur famille. Même pour se dire bonjour, on se met de chaque côté de la
frontière. C’est pitoyable. Malheureusement, c’est une décision qui va
au-delà du Sénégal», dit-il sans faux-semblant. Même si elle n’est pas
très organisée, la communauté malienne bénéficie, en la personne du
vieil Ahmed Cissokho, un représentant et porte-parole. Installé à la
frontière depuis 1976 et uni à une Sénégalaise, Ahmed fait office de
pont entre Kidira et Diboli. Il y a quelques années, pour régler les
problèmes de voisinage, il a initié un jumelage entre les deux communes.
Les soirées organisées régulièrement de part et d’autre de la
frontière, viennent en symbole de solidification des liens. Par
ailleurs, c’est aussi lui qui intervient lorsqu’éclate une dispute ou
incompréhension entre Sénégalais et Maliens. Ou quelques autres
problèmes, comme cette fermeture sans délai. Il ne se passe plus un jour
sans qu’il ne reçoive les récriminations de sa communauté. Ce jour-là,
Traoré, un transitaire, est venu passer sa colère sur lui. Cela fait
trois jours qu’il fait le pied de grue à la frontière pour espérer
bénéficier d’un passage. Il a, avec lui, embarqué sur sa moto, un lot de
maillot de football qu’il doit remettre à des jeunes sportifs maliens
qui en avaient fait la commande. Assis sur un banc en face de la
frontière, le bras passé derrière la tête et l’œil à moitié clos
derrière ses lunettes de vue, Cissokho laisse passer la tempête. C’est
la stratégie qu’il a choisie depuis le début de cette affaire. Non parce
qu’il fait l’autruche, mais parce qu’il ne sait quoi dire d’une
situation assez inédite, même s’il sait que sa responsabilité est
engagée dans la manière dont les évènements sont vécus par ses
compatriotes. Il ne connaît rien à la politique et comprend à peine le
communiqué de la Cedeao et ses implications. Toute sa vie, il a essayé
de se tenir loin de ces considérations. Maintenant que ça lui tombe
dessus, il essaie de conserver le capital harmonie établi entre Maliens
et Sénégalais. Faire comprendre aux riverains que la situation ne
découle pas d’une animosité entre les deux pays. Même si c’est difficile
à entendre pour la jeune Sellé, 23 ans, mariée à un Sénégalais et
installée à Kidira depuis cinq ans. Ses parents, frères et sœurs qui
vivent à Kayes, lui sont désormais inaccessibles. Elle avait pourtant sa
petite routine : celle de se rendre tous les mois au chevet de ses
parents. Cette semaine devait être celle où elle devait s’offrir cette
parenthèse. La politique communautaire lui refuse ce droit. «C’est dur,
très dur même de les savoir si proches et pourtant si loin»,
pleure-t-elle de tristesse. D’autant plus dur qu’elle n’a pas non plus
les moyens de leur donner l’argent qu’elle leur offrait chaque mois. Un
petit pécule issu de la vente de glace, son activité pour aider les
siens à lutter contre la pauvreté. Assise dans sa cuisine, la mine
triste, elle lance un cri du cœur pour la réouverture des frontières.
Elle attendra sagement d’ici là pour retourner à Kayes.
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«Depuis la crise, les montants collectés gravitent autour de 10
millions de FCfa contre une moyenne de 60 millions de FCfa en temps
normal»
Pour d’autres, cette attente n’est plus tenable. La frontière
à cet endroit est une longue bande de terres qui s’enfoncent, par
endroits, dans la brousse. Un chemin de traverse que certains ont choisi
de prendre à leurs risques et périls. A la gare routière, ils sont
plusieurs chauffeurs à confirmer cette version d’une route clandestine.
Une affluence d’immigrés qui a poussé la Direction de la police de l’air
et des frontières à déployer, la semaine dernière, un renfort composé
de Gmi pour raffermir la sécurité. Ils viennent de remettre Jonathan à
la Police des frontières. Un petit poste composé de trois bureaux et
d’une cellule et où la touffeur est plus cuisante qu’à l’extérieur.
Nigérian en provenance du Mali et en partance pour la Gambie, Jonathan a
passé la frontière on ne sait trop comment. Il est accompagné de deux
autres hommes et d’une femme dont les bagages sont fouillés à même le
sol du poste. Il faut s’assurer, dans un premier temps, qu’aucun produit
prohibé n’est transporté, avant de s’attaquer au gros du problème : le
passage clandestin. «I don’t see the reason why they skeep us here (Je
ne vois pas pourquoi ils nous gardent ici)», répète encore et encore
Jonathan, en montrant son passeport Cedeao. Il ne sait rien des enjeux
qui se jouent ici et peine même à comprendre quand il reçoit des
explications. Pourquoi les simples citoyens sont sanctionnés pour un
problème qui les transcende, semble dire le regard larmoyant qu’il jette
au policier. «Des gens essaient de passer par tous les moyens. Ils
essaient de nous prendre par les sentiments lorsqu’on les arrête, mais
nous ne faisons qu’appliquer des décisions qui vont au-delà du Sénégal»,
chuchote l’officier. Le regard qu’il lance en réponse à celui de
Jonathan, est navré.
L’atmosphère est bien meilleure au bureau des
Douanes de Kidira. Parée d’un vert frais éclairci par endroits de blanc,
la construction dépareille d’avec la couleur poussiéreuse des autres
bâtiments de la frontière. Les lieux sont bien entretenus et l’accueil y
est chaleureux. Derrière son bureau, l’agent enregistre les demandes
aussi vites qu’elles viennent et veille à évacuer le monde qui risque de
s’accumuler. Avant la crise, les expéditions dans le sens Dakar-Bamako
étaient essentiellement constituées de fer, ciment, carburant, sucre,
riz, sel, médicaments, véhicules etc. Dans l’autre sens, le Sénégal
reçoit surtout des textiles et ce qu’on appelle les produits du cru :
piment, tamarin, café, pain de singe… Avec les sanctions, tout cet
échange s’est arrêté, à quelques exceptions d’importance. Comme lors de
la première décision de fermeture des frontières terrestres et aériennes
en août 2020, lors de la prise du pouvoir malien par les militaires,
les pays de la communauté ont décidé de stopper toutes les transactions
financières et tous les flux économiques et commerciaux, sauf pour les
denrées de première nécessité, les médicaments, les produits pétroliers
et l’électricité. Même si le Colonel Assimi Goïta a dit prendre toutes
les dispositions pour approvisionner le peuple malien, il n’empêche
qu’aux frontières sénégalaises, ces produits sur la liste des exceptions
passent encore. «Au départ, juste après la rencontre des chefs d’État,
la douane a reçu instruction de ne laisser passer que les médicaments.
Par la suite, il y a eu des évolutions avec des ajouts à la liste des
dérogations : le carburant et le riz. Plus tard, la farine et le blé.
Enfin, conformément à l’annexe de la décision de la Cedeao du 9 janvier
2022, la dérogation s’est étendue à l’ensemble des biens de consommation
de première nécessité. Ce qui est fait qu’il y a une souplesse dans les
sanctions infligées au Mali, en attendant que la situation s’améliore»,
dit le Colonel Abdoulaye Fall, chef de Bureau des douanes de Kidira.
Les camionneurs ou opérateurs économiques qui transportent les produits
autorisés, peuvent encore faire transiter leur chargement par
l’intermédiaire des transitaires. Des dérogations qui sont sources
d’incompréhension pour des routiers peu au fait de la chose politique,
malgré la disponibilité de l’Administration douanière. C’est là le
moindre mal. A l’échelle de l’économie nationale, le Sénégal perd pas
moins 53 millions de FCfa par décade d’exercice. En temps normal, dans
le sens Dakar-Bamako (exportations et réexportations), le bureau
enregistre en moyenne 225 camions par jour. Mais depuis la crise, le
chiffre a été clairement revu à la baisse. Il n’y a plus qu’environ 50
camions qui passent par jour. Colonel Fall : «La douane effectue les
versements par décade. Tous les 10 jours, le bureau versait au moins
entre 60 et 80 millions de FCfa. Mais depuis la crise, les montants
collectés gravitent autour de 10 millions.» Une baisse des réalisations
qui, à terme, aura des incidences sur l’économie. Selon le Bulletin
mensuel des statistiques du commerce extérieur de novembre 2021, les
exportations du Sénégal s’étaient hissées à 271,2 milliards de FCfa avec
l’apport de principaux clients, dont le Mali qui, avec 19,7%, truste le
haut du classement.
Des camionneurs au bord de l’épuisement
A côté de ces pertes
financières connues et peut-être même anticipées, une autre tragédie,
cette fois-ci humaine, pourrait se jouer dans les jours à venir. La
Cedeao qui n’a pas laissé un délai de repli aux camionneurs déjà engagés
sur le terrain, est en train de créer des indigents à Kidira. Victimes
collatérales de sanctions contre un homme à l’abri dans son Palais, ils
sont à la limite de leurs provisions. Il faut sortir du centre pour les
rencontrer. Parqués dans un grand terrain de 15 hectares, ils empestent
la fatigue et la faim. Surtout la colère. «Comment enfermer une personne
ne lui donnant ni à manger ni à boire ? La Cedeao veut-elle notre mort
?» Crie Sidiki Dembélé. La fureur de l’homme respire à travers toute sa
gestuelle. Son ton est sec, son débit rapide, les mots claquent aussi
durement que les rictus au coin de sa bouche. Il habite Bamako et
travaille dans le milieu depuis 25 ans. Jamais en autant de temps à la
frontière, il n’avait vécu pareille situation. Exit le fait de plus
pouvoir voir sa famille à sa guise, son problème immédiat est la prise
en charge de son séjour forcé en terre Boundou. L’argent comme les
rations s’amenuisent jour après jour. Il en est à être heureux de
pouvoir manger trois repas aujourd’hui. Pour certains, ce n’est plus
possible, à moins de mendier. En ville, l’un d’entre eux toque à la
porte des maisons pour quémander de quoi préparer un petit repas.
Difficile de faire attention à l’homme au premier abord, sauf lorsqu’il
montre son sachet noir et les ingrédients qui le remplissent : du
piment, des tomates, un petit sachet d’huile, du tamarin, de l’oseille,
du riz. Il ne demande pas grand-chose, juste 100 FCfa pour se réchauffer
le ventre. Cela fait deux jours qu’il n’a pas pris de repas chaud. «Il
faut trouver une solution avant que les choses ne dégénèrent», crache
Sidiki. Un routier reçoit entre 100 000 et 200 000 FCfa pour le trajet
Bamako-Dakar. Une enveloppe avec laquelle il doit s’acquitter des taxes,
frais de dédouanement, de chargement, de carburant… Il garde une petite
partie pour son alimentation durant le trajet. Tout cela est
strictement calculé et tout retard a des répercussions sur
l’organisation. Après plus de quinze jours de blocus, autant dire que
les camionneurs sont sur les rotules. Ismaëla Ndiaye, un jeune
sénégalais habitant à Touba et travaillant depuis 2014 pour une société
malienne, est des camionneurs bloqués. Il aurait bien pu rejoindre son
domicile s’il n’avait pas un chargement de ciment à surveiller. Il
voyage avec deux autres de ses compatriotes. «Chaque jour, on dépense, à
nous trois, 10 000 FCfa. On ne pourra plus tenir très longtemps. Il ne
nous reste plus qu’une semaine de ravitaillement», chuchote-t-il,
presque en s’excusant. Il ne veut pas trop se plaindre par décence et
respect envers ses collègues maliens. Il peut encore joindre sa famille,
lui. Ils étaient au moins 1 000 routiers sur le parking à raison de 300
camions stationnés. Sans compter ceux qui continuent d’affluer. Pour
tous, les décisions prises par la Cedeao auraient dû s’accompagner d’un
délai d’exécution pour leur permettre de sortir du territoire
sénégalais. Au sixième jour de la fermeture des frontières, ils ont
improvisé une marche pacifique vers le poste de gendarmerie pour faire
entendre leur misère. Depuis, ils sont surveillés comme du lait sur le
feu par les hommes en bleu. Même si eux rassurent : «On ne veut ni
polémiquer, ni se battre. Juste rentrer dans nos foyers», apaise un
homme à côté de Sidiki. Pour faire baisser la tension, ils ont décidé de
se défouler sur le terrain de foot, derrière le labyrinthe
impressionnant de camions. En cette fin de journée, ils sont nombreux à
déserter les citernes pour cette activité. Idrissa Sanokho, 38 ans,
originaire aussi de Bamako et transporteur depuis 2003, est assis sur la
ligne de touche. Le regard et les encouragements qu’il prodigue à
tout-va à ses camarades en disent long sur son désir de les rejoindre
dans le jeu. Mais Idrissa a choisi d’économiser ses forces. Il n’a pas
pris le dîner hier et le petit-déjeuner de ce matin lui a été donné à
crédit par Mouminatou, la restauratrice à la frontière. Idrissa ne sait
plus de quoi ses lendemains seront faits, il n’a plus un seul centime en
poche et ne sait pas quand est-ce que cette situation prendra fin. «Je
suis fatigué», parvient-il à sortir. Combien de temps tiendra-t-il
encore ?
«Ce qu’on peut faire au niveau local, c’est de nous
arranger pour mettre les camionneurs à l’aise. Dans le Boundou, on ne
laisse jamais les gens mourir de faim. C’est culturel. Les camionneurs
sont au bout de leur ration, nous allons donc nous organiser pour leur
cuisiner quelques plats», dit au bout du fil Demba Niox Thiam, maire de
la ville de Kidira. Candidat à sa propre succession, il est
insaisissable en cette période de campagne. Après un jeu de chat et de
souris à travers les villages de Kidira, il faut se résoudre à l’appeler
au téléphone. L’homme est confiant quant à sa réélection, il a fait
venir l’eau courante dans la commune. Il perd une partie de ses recettes
municipales avec cette situation, mais sait et comprend que le plus
urgent maintenant est de désamorcer la crise sous-jacente avec les
camionneurs. «Des marmites de ‘’mbakhal’’ leur seront servis dès
demain», y va-t-il de sa contribution pour un problème qui dépasse
largement ses compétences. Pas sûr que cela suffise à faire taire les
colères de citoyens qui n’ont rien demandé.