L’hommage de Serigne Mansour Sy Djamil à Desmond Tutu
Le chef religieux et
homme politique Serigne Mansour Sy Djamil a rendu un hommage à « son
mentor ». Un hommage qui relate le parcours du « frère jumeau de Mandela
» et le symbole qu’il aura été dans la lutte pacifique. Le leader du
parti Bes Du Niak confie enfin que Desmond Tutu était pour lui, un homme
de religion, une source d’inspiration.
Seneweb propose l’intégralité de l’hommage.
HOMMAGE à DESMOND MPILO TUTU « le droit d’être diffèrent, le devoir d’être ensemble »
Desmond Mpilo Tutu notre mentor, vade in peace !
A
la disparition de Nelson Mandela, le Directoire National de Bes Du Ñakk
avait fait une déclaration sous ma signature, intitulée : « Mandela
notre amour ». Aujourd’hui son frère jumeau un des plus grands militants
pacifistes que le monde ait connus s’est éteint ; et la planète entière
s’incline devant sa mémoire. Le directoire national de Bes Du Ñakk
magnifie le travail remarquable et glorieux de cet homme d’église. Ce
géant humble a mené, toute sa vie durant, une lutte inépuisable pour la
paix et l’émancipation de son peuple.
Lorsque
Mandela est sorti de prison en 1990, il a passé sa première nuit avec
Desmond Mpilo Tutu, notre mentor, qui a porté la lutte pour la
libération de son frère de combat.
En
ma qualité de Co-président du Conseil Mondial des Religions pour la
Paix, je m’associe au brillant hommage que notre Secrétaire Générale,
Azza KARAM, vient de lui rendre. Desmond Tutu était un ami et un mentor
pour beaucoup de membres de la famille de Religions pour la Paix. Il
était un messager de l’espoir. Ces rires ouvraient nos cœurs et sa
langue trempait notre conscience. Sa confiance en Dieu et son sens de
l’humain ont eu raison de toutes les formes de racisme, d’intolérance et
d’injustice.
Il
fut également le Président de la Commission de la Vérité et de la
Réconciliation chargée de faire la lumière sur les crimes et les
exactions politiques commis durant l’apartheid.
Desmond
Tutu continuera à inspirer nos batailles d’aujourd’hui et de demain.
Oui, ce prêtre anglican était un militant engagé ; et faisait partie de
cette race d’hommes religieux qui ont décidé de ne pas rester
insensibles face à l’oppression et à l’injustice en jouant leur
partition dans l’arène politique. A ceux qui s’en offusquaient de cet
engagement, il répondait : « quand les puissants de la terre nous
critiquent parce que nous faisons cette chose très « laide » qu’est
mélanger la religion à la politique, nous répondions -mais quelle bible
lisiez-vous ? » ; et il ajoutait « la paix implique forcément la vertu,
la justice, la salubrité, la plénitude, la participation aux décisions,
la joie, le rire, la compassion, le partage et la réconciliation ».
Desmond
Tutu, qui fut Prix Nobel de la paix le 10 Décembre 1984, a toujours été
une source d’inspiration pour moi, le religieux, qui fait l’objet
parfois de critiques pour son engagement politique. Et pour rejoindre
Desmond Tutu, je répondrais aussi : Quel coran lisez-vous ? Parce que
dans le Livre Saint il y’a plus de versets parlant de politique que de
versets parlant de prière, de jeûne, ou de pèlerinage. En effet, tout le
récit portant sur la vie des prophètes et qui constitue l’essentiel du
coran, est un narratif pour le pouvoir politique. Et la citation qui m’a
toujours inspiré est celle-ci : « rester neutre face à l’injustice
c’est avoir choisi son camp, soutenir le statu quo ». C’est la raison
pour laquelle j’ai l’habitude de dire que quand l’essentiel est en
danger, s’engager est un devoir.
Indubitablement,
le sacerdoce religieux ne saurait être antinomique à l’engagement
politique qui devient même un devoir, tel que l’avaient compris, Thierno
Souleymane Baal, Abdul Kader Kane, El Hadj Omar Foutiyou Tall, El Hadj
Malick Sy, Cheikh Ahmadou Bamba et plus récemment Serigne Babacar Sy et
Cheikh Tidiane Sy Al Makhtoum et bien d’autres, qui nous ont très tôt
servi de boussoles. Comment serait-il possible de rester insensibles aux
innombrables problèmes du Sénégal du fait de la précarité, du
sous-développement, de la mauvaise gouvernance, de l’absence de cap et
de capitaine, de la corruption. Les mêmes maux qu’a toujours décriés
Desmond Tutu qui, avec la même énergie et rigueur, a combattu les
présidents Zuma et Mbéki pour dénoncer leurs déviations par rapport aux
principes qui ont sous-tendu la longue lutte qu’ils ont menée ensemble.
Desmond
Tutu était une conscience exceptionnellement bénie. Après la
libération, il déclarait : « Il n’y a pas d’avenir sans la
réconciliation et le pardon dont la seule condition est l’aveu de la
vérité ». Il nous appartient aujourd’hui de continuer à vivifier la
profondeur de son legs.
Récemment,
à une conférence internationale de toutes les religions à Abu Dabi sur
le vivre ensemble, il revenait à chaque instant à l’esprit de tout le
monde « la nation arc en ciel »que l’archevêque avait mise en place avec
un courage inaltérable. Cet homme religieux nous a appris à ne pas
baisser les bras, à ne jamais renoncer à l’espoir que les peuples de
toutes couleurs, de toutes fois, riches comme pauvres, de toutes les
générations, se soulèveront un jour.
Bës
Du Ñakk, dès sa naissance, a pris l’option d’un rassemblement à
l’instar de cette prestigieuse structure qu’est l’ANC(African Nation
congres )qui a su regrouper des forces idéologiques socialement
autonomes, mais partageant des objectifs communs essentiels.
L’expérience de l’Afrique du Sud a guidé la réflexion de Bës Du Ñakk
pour le mode d’organisation et de leadership, tout en l’adaptant à la
situation du Sénégal au moment où l’Afrique souffre tragiquement de
l’absence de leaderships sérieux et éthique : c’est-à-dire porteurs
d’idées novatrices, ayant les aptitudes intellectuelle et scientifique
pour décliner une telle vision en stratégie opérationnelle.
Un
célèbre homme politique français Jacques Lang disait de Nelson Mandela :
« le grand homme politique du 20ème siècle celui qui a devancé, de par
sa sagesse, tous ses contemporains, s’appelle Nelson Mandela. Il fut élu
président au terme de plus d’un siècle de luttes multiples pour mettre
un terme à la domination raciste et impitoyable des blancs sur ce pays
d’Afrique australe. Mandela est l’archétype de l’homme politique tel
qu’on aimerait en fréquenter un peu plus, le meilleur dans tous les
domaines : la conviction, la sincérité, le courage. Il démontre une
étonnante capacité de s’améliorer en tirant les leçons de la vie qui
nourrit et fortifie, ce qu’on appelle le sens de la politique ». Nous
pouvons en dire autant de Desmond Tutu . Nous souhaitons ardemment la
même orientation pour les politiques d’aujourd’hui, afin d’éviter ce que
Platon, cité par Jacqueline de Romilli appelait la théâtrocratie « ce
stade d’évolution de la démocratie où tout le monde se croit compétent
sur tout sans avoir rien appris. Chacun acquiert alors une assurance qui
se transforme bientôt en impudence, refuse toute autorité et,
finalement, cherche à désobéir aux lois, ne respectant plus ni serment,
ni engagement ».L’archétype vivant de cette théâtrocratie est le pouvoir
actuel du Sénégal. Ce tintamarre indigeste que nous avons subi sur le
TER (Train Express Régionale) la semaine dernière en est un exemple
éloquent, projet inabouti sans pertinence cachant beaucoup de non-dits.
Le
non-respect des engagements du pouvoir actuel (mandat cinq ans et sept
ans ….) il n’y a pas de doute que ce samedi 1er janvier, au moment de
l’inhumation de Desmond Tutu, des milliers d’hommes et de femmes ont eu
les yeux rivés sur cet icône mondiale : Desmond Tutu. La qualité qu’il
incarnait sans doute mieux que quiconque demeure indubitablement la
sagesse. Et cette fierté inflexible qu’il portait en eux était chez
Mandela comme chez Desmond Tutu, une vertu héritière.
Tutu,
un creusé de leçons pour la jeunesse africaine, leçons d’endurance, de
fermeté, de conviction, de don de soi, d’oubli de soi, du sens de
l’élévation au profit de la mère patrie qui se résument en un seul mot :
le Patriotisme ! Un sacerdoce qui continuera d’inspirer Bes Du Ñakk
dans ses batailles. Nous nous inspirerons toujours de ces deux exemples
de patriotisme que sont Nelson Mandela et Desmond Tutu, pour chanter la
poésie de demain.
Par-dessus
tout, on aimerait voir les dirigeants sénégalais prendre exemple sur
eux. A ces dirigeants, présents et futurs, nous rappelons que trois
raisons guident l’engagement politique :
-être élu,
-être réélu
-laisser son nom dans l’histoire
Le
Président Macky SALL a été élu et « réélu » ; il lui reste de laisser
son nom dans l’histoire comme l’ont fait Desmond Tutu et Mandela, toute
proportion gardée. Mais nous lui souhaitons qu’il puisse prendre exemple
sur eux. Il peut également laisser son nom dans l’histoire comme Blaise
Compaoré, Idi Amin Dada et Yahya Jammeh. Nous ne le souhaitons ni pour
lui ni pour le peuple sénégalais. C’est à lui de choisir et l’histoire
sera là pour juger.
Des
maintenant, nous pouvons l’inviter à s’inspirer de cet humble prélat
dont l’existence fut émaillée de combats exténuants et dantesques contre
toutes les formes d’injustice provoquées par les hommes, toujours vêtu
de son éternel surplis pourpre. Les éléments qui à la faveur du destin
font des hommes et des femmes ordinaires des figures tutélaires, étaient
tous réunis chez cet homme, dont la vie a pu s’épanouir au-delà des
risques incalculables, soutenue par une énergie toujours renouvelée.
Quand nous entendons le Président Macky Sall dire qu’il va réduire
l’opposition à sa plus simple expression où la cour suprême invalidait
sans raison acceptable les listes de la coalition Yewwi Askan Wi à
Pikine, à Kédougou etc…, le Président choisit ses adversaires, nous
constatons que le pouvoir provoque le peuple sénégalais au-delà du
supportable. Et ce constat nous renvoie à la fameuse profession de foi
de Desmond Tutu qui guidera la philosophie d’un apôtre profondément
engagé contre toutes formes d’injustice et de répression : « vous
provoquez nos noirs au-delà du supportable. Voulez-vous nous pousser au
désespoir ? Les gens poussés à bout, sont amenés à recourir à des moyens
désespérés. Nous serons libres un jour, Vraiment libre, tout, noir et
blanc, dans une Afrique du Sud libre. Et je ne répète -rien n’arrêtera
notre libération. Nous ne voulons pas de Violence. Nous ne voulons ni la
mort, ni la destruction. Nous voulons la paix, la justice et l’ordre.
Nous sommes des êtres humains et nous croyons que vous en êtes
également. Je vous prie au nom de Dieu ; ne nous poussez pas au
désespoir. Et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour détruire ce
système diabolique, quel que soit le prix demandé, rien ne m’arrêtera ».
Cette sagesse devrait inspirer les dirigeants africains y compris le
Sénégal parce que de mon point de vue le pouvoir provoque le peuple
au-delà du supportable et les exemples sont nombreux.
Cette
profession de foi de Tutu donne une explication très claire des
évènements de Mars 2021 et nous pouvons clamer avec lui « nous ne
voulons pas de violence ni de la mort ni de la destruction. Ce que nous
voulons c’est la paix, la justice et l’ordre ».Oui Monsieur le Ministre
de l’intérieur, nous ne sommes pas des terroristes.
Adieu
Desmond Tutu, dont, utilisant les mots de Mandela, « la voix tendre et
rieuse jamais effrayée restera à jamais celle des sans voix ».Cette voix
s’en est allé aujourd’hui mais sa raisonnante continuera au Sénégal et
dans le monde entier à inspirer nos luttes avec espoir et détermination.
Lorsque
les recettes du pétrole et du gaz continueront à couler à flot, les
énormes ressources humaines seront à leur place, les élites prédatrices
dégagées et que l’assemblée nationale ne sera pas le temple des
applaudissements moutonniers, on pourra crier Sénégal demain un autre
pays
Cette voix est aujourd’hui éteinte ; mais son écho continuera à résonner au Sénégal et dans le monde entier.
Sénégal demain un autre pays,