Calais sous le choc après le naufrage de migrants le plus meurtrier jamais connu dans la Manche
Au lendemain de la mort d’au moins 27 migrants dans un naufrage au large de Calais, quelque 300 militants associatifs et habitants se sont rassemblés jeudi pour leur rendre hommage.
« Il
ne faut plus que ça recommence. J’en appelle au président : stop stop
stop ! ». Au micro, une militante calaisienne qui habite à proximité du
port décrit le « balai incessant des corbillards » dont elle a été témoin,
jusque tard dans la nuit du mercredi 24 novembre, durant laquelle 27
corps de migrants décédés en mer après le naufrage de leur embarcation
ont été repêchés par les secours.
Face à
elle, dans le silence, près de 300 personnes, Calaisiens, militants
associatifs et migrants sont réunis, jeudi 25 novembre, devant un parc
de Calais pour une veillée en hommage aux migrants décédés la veille.
« On appelle ça les ‘cercles de silence’. Habituellement, on est 30 à 50
personnes. Ce soir il y a beaucoup de monde, parce qu’il y a eu beaucoup
de morts », explique Pascal Lefèvre, militant de La France insoumise à
Calais.
Pascal
Lefèvre, militant de la France insoumise à Calais, lors de l’hommage
aux 27 migrants décédés dans la Manche, le 25 novembre 2021.Pascal
Lefèvre, militant de la France insoumise à Calais, lors de l’hommage
aux 27 migrants décédés dans la Manche, le 25 novembre 2021. © France 24″Il
n’y a jamais eu autant de décès d’un seul coup. C’est le naufrage de
migrants le plus dramatique qu’on ait connu », déplore Nathanaël
Caillaux, chargé de projet au Secours catholique, également présent. « On
est sous le choc et la colère », poursuit-il.
Au
sol, une longue banderole déroule les noms de plus de 300 migrants
morts en tentant de traverser la frontière entre la France et
l’Angleterre depuis 1999. « Électrocuté par un caténaire de l’Eurotunnel,
noyé dans la Manche, mort par manque d’assistance médicale… », une
militante liste les circonstances de leur disparition. « Une conséquence
de la militarisation accrue de la frontière et de la lutte contre la
présence des exilés », selon elle.
Une pancarte dénonce la « frontières meurtrière » entre la France et l’Angleterre, le 25 novembre 2021 à Calais.Une pancarte dénonce la « frontières meurtrière » entre la France et l’Angleterre, le 25 novembre 2021 à Calais. © France 24L’Auberge
des migrants, le Secours catholique, Utopia 56… Au micro, les
associations se succèdent et appellent la France et le Royaume-Uni à
réagir en créant un « passage sûr » pour les migrants souhaitant demander
l’asile de l’autre côté de la Manche. Elles appellent aussi à ne pas
oublier les vivants et mettre à disposition des survivants un
accompagnement moral et un soutien financier pour le rapatriement des
corps. « On venait tout juste d’enterrer quelqu’un hier matin »
Pour
Mariam Guerey, permanente au Secours catholique de Calais, ce naufrage,
c’est du jamais-vu. « Nous avons accroché un voile noir à l’entrée de
notre accueil de jour à Calais », raconte celle qui vient en aide aux
migrants depuis près de 20 ans. « Des veillées et des enterrements. On ne
fait que ça depuis septembre. Tous les quinze jours », se désole-t-elle.
« On venait tout juste d’enterrer quelqu’un hier matin : un jeune
Soudanais mort il y a deux semaines. L’enterrement n’a pas pu avoir lieu
avant car on a eu des difficultés à identifier son corps. »
Elle
espère cette fois que l’identification sera plus rapide, mais surtout
qu’elle sera possible, car ce n’est pas toujours le cas. « Leurs familles
devraient avoir le droit de savoir ce qui leur est arrivé. Je me mets à
la place des mères qui attendent des nouvelles de leurs enfants. Ça ne
devrait pas se terminer ainsi. »
La liste des 335 migrants morts en tentant de rejoindre l’Angleterre depuis 1999, le 25 novembre 2021.La
liste des 335 migrants morts en tentant de rejoindre l’Angleterre
depuis 1999, le 25 novembre 2021. © Dana Alborz, InfoMigrantsParmi
les victimes du naufrage de mercredi figurent 17 hommes, sept femmes
dont une femme enceinte, et trois jeunes. Leurs corps ont été rapatriés à
l’institut médico-légal de Lille pour y être autopsiés et identifiés.
Les
circonstances de leur mort restent encore floues. Partis mercredi de
Dunkerque pour traverser la Manche, leur embarcation, un « long boat »,
bateau gonflable fragile au fond souple, a-t-il été percuté par un
porte-conteneurs ? Le canot pneumatique s’est-il dégonflé ?
De
plus en plus utilisés par les passeurs, ces « long boats » qui peuvent
mesurer jusqu’à 10 mètres de long ne résistent ni à la surcharge, ni à
une mer agitée. Or les conditions météorologiques souvent difficiles sur
la Manche rendent la navigation délicate, d’autant qu’il s’agit d’une
des zones maritimes parmi les plus fréquentées au monde, avec environ
600 navires transitant chaque jour, alertent depuis plusieurs années les
sauveteurs en mer.
« J’essayerai quoi qu’il m’en coûte »
« Cela
fait deux ans que le passage par voie maritime est utilisée de façon
massive, nous nous attendions à un drame », explique Nathanaël Caillaux.
Les tentatives de traversées de la Manche à bord de petites embarcations
ont doublé ces trois derniers mois, selon la préfecture. Au 20
novembre, 31 500 migrants avaient quitté les côtes depuis le début de
l’année et 7 800 migrants avaient été sauvés.
Accompagné
par sa compagne française, Amir, un Afghan de 30 ans a fait le
déplacement jusqu’à Calais pour témoigner son soutien aux réfugiés. Il
se souvient de son passage vers l’Angleterre par camion il y a 16 ans.
« Je suis passé en Angleterre, où j’ai reçu un mauvais accueil. J’ai
finalement décidé de revenir en France », raconte cet habitant d’une
ville voisine de Calais. « À l’époque, personne ne prenait la mer, mais
la situation a empiré pour les réfugiés, dans leur pays – en Iran, en
Afghanistan – et ici. Vous voyez, ce soir il fait très froid, l’hiver
approche et ils n’ont pas d’autre choix que de tenter la traversée. »
La
succession de drames en décourage tout de même certains. Fayçal, un
Soudanais arrivé à Calais il y a deux semaines, a décidé de renoncer au
passage vers l’Angleterre. « Je vais demander l’asile en France », affirme
le trentenaire. « Il y a trop de morts, trop d’histoires tristes. Je ne
connaissais pas ceux qui sont morts, mais ils étaient comme nous. Ils
dormaient dehors. » À ses côtés, un ami plus jeune a tenté une traversée
hier mercredi. « C’était ma deuxième fois. Le moteur est tombé en panne
et la police nous a surpris. Je n’ai pas peur et je vais encore essayer.
J’essayerai quoi qu’il m’en coûte », affirme le jeune homme de 22 ans
qui préfère rester anonyme.
Il n’est pas le
seul. La nuit dernière, quelque 70 migrants ont tenté la traversée avant
d’être secourus. Certains ont été retrouvés transis de froid à la gare
SNCF de Calais, puis mis à l’abri en urgence.