(2/2) Prostitution au Sénégal: « La législation n’a pas évolué depuis 1966 » (Me Ibrahima Diop)
Dans le cadre de la
seconde partie du dossier consacré à la prostitution, Seneweb a
recueilli les éclairages de Me Ibrahima Diop, juriste, spécialiste en
droit de la santé que nous avons interrogé sur « la politique pénale et
le traitement de la prostitution au Sénégal », entre autres la question
de santé publique.Comment appréhendez-vous la prostitution du point de vue légal ?
Au
Sénégal, on a d’abord réprimé avant de tenter de réglementer. Deux
décrets datant du temps du président du Conseil, Mamadou Dia, prises en
1962, favorisaient la répression. Il s’agit des textes du 16 août 1962
portant création de brigades spéciales et celle organisant la lutte
contre les maladies vénériennes. Ces brigades étaient chargées de lutter
contre la prostitution, l’alcoolisme, l’usage et le trafic de
stupéfiants. La professionnelle du sexe était ainsi assimilée au
délinquant.
Chemin
faisant, on s’est vite rendu compte que la répression n’a pu dépasser
le stade de l’intention. Il s’en est suivi une réglementation qui date
du 1er février 1966 et subordonnait l’exercice de la prostitution à une
inscription au fichier sanitaire et social, à la détention d’un carnet
sanitaire, aux visites médicales tous les quinze jours et fixant l’âge
légal de la prostitution à 21 ans. La législation n’a pas évolué en la
matière depuis 1966.
Malgré la légalité de la prostitution, la pratique reste quasi impossible. Où est le problème ?
De
façon générale, il y a des pays prohibitionnistes, des pays
abolitionnistes et des pays réglementaristes. Le Sénégal fait partie de
ceux qui ont choisi la voie de la réglementation. Mais l’œuvre du
législateur, en l’espèce, caractérise l’hypocrisie du droit. On accepte,
tolère et régule la prostitution mais on fait en sorte que le cadre
d’exercice soit inexistant car le « plus vieux métier au monde » est
indirectement réprimé par le biais du proxénétisme et du racolage.
Le
proxénétisme est défini comme étant l’exploitation de la prostitution
d’autrui. Mais, le hic c’est que le législateur sénégalais a une autre
notion du proxénétisme. Ces textes punissent celui ou celle qui, d’une
manière quelconque, aide ou assiste, protège la prostitution d’autrui ou
le racolage en vue de la prostitution. Mais l’aide ou l’assistance ne
sont sanctionnées en droit pénal que par l’effet de la complicité et la
complicité n’est punissable que lorsque le fait principal est une
infraction. Ces textes interdisent aussi de vivre sciemment avec une
femme qui se livre à la prostitution, de pratiquer cette activité dans
les bars, les restaurants et même dans un appartement pris en location.
Quant
au racolage, qu’il soit actif ou passif, il est réprimé par tous
moyens. Les auteurs de racolage actif sont « ceux qui par gestes,
paroles, écrits ou par tous autres moyens, procéderaient publiquement au
racolage des personnes de l’un ou de l’autre sexe, en vue de les
provoquer à la débauche ». Quant au racolage passif, il désigne une
attitude immodérée sur la voie publique de nature à provoquer la
débauche. Finalement, l’exercice de la prostitution s’avère impossible, à
moins qu’elle s’exerce sur les trottoirs. Et là aussi il y a le délit
d’outrage public à la pudeur.
Faut-il revoir les textes ?Oui
! Il est rapporté que des filles commencent à se prostituer dès l’âge
de 14- 15 ans. Le législateur doit prendre en considération tous les
changements intervenus pour répondre aux préoccupations d’ordre
sanitaire. Il est surtout question d’aider les femmes qui se prostituent
par nécessité à abandonner cette activité parce que, je le répète, la
prostitution est contraire à la dignité humaine.
Est-ce que la radiation du fichier sanitaire est acceptée après l’abandon de la prostitution ?
Oui,
les textes prévoient la radiation. C’est plutôt leur application qui
pose problème. Toute personne qui déclare cessation définitive de la
prostitution peut requérir de l’autorité administrative sa radiation du
fichier sanitaire et social. Elle est aussi subordonnée à trois
conditions : une demande écrite signée adressée à l’autorité sanitaire
compétente, une absence de maladie vénérienne certifiée par le médecin
chef de la région dans laquelle l’intéressée se prostitue ou la
disparition de sa contagiosité et la sincérité de la prostituée dans sa
déclaration de volonté de cesser de se livrer à la prostitution.
C’est
le lieu de préciser que rien ne permet encore de soigner le VIH/Sida.
Dès lors, comment radier du fichier une prostituée qui vit avec le VIH ?
Cela montre encore une fois que notre droit est en retard.