(4/4) Communauté internationale au Mali : Quand la « solution » devient le problème (Par Hussein Bâ)
Dans le cadre d’un
dossier qu’il a consacré à la crise malienne, que Seneweb publie en 4
volumes, le journaliste sénégalais Hussein Ba décortique le rôle de la
communauté internationale sur le terrain. Dans ce quatrième numéro,
l’ancien collaborateur de « Sud Hebdo », qui a collaboré respectivement
au dispositif électoral sous en ATT et IBK en 2002 et 2013 au Mali,
scrute la présence des forces étrangères dans un pays qui peine à
renouer avec la stabilité.
L’intervention de la communauté internationale au Mali repose sur quatre piliers :
– la MINUSMA (Mission d’intervention multidimensionnelle des Nations unies au Mali)
– l’opération Barkhane – Takuba
– l’EUTM (Mission de formation de l’Union européenne au Mali)
– le G5 Sahel.
Malgré
des années de présence et plusieurs milliers de milliards de francs CFA
dépensés, aucun des objectifs que s’est assignée la communauté
internationale n’est atteint. L’insécurité s’aggrave de jour en jour,
l’armée malienne est loin d’être performante, les institutions sont en
profonde crise, mais il y a plus grave : l’État malien est menacé
d’effondrement. Comment expliquer une telle situation qui se déroule au
nez et à la barbe de cette fameuse communauté internationale ?
Pour
comprendre les soubassements réels de cet échec, il convient d’analyser
le fonctionnement des différents cadres d’intervention présents dans le
pays, à commencer par la MINUSMA.
D’un
effectif dépassant plus de 10.000 hommes, la Mission onusienne a été
créée le 25 avril 2013 en vertu de la résolution 2700 du Conseil de
sécurité des Nations unies. La MINUSMA est une mission d’interposition.
Sous l’effet de plusieurs résolutions, ses missions ont évolué au fil
des ans pour s’articuler, aujourd’hui, autour d’un ensemble d’objectifs :
– soutien multiforme à l’application de l’Accord de paix et de réconciliation,
– stabilisation de la situation sécuritaire, protection des civils et du personnel de l’ONU,
–
soutien à l’action humanitaire, coordination logistique avec les forces
armées maliennes (FAMA), du G5 Sahel et de l’armée française,
– appui à la sauvegarde du patrimoine culturel,
– action en faveur de la justice nationale et internationale,
– soutien à la société civile,
– appui social, culturel et éducatif aux communautés vulnérables.
Il
faut dire que dans beaucoup de ces domaines, en dehors de la sécurité,
la mission est créditée d’un bilan honorable. Ses moyens logistiques,
aériens notamment, sont d’un grand secours pour assurer la mobilité
entre les grandes agglomérations. La MINUSMA paye un lourd tribut, avec
plus de 100 morts sur le terrain, ce qui en fait la mission onusienne la
plus éprouvée de l’Histoire.
Sur
le plan sécuritaire, le bilan de la MINUSMA est globalement négatif à
cause de la nature de son mandat. Mission d’interposition, la MINUSMA
est encadrée par des règles d’engagement militaire strictes. Ses soldats
ne peuvent utiliser les armes qu’en cas de légitime défense. Dans ces
conditions, des terroristes évoluant à proximité de ses bases ne courent
aucun risque tant qu’ils ne posent pas des actes hostiles. Tout au
plus, les officiers onusiens peuvent, peut-être, signaler leur
présence.
La
transformation de son mandat en quelque chose de plus robuste, sous le
chapitre 7 de la Charte des Nations unies relatif à l’imposition de la
paix, que vient de réclamer la CEDEAO dans un récent communiqué, serait
très difficile à obtenir à cause des réticences de plusieurs grandes
puissances, en particulier les pays anglo-saxons.
Le
rôle de l’ONU, selon elles, n’est pas d’imposer la paix dans un pays où
trois facteurs importants entrent en jeu : la persistance des
revendications autonomistes d’une partie des citoyens, la tournure
d’affrontements intercommunautaires dans certains cas et des
interrogations persistantes sur les règles d’engagement de l’armée
nationale en conformité avec les principes du droit international
humanitaire.
En
d’autres termes, il faudra faire le deuil d’une perspective d’évolution
du mandat de la MINUSMA dans un sens plus robuste. Le dossier essentiel
qui occupe toute son énergie est l’application des accords de paix
entre les rebelles Touaregs et l’État.
Session
après session, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une
kyrielle de résolutions qui laissent croire qu’une application effective
de ces accords serait la panacée pour résoudre la crise. Or, ce fameux
accord s’avère presque inapplicable dans ses points essentiels pour une
raison fondamentale : le déficit de confiance entre les signataires.
Les points saillants de l’accord sont d’une grande clarté mais les obstacles sont nombreux pour son application.
Les axes principaux de l’accord se déclinent ainsi :
– réforme institutionnelle avec la régionalisation,
–
réforme sécuritaire avec le DDR (désarmement, démobilisation et
réintégration) et l’audit des forces de défense et de sécurité (FDS),
– mise en place d’un fonds régional de développement,
– création d’une Commission Vérité et Réconciliation.
À
ce jour, on peut noter quelques réalisations mineures dans le processus
de mise en œuvre de l’accord. La désignation des Autorités intérimaires
au Nord, en attendant des élections régionales, la création de trois
bataillons reconstitués, la tenue de quelques séances de la Commission
Vérité et Réconciliation dans l’indifférence générale de l’opinion
publique.
Une
partie des nouvelles Autorités intérimaires sont rejetées par les
populations du Nord à cause de leur ancienne appartenance à la rébellion
armée. Les trois bataillons reconstitués suivant la règle des trois
tiers (1/3 pour l’armée, 1/3 pour l’ancienne rébellion et 1/3 pour les
mouvements armés loyalistes) sont dépourvus d’armements lourds. Les
Autorités maliennes sont plutôt réservées de voir ces bataillons
reconstitués doter d’armements lourds de peur qu’ils ne tombent entre
des mains hostiles en cas de désertions.
De
leur côté, les dirigeants de l’ex-rébellion jugent indispensable
l’audit des FDS afin de réformer les principes qui régissent la chaine
de commandement dans le sens d’une vraie intégration de leurs
combattants, sans le risque de la discrimination fondée sur
l’appartenance raciale.
La
création du fonds de développement est aussi retardée à cause de
divergences entre les deux parties dans son mode de gestion, d’autant
qu’une curieuse disposition dans l’accord de paix stipule que le
contrôle de l’utilisation des moyens financiers du fonds ne se fera qu’a
posteriori. Il n y a jamais eu, au niveau de l’opinion malienne, un
travail d’explication et de sensibilisation sur les termes de l’accord.
Même
si son principe de base est pertinent (le règlement politique d’un
conflit qui sera difficilement gagné par la guerre), l’accord fait une
part belle à une composante, à savoir la CMA (la Coordination des
mouvements de l’Azawad), alors qu’elle est loin de représenter les
Touaregs et les Arabes. D’autres communautés touarègues et arabes,
loyalistes, ont été marginalisées dans ce processus présenté comme une
solution globale à la crise. C’est une belle prime à la lutte armée !
Ce
précédent attise des vocations souterraines. Les mouvements signataires
de l’accord sont aujourd’hui débordés par des scissions. Trois
questions fondamentales méritent d’être posées :
–
Pourquoi cette persistance de la communauté internationale à vouloir
faire d’un accord défaillant l’unique voie de sortie de crise ?
Souvenons
nous d’une chose, la MINUSMA procède d’une inspiration diplomatique
française qui voulait, par ce biais, atteindre à la fois l’objectif de
transfèrement du fardeau budgétaire de l’intervention aux Nations unies
et bénéficier de l’onction internationale dans l’optique d’un règlement
politique du dossier du Nord, afin d’éviter un enlisement militaire.
Il
se trouve que les paramètres de cette solution politique sont des
répliques des anciens schémas qui ont échoué depuis le 1er accord de
Tamanrasset de 1991 jusqu’aux accords de Ouagadougou, en passant par
l’Accord d’Alger 1 en 2006.
Un
schéma créatif orienté vers des objectifs réalistes, gradué, axé au
préalable sur la restauration effective et la consolidation de la
confiance entre les parties est à la portée de la communauté
internationale dont la présence est un atout historique pour garantir
une solution sérieuse et adhésive.
–
Un déploiement massif de l’armée en position offensive dans l’extrême
Nord du pays serait-il contrarié par la nature équivoque du mandat des
forces onusiennes au Mali et l’interprétation dissuasive des nombreuses
résolutions de l’ONU ?
En
effet, une telle posture offensive de l’armée nationale peut être
perçue par l’autre partie belligérante comme étant une mesure de nature à
faire obstacle à l’application de l’accord de paix parrainé par les
Nations unies. Par conséquent, le ou les commanditaires officiels d’une
telle décision de déploiement s’exposeront potentiellement aux sanctions
onusiennes en vertu des dispositions combinées des résolutions 2374 et
2531.
Qu’est-ce
à dire fondamentalement ? En sanctuarisant de fait l’extrême Nord du
pays, la communauté internationale en fait une zone de nidification du
terrorisme, une aire de protection et surtout un point de départ d’un
corridor de subversion qui irrigue l’ensemble du territoire national.
Dans ce Nord des massifs montagneux, les alliances communautaires
adossées à la gestion opaque des intérêts communs souterrains empêchent
de discerner dans l’absolu le rebelle autonomiste laïc du « djihadiste »
salafiste. On peut être l’un dans la journée et l’autre le soir tombé.
En
vérité, la peur de l’armée nationale est telle que le « djihadiste »
armé issu de la communauté est considéré comme un protecteur potentiel
en cas de menace existentielle.
Le
même cas de figure se reproduit au Centre du pays avec les Peuls : dans
certaines circonstances, le « djihadiste » issu de la communauté peut
être considéré comme un protecteur potentiel.
–
La déstabilisation totale du Centre du pays ne rend-elle pas caduque
cette approche de paix uniquement axée sur le Nord, du moment où c’est
la question de l’existence même du pays qui se pose aujourd’hui ?
L’autre
élément qui rend perplexe est le schéma militaire franco-européen de
lutte contre le terrorisme. L’opération « Barkhane » met l’accent sur
des « objectifs pointus et ciblés », à savoir l’élimination des
commandants « djihadistes » et la « désorganisation structurelle » de
leur commandement.
Toutefois,
l’enracinement culturel et social de ces mouvements armés, l’étendue du
territoire malien et la faiblesse conjoncturelle de l’armée nationale
empêchent d’engranger des résultats décisifs. Au contraire !
L’autre
volet militaire de la doctrine franco-européenne est la création de la
force Takuba. Cette opération met l’accent sur l’efficacité des forces
spéciales au sol s’appuyant sur l’avant-garde de l’armée locale. Dans
cette stratégie, la force spéciale est présentée comme la meilleure
option pour mener une guerre asymétrique imposée par des « djihadistes »
très mobiles.
Outre
le nombre très insignifiant des effectifs de cette opération Takuba
(600 éléments) dans le contexte malien caractérisé par l’étendue du
territoire et l’élargissement du théâtre des opérations, les éléments de
la force Takuba s’engagent rarement dans la bataille, se contentant de
prodiguer des conseils à leurs homologues maliens, en plus des dons en
équipements. Problème : le noyau des forces spéciales maliennes sur
lequel s’appuie cette doctrine s’est presque volatilisé. Leur patron, le
Colonel Assimi Goïta himself, est à Bamako en train de gérer les
affaires publiques du pays après le coup d’État. Il entraîne dans son
sillage beaucoup d’éléments de cette force spéciale comme garde
rapprochée.
Quant
au programme de formation des militaires maliens, lancé par les
Européens sous le nom de EUTM, l’échec est aussi patent. La formation
est trop accélérée. C’est la quantité plus que la qualité. On apprend au
soldat comment utiliser des armes sophistiquées sans fournir à l’armée
des équipements à la hauteur d’une telle formation.
Après
moult critiques, l’école a décidé de s’approcher du théâtre des
opérations au Centre du pays, plus précisément à Sévaré. Là aussi,
l’accent est mis sur la sécurité des formateurs européens. Les opinions
publiques en Europe sont aux aguets. En fin de compte, le budget alloué à
la sécurité des formateurs fait la moitié de l’ensemble du programme.
La
remise en cause de tous ces schémas est devenue urgente. Le G5 Sahel, «
ou en attendant Godot ! », création française dans sa double stratégie
de partage du fardeau et du repli progressif, ce regroupement des pays
du champ souffre de l’insuffisance des moyens pour atteindre les
objectifs de lutte commune contre le terrorisme transfrontalier. Les
contributions attendues des partenaires extérieurs ne sont pas encore à
la hauteur. On ne cessera jamais de se demander pourquoi les États
africains attendent tout de l’extérieur pour leurs besoins essentiels
dans la lutte contre l’insécurité et la restauration de l’autorité de
l’État sur leur territoire.
C’est
ainsi que, pour régler cette éternelle question de manque de moyens,
l’idée de la création d’un bureau des Nations unies dédié au G5 Sahel
est fortement défendue par les pays africains, appuyés par la France et
d’autres pays. Un tel schéma permettrait l’instauration des
contributions statutaires, c’est à dire obligatoires des pays membres de
l’ONU. Certaines grandes puissances s’opposent fermement à l’idée, pour
le moment.
Deux
aspects suscitent leur méfiance : le volet développement trop ambitieux
à leurs yeux et qui peut être une source potentielle de mal gouvernance
; ensuite, la faiblesse institutionnelle des États comme en témoignent
les coups d’État répétitifs qui consument tous les efforts consentis
dans la lutte contre le terrorisme.