Percée djihadiste au Mali : Le Sénégal doit se réveiller avant qu’il ne soit trop tard (Par Hussein Bâ)
Dans le cadre d’un
dossier qu’il a consacré au Mali, le journaliste sénégalais Hussein Bâ
revient une fois de plus sur les dangers sécuritaires qui guettent le
Sénégal, frontalier du Mali. Dans le troisième numéro de ce dossier que
Seneweb publie en quatre parties, l’ancien collaborateur de « Sud Hebdo
», qui a collaboré respectivement au dispositif électoral sous en ATT et
IBK en 2002 et 2013 au Mali, appelle le Sénégal à être davantage
regardant sur la situation du Mali, avec la volonté des djihadistes de
perturber le trafic vers Bamako afin de couper le pays. Il rappelle
également l’objectif final visé par ces djihadistes du GSIM est de bâtir
un « Emirat islamique du Mali », avant de s’ouvrir vers l’Atlantique,
donc, une menace ouverte sur le Sénégal.
«
Cap vers le Sud ! », telle est la substance du message posté par Iyad
Ag Ghali, patron de la nébuleuse « djihadiste » Ansar Dine devenue GSIM
(Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans), affilié à al Qaïda, au
lendemain de la prise de Kaboul par les Talibans. Depuis cette sentence,
la situation sécuritaire s’est considérablement dégradée au Centre et à
l’Ouest du Mali.
La
région de Ségou est désormais aux prises avec des attaques terroristes
quotidiennes. Le regain d’intérêt pour cette région et son ciblage
persistant par les « djihadistes » rappelle un autre épisode, tout en
clarifiant une question récurrente : en janvier 2013, le même Iyad Ag
Ghali avait ordonné la descente vers le Sud en attaquant simultanément
deux axes, à savoir le corridor Konna -Sévaré – Mopti et Diabali qui
mène vers Ségou. Par cette opération simultanée, on se demandait si le
chef des « djihadistes » voulait conquérir deux voies qui mènent à
Bamako, ou simplement mettre la main sur l’aéroport Ham Bodédio de
Mopti.
Au
vu du déroulement actuel des opérations des « djihadistes », le doute
n’est plus permis. Al Qaïda veut conquérir la capitale malienne où il
dispose de nombreux sympathisants « dormants », pour y proclamer
l’avènement de « l’émirat islamique du Mali ». Pour y parvenir, il mise
sur deux approches redoutables : la conquête et l’administration
rigoureuse des territoires du monde rural (en évitant le combat frontal
dans les grandes villes) et la perturbation totale des corridors
d’approvisionnement pour asphyxier le pays et la capitale.
C’est
sous cet angle qu’il convient d’interpréter les attaques menées
récemment dans le corridor Ouest, précisément dans les régions de Kayes
et de Koulikoro, et qui concernent directement le Sénégal. Le 11
septembre 2021 (les « djihadistes sont avides de symboles), deux
camionneurs marocains ont été tués à Didiéni dans la région de
Koulikoro, à 300 km de Bamako, par des éléments encagoulés. Chose
étrange mais logique : les assaillants n’ont pas touché à la
marchandise. L’acte était plus politique que crapuleux. C’était un
message sanglant.
Cette
région de Koulikoro, que les « djihadistes » semblent choisir pour
perturber le trafic vers Bamako, est une zone idéale pour atteindre un
tel objectif. À partir de la Commune de Diéma en amont, les deux grands
corridors internationaux (Dakar – Bamako et Casablanca – Nouakchott –
Bamako) convergent pour aller vers la capitale malienne, en passant par
cette région de Koulikoro.
En
vérité, l’objectif des assaillants est de faire peur. Ils n’ont pas
besoin de « check-points » armés, impossibles à tenir. Lorsque les
chauffeurs, les propriétaires des camions et des marchandises auront
suffisamment peur pour leur vie et pour leurs biens, la fonctionnalité
des corridors sera compromise.
Pour
le Sénégal, ce qui est désormais en question, c’est son ouverture vers
l’Afrique. En dehors du Mali, il n’a aucun corridor viable vers le
marché communautaire de la CEDEAO. Le Mali est aussi son premier marché.
C’est le pays tampon avec le terrorisme au Sahel. S’il cède, le Sénégal
sera en première ligne. L’approche religieuse des « djihadistes » qui y
prennent un essor inquiétant est en totale contradiction avec la
pratique islamique majoritaire au Sénégal qui est de tendance
confrérique soufie.
Ces
« djihadistes » n’aiment ni les mausolées, ni les marabouts, encore
moins les Khalifes généraux. Certains rêvent de voir détruire des tombes
à Kaolack, à Touba et Tivaouane, comme cela s’était passé à Tombouctou.
Leur objectif final, après un « émirat islamique du Mali », c’est de
s’ouvrir vers l’Atlantique.
Pour
le Sénégal, la question se pose désormais en termes de sécurité
nationale directe. Certes, le renforcement des dispositions sécuritaires
à la frontière décidé par le président de la République est à saluer,
mais cela est insuffisant. Le Sénégal doit être plus actif et pro-actif
sur la scène malienne elle-même, en l’aidant de manière plus conséquente
à surmonter les équations politiques et sécuritaires.
Par
loyauté diplomatique, le Sénégal s’aligne derrière la CEDEAO, alors
qu’il a au Mali des intérêts spécifiques qui ne sont pas ceux du
Nigeria, du Ghana ou du Togo, par exemple.
Toutes
les projections d’émergence vantées ici risquent d’être pulvérisées si
l’immense voisin malien devait s’effondrer. Qu’à Dieu ne plaise ! Le
président de la République du Sénégal doit créer un nouveau cadre dédié
au Sahel directement rattaché à lui avec un agenda créatif, basé sur des
compétences pointues. Ce nouveau cadre devra disposer d’un monitoring
permanent des évènements, des enchaînements significatifs qui dégagent
les tendances lourdes.
Tous
les scénarii doivent être envisagés. Qu’est-ce qui empêcherait donc le
chef de l’État du Sénégal à effectuer une visite de travail au Mali à la
rencontre de la nation malienne, ne serait-ce que pour la soutenir
moralement ? Ou d’inviter les acteurs maliens à Dakar comme le président
Wade l’avait fait avec la Mauritanie après le coup d’État.
Certes,
il y a la susceptibilité de la CEDEAO à gérer. Il faut juste faire en
sorte que les partenaires de l’espace communautaire acceptent des
initiatives positives complémentaires. Un nouvel agenda du Sénégal sur
le Sahel et le Mali peut impulser une perspective dynamique avec des
objectifs structurants :
–
aider à une réévaluation du schéma politico-diplomatique de sortie de
crise plus englobant que l’accord de paix et de réconciliation ;
– proposer une ingénierie politique plus adaptée afin d’aider à la stabilité institutionnelle ;
– engager une relecture audacieuse et substantielle de la doctrine de lutte anti-terroriste ;
– plaider pour un engagement plus volontariste du leadership africain dans la prise en charge des dossiers de crise ;
–
promouvoir l’autonomisation de la réflexion stratégique en dotant la
CEDEAO d’un véritable centre d’excellence axé sur les questions
sécuritaires et menaces fondamentales.
Plus
généralement, sur la question du Mali, Dakar et Abidjan doivent parler
d’une même voix. Le Sénégal dispose aussi d’un point d’entrée culturel
au Nigeria (grâce à Sheikh al Islam Baye Niass) qui peut aider à
fluidifier cet axe indispensable. Une nouvelle posture du Sénégal plus
présente peut engendrer une plus value politique et diplomatique pouvant
encourager un dialogue constructif avec des acteurs non régionaux aux
tendances autocratiques, qui offrent aux aventuriers de l’espace
communautaire des alternatives dangereuses.
Un
sursaut de dignité fondé sur le volontarisme, l’exemplarité dans la
prise en charge des besoins et l’autonomisation de la réflexion
stratégique, peut créer de nouveaux paramètres dans le sens du
repositionnement des puissances étrangères aujourd’hui dans l’impasse.