Soudan: entre barricades et check-points, Khartoum paralysée par une grève générale
Au Soudan, l’appel à la
grève générale lancé par les syndicats et les comités de résistance
populaire après le coup d’État de lundi 25 octobre semble largement
suivi. La capitale Khartoum était totalement à l’arrêt mardi et des
manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes de province. Malgré les
restrictions du réseau téléphonique, les partisans de la résistance
passive commencent à s’organiser. Du côté des alliés des militaires,
c’est le silence. Le Premier ministre Abdallah Hamdok a été ramené chez
lui.
On
ne pouvait se déplacer qu’à pied dans Khartoum, ce mardi, au lendemain
du coup d’État militaire. À chaque grande intersection, on retrouve soit
des escouades de soldats montés sur pick-up ou bien des barricades de
briques et de pneus brûlés hérissées par les manifestants, empêchant aux
véhicules l’accès à de nombreux quartiers du centre-ville, ainsi que
d’Omdurman, la cité jumelle de la capitale, de l’autre côté du Nil. Les
soldats de l’armée régulière, quant à eux, se faisaient discrets, tenant
seulement des points stratégiques, notamment autour du quartier-général
de l’armée où s’est déroulé l’essentiel de la répression meurtrière de
lundi.
«
Les comités de résistance se sont organisés, explique Abdelkhalik,
membre du comité de résistance de Taef. De nombreuses barricades ont été
montées, car il y a eu plusieurs attaques des Forces de soutien rapide.
À chaque fois, ils les détruisent et nous les reconstruisons. Ces
jeunes-là qui les tiennent sont là depuis 6h du matin, et resteront
jusqu’à minuit, dans tous les quartiers. »
Appel à la grève lancé depuis les mosquéesComme
les téléphones ne fonctionnent pas, les anciens de la révolution de
2019 s’efforcent d’organiser d’autres canaux de communication, raconte
une source proche des comités de résistance. Les appels à la grève ont
commencé à être lancés par les haut-parleurs des mosquées, par exemple. «
Le mot d’ordre est d’organiser la résistance par le bas, poursuit cette
source, de tenir son quartier jusqu’à nouvel ordre. »
Ce
mardi soir internet a été rétabli puis a de nouveau été suspendu. Cet
étudiant en informatique est rivé à son téléphone. « On a reçu pas mal
de vidéos quand le réseau a été rétabli. On a constaté que l’armée avait
procédé à des actes de tortures ciblant notamment les étudiants et les
jeunes. Alors quand Burhan dans son discours dit qu’il agit dans
l’intérêt de la jeunesse, c’est pour séduire les médias. Mais nous ne
sommes pas dupes de ce jeu-là. »
La
plupart des commerces étaient fermés, les rideaux de fer tirés.
L’opération ville morte voulue par les syndicats et les comités de
résistance populaire semblait être très largement suivie. En province,
les militants qui sont parvenus à se connecter à internet évoquent des
opérations similaires en cours dans la cité ouvrière d’Atbara, à
Port-Soudan, Dongola, El-Obeid, Kosti et même à Nyala, au Sud-Darfour.
Les
comités de résistance appellent à une marche du million samedi
prochain. « Le 30 octobre sera un jour de mobilisation massive à travers
le pays pour faire chuter le gouvernement des généraux et les restes du
régime d’al-Bachir. Nous sommes en contact avec nos homologues dans
toutes les régions et gouvernorat du pays », assure Abdelkhalik. «
Aujourd’hui personne n’est allé à l’université, ni au travail, témoigne
un autre habitant. On se prépare. On ne bougera pas d’ici tant que nos
demandes ne seront pas entendues. Je n’ai pas peur. Des martyrs de ma
génération sont tombés. Aujourd’hui, soit on respecte mes droits soit je
suis prêt à mourir. »
Difficile
de savoir quelle sera la réponse des militaires. Cette nuit, des
violences sont à craindre. On entendait déjà de nombreuses sirènes
d’ambulance et des coups de feu. Avec la coupure du réseau, il est très
difficile d’avoir les informations en temps réel. Une chose est sûre, la
répression se poursuit.
Les Bejas apportent leur soutien au général al-BurhanCôté
militaire, pour l’instant, c’est le silence. Seul le général Abdel
Fattah al-Burhan, chef du Conseil souverain de la transition, s’est
exprimé. Il a notamment évoqué le sort du Premier ministre Abdallah
Hamdok, qui a été ramené chez lui – il était depuis lundi retenu chez
l’homme fort de Khartoum.
Le
chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, s’est entretenu par
téléphone mardi avec le Premier ministre soudanais renversé, selon un
communiqué du département d’État. « Le secrétaire d’État se réjouit de
la libération du Premier ministre et renouvelle son appel aux forces
militaires soudanaises pour qu’elles libèrent tous les dirigeants civils
en détention et garantissent leur sécurité », a ajouté le porte-parole
du département d’État, Ned Price, dans le communiqué. Abdallah Hamdok a
été ramené chez lui mardi soir et reste « sous surveillance renforcée ».
De
quel soutien bénéficie le chef de l’armée pour mener son coup ? Du côté
des alliés du général, pas de réactions. Seul le chef de l’importante
communauté Bejas – qui bloque l’est du pays depuis un mois – a
officiellement apporté son soutien au chef de l’armée.Un
silence, particulièrement, étonne : celui du numéro 2 du conseil
souverain, le général Hemeti. À la tête des Forces de soutien rapide, il
ne s’est pas exprimé depuis plusieurs jours. Il s’était récemment
opposé aux civils comme aux militaires en refusant d’intégrer ses hommes
au sein de l’armée, comme ces derniers l’exigeaient.
Également
silencieux, Gibril Ibrahim, un leader rebelle devenu ministre des
Finances, ainsi que Mini Minawi, récent gouverneur du Darfour. Ces deux
personnalités darfouries influentes, qui avaient soutenu la révolution
de 2019, ont récemment rompu avec la coalition civile et demandé la
démission du Premier ministre Abdallah Hamdok.
Rien
à ce stade ne permet de connaître leur avis sur le coup d’État. Mais
selon une chercheuse, leurs mouvements sont très divisés, notamment sur
une éventuelle collaboration avec l’armée.
Reste
ensuite les militaires de rang inférieur : vont-ils soutenir leur chef
et accepter de diriger la répression contre les manifestants comme en
2019 ?
En
revanche, le général Burhan pourrait compter sur l’important réseaux
des services de renseignements – dirigé à l’époque par Salah Gosh,
aujourd’hui en exil.