Enquête sur la prostitution en ligne au Sénégal
La prostitution a pris une nouvelle tournure et ne cesse de gagner du terrain. Au lieu de se présenter sur les trottoirs à l’affût de clients, des prostituées exposent leurs corps sur les réseaux sociaux. Loin du racolage et des rafles policières.
Sur
sa page Facebook, la dame qui se surnomme A. Ndiaye, ne dit pas
expressément qu’elle fait de la prostitution, mais sa photo en petite
tenue dans une posture provocatrice qui laisse apparaître une forme
généreuse, en dit long sur ses intentions. Sur sa storie, elle poste :
«Appel vidéo de 30 mn you nekh disponible» (Appel vidéo coquin de 30mn
disponible) puis laisse son numéro de téléphone. En commentaires, des
personnes intéressées l’invitent à discuter en privé. A. Ndiaye
pratiquerait de la prostitution. Pour en avoir le cœur net, votre
reporter a pris la peine de composer le numéro de téléphone affiché sur
le post. Après quelques sonneries, une voix douce décroche. «C’est qui
?», demande-t-elle, d’un ton ferme. «Je voudrais bénéficier de vos
services. Comment cela se passe ? », lui demande-t-on. «L’appel est à 3
000 F Cfa. C’est un appel vidéo où je suis toute nue. Je me trémousse,
on échange des mots coquins et cela peut être suffisant pour satisfaire
ta libido. Si tu es intéressé, tu m’envoies les 3 000 F Cfa, via un
service de transfert d’argent et on le fait tout de suite. J’ai 26 ans.
Avant de passer à l’acte, je dois connaître ton âge et ta situation
matrimoniale parce que je n’aime pas chatter avec des hommes mariés»,
ponctue-t-elle. Les choses sérieuses peuvent commencer.
Au Sénégal,
la séduction sur les trottoirs est en voie de disparition. La
prostitution a migré et Internet constitue aujourd’hui la cible
privilégiée des prostituées pour exposer leurs marchandises. La plupart
d’entre elles infiltrent les réseaux sociaux et ont des photos de profil
très évocatrices. Sur ces réseaux sociaux, elles envoient des demandes
d’ajout à tout le monde et sans tri. L’idée étant de toucher le maximum
d’internautes. Parfois, rien que la photo peut inciter l’internaute à
cliquer sur le profil. Et si on n’a pas le pouvoir de résister à cette
forme de séduction en ligne, on cède rapidement à la tentation. Sur
Facebook, des femmes proposent le sexe à des prix défiant toute
concurrence. En plus des photos très sensuelles, elles affichent leurs
numéros de téléphone et parfois leur adresse. Loin des trottoirs et des
rafles policières.
PUBLICITÉ
«Drianké bou nekh té saf, woma legui gnu defanté lou nekh*»
PUBLICITÉ
Sur sa page Facebook, photos et vidéos affriolantes à l’appui, D. Sow
appâte ses cibles. Elle indique ses mensurations et son âge puis laisse
à la disposition des intéressés deux numéros de téléphone. «Drianké bou
nekh té saf, woma legui gnu defanté lou nekh* (femme aguichante et
sensuelle. Appelle-moi, qu’on passe des moments inoubliables)»,
écrit-elle. Une invite à laquelle votre reporter s’est empressé de
répondre. Au bout du fil, D. Sow indique d’un ton ferme qu’elle se
trouve à Nord-Foire, à côté de la Brioche Dorée. «Une fois à la Brioche
Dorée de Nord-Foire, vous me faites signe», oriente D. Sow. «Puis-je
connaître les modalités de paiement», enchaîne-t-on. Et la femme de
préciser qu’elle vend son corps à 15 000 F Cfa. «Ce prix est excessif.
Je peux payer 5 000 F Cfa», propose-t-on. Sans hésiter, D. Sow accepte
et demande de faire signe une fois sur place. Sur Facebook, on tombe
aussi sur la publication de N. Diouf. Photo aguichante à l’appui, elle
séduit les internautes par cette formule : «Qui veut passer un moment
intime n’a qu’à me contacter. Je suis disponible même jusqu’à 2h du
matin. Je monnaie les deux coups à 20 000 F Cfa.» En défilant sur
Facebook, on tombe souvent sur ce genre de publication qui ne cesse
d’inonder les réseaux sociaux.
«Des filles qui se déplacent ou qui reçoivent… La passe entre 10 et 20 000 FCfa»
Derrière ces prostituées, il y a des proxénètes en ligne qui
facilitent la recherche de clients. Eux aussi sont fréquemment sur les
réseaux sociaux et invitent les mâles en quête de sensations fortes à
les joindre si toutefois le désir de passer du bon temps en galante
compagnie les tenaille. M. Faye en est un. Sur sa page Facebook, il
publie : «Si quelqu’un veut le numéro de téléphone d’une prostituée à
Dakar, Thiès, Saint-Louis, Rufisque, Pikine Guédiawaye, Yoff, Ngor,
Mbao, Thiaroye, Keur Massar, Zac Mbao, Mbao, Hamo 6, Golf, Dieuppeul,
Dakar-Plateau, Parcelles Assainies, Colobane, Médina, Point E, Tivaouane
Peul, Keur Mbaye Fall, Cambérène, Dalifort, Grand-Yoff, Grand-Dakar,
Patte D’Oie, Fass, il peut me contacter sur mon numéro. Il y a des
filles qui se déplacent et d’autres qui reçoivent les clients à
domicile», annonce le proxénète avant de laisser son contact. Pour en
savoir plus, on compose son numéro. Il raccroche aussitôt et demande par
Sms à communiquer via WhatsApp. Sur ce réseau social, M. Faye indique
les modalités. Ces interventions ne sont pas gratuites. L’homme demande 2
000 F Cfa pour chaque numéro donné. «Je veux une fille à Thiès»,
dit-on. «Je peux te donner un numéro, mais ce n’est pas gratuit. C’est à
2 000 F Cfa et faut l’envoyer via un service de transfert. Il y a des
filles qui se déplacent, des filles qui reçoivent et d’autres qui
peuvent te rencontrer dans une auberge. C’est à toi de choisir. Pour le
déplacement, c’est 5 000 F Cfa. Pour la partie de jambe en l’air, il
faut casquer 25 000 Fcfa. Je te propose des jeunes filles de 22 ans.
Elles habitent à Hersent, Grand-Thiès, Takhikao, Nguinth ou Dixième.
Elles peuvent se déplacer à l’auberge ou chez toi», expose M. Faye. Et
on lui promet ainsi de lui revenir. «J’ai eu connaissance de cette
pratique via un ami. Il m’a montré le site sur Facebook et j’ai appelé
sur le numéro qui s’affichait. Avec une des filles, on a convenu d’un
rendez-vous pour une passe. Au début, elle réclamait 20 000 Fcfa, mais
par la suite, j’ai payé 10 000 Fcfa et nous avons passé un agréable
moment. C’était discret et on passe incognito, C’est mieux que le
racolage», souffle Lamine Dia, un jeune cadre dans une boîte
d’informatique.
Dans ce business du sexe, des hommes sont derrière
et jouent le rôle de proxénète. B. Fall en est un autre. Avec un compte
Facebook sans photo de profil, l’homme annonce : «Si vous voulez passer
du bon temps avec un vrai homme en toute discrétion, appelez-moi et je
vous mets en contact avec de bons étalons.» Un post qui aiguise
l’attention de certains internautes, là où d’autres sont indignés. «Il
dit la vérité. Il m’a mis en contact avec beaucoup de garçons», témoigne
une fille. Par contre, la femme T. Diop, elle, s’insurge contre cette
pratique. «Je ne comprends pas pourquoi vous encouragez ces mauvaises
pratiques. C’est ce qui me rend triste. Au lieu de vous trouver un
boulot digne, vous prenez le choix de vendre votre corps. Je n’en
reviens toujours pas», fulmine-t-elle.
MOUNTAGA CISSE, EXPERT DIGITAL : «L’anonymisation joue beaucoup en faveur de cette pratique»
«Des
prostituées utilisent des canaux digitaux dans leur communication parce
qu’il se trouve que communiquer sur internet est beaucoup plus facile
pour elles. Car elles ne sont pas directement en contact avec les
potentiels clients. Et il y a l’aspect anonymisation qui peut jouer en
leur faveur parce que comme vous le savez ces prostituées ou d’autres
masseuses professionnelles qui font des publications sur internet
n’utilisent pas réellement leurs propres photos. Elles utilisent parfois
des photos de mannequins ou des photos d’autres personnes trouvées sur
internet. L’autre élément c’est que le potentiel client peut être plus à
l’aise à entrer en contact virtuellement avec ces personnes plutôt que
d’aller sur le terrain, dans la rue, etc.
Il n’y a pas de manque de
contrôle en ce sens. La preuve, si certaines photos obscènes sont
publiées sur les réseaux sociaux, elles sont vite supprimées, soit suite
à un signalement d’un utilisateur ou par l’algorithme de ces réseaux
sociaux. Il y a également le fait que l’encadrement joue en leur faveur.
C’est vrai qu’il n’y a pas un encadrement strict qui fait qu’avant de
poster quelque chose, on vérifie, mais il y a quand même cette liberté
d’expression qui est consacrée sur internet et qui fait que les gens
peuvent communiquer sur certains sujets, s’ils respectent les standards
de la communauté. Ces standards-là leur permettent évidemment de faire
ce type d’annonce en évitant de poster des contenus de nudité absolue et
vérifiable.
Internet offre des plateformes de communication
avantageuses pour tout le monde, particulièrement pour les prostituées.
Je pense qu’aujourd’hui, internet à son lot d’avantages et
d’inconvénients. Pour ce qui est de la vente de produits et services,
internet est plus avantageux. Ça permet de jouer sur leur anonymisation
mais aussi sur la confidentialité qu’il peut y avoir entre le client et
les prestataires.»
ME ABDOULAYE BABOU, AVOCAT : «Les femmes qui s’adonnent à la
prostitution en ligne encourent une peine d’emprisonnement ferme allant
de 2 à 3 ans»
«La prostitution en ligne est une forme moderne de racolage.
Généralement, la forme de prostitution que nous connaissons est le fait
de faire les trottoirs. Mais, aujourd’hui des prostituées font recours
aux réseaux sociaux pour appâter une clientèle en quête de sensations
fortes. Cette forme de prostitution est interdite, surtout qu’elles
usent de la publicité qui est une circonstance aggravante. Elles
échappent à tout contrôle, car il est difficile voire impossible de
vérifier si elles disposent d’un carnet de santé. Les femmes qui
s’adonnent à la prostitution en ligne encourent une peine
d’emprisonnement allant de 2 à 3 ans. Il faut aussi noter que les
personnes qui encouragent la prostitution, notamment les proxénètes et
les gérants d’auberges, peuvent aussi être punies à la même peine
d’emprisonnement. Ils tombent sous les chefs d’inculpation suivants :
racolage en ligne, non-inscription sur le fichier sanitaire, incitation à
la débauche, usurpations d’identité, proxénétisme et/ ou complicité de
ce chef.»
ABLAYE GADIAGA SARR