Trafic de passeports diplomatiques au sommet : Quand l’institution peine à mettre fin à la « pagaille »
« Macky met fin à
la pagaille ». C’est ainsi que titrait un site en parlant de la décision
du Président Sall de mettre en place de nouveaux passeports
diplomatiques. La décision avait été saluée par plus d’un parce qu’en
réalité, il existait une pagaille qui entourait l’obtention de ce
document de prestige. La Présidence détenait dès lors l’exclusivité dans
l’octroi de passeports diplomatiques. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Seneweb lève le coin du voile sur le vers qui infecte un document aussi
prestigieux, aujourd’hui détourné de ses objectifs.
Les libéraux à l’origine du mal ?
Une
source révèle qu’à l’arrivé de Macky Sall au pouvoir, « près de 3000
passeports diplomatiques étaient en circulation ». En 2012, Serigne Mbaye
Thiam, l’actuel ministre de l’Eau et de l’Assainissement déclarait ceci
: « Lorsque nous avons pris fonction (depuis avril), nous avons constaté
qu’il y avait plus de 35 000 passeports diplomatiques qui étaient en
circulation détenus par des Sénégalais ». Un chiffre qui en dit long sur
le degré de banalisation de ce papier qui pourtant n’est réservé qu’aux
membres du Sénat, de l’Assemblée nationale, du Conseil Économique,
social et environnemental, aux diplomates (conseillers des affaires
étrangères et chanceliers), les hauts magistrats (Président de la Cour
suprême, du Conseil d’Etat…) ainsi que les fonctionnaires sénégalais en
service dans les organisations internationales. Plus
loin, on se souvient de l’accrochage entre le Président Wade et
l’actuel président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niass au sujet
des « passeports chinois ». « En tant que ministre des Affaires étrangères,
il avait ouvert un bureau consulaire à Hong Kong pour vendre des
passeports aux Chinois. Un jour, les Français se sont réveillés et ont
trouvé le cadavre d’une Chinoise dans la Seine qui avait par-devers elle
un passeport diplomatique sénégalais. La presse sénégalaise en a parlé.
Moustapha Niasse vendait des passeports à des Chinois qui voulaient se
rendre aux États-Unis ou ailleurs. Il l’a reconnu. Il n’a pas reversé
l’argent au Trésor. Je lui demande seulement de rapporter la preuve. Et
quand on lui demande cela, il dit qu’aux États-Unis on vend des
passeports », expliquait le Abdoulaye Wade dans un article paru dans Le
Quotidien. En
réponse à ce dernier, Niass accusait Wade d’avoir vendu des passeports
diplomatiques à la famille de Jonas Savimbi. Il était même prêt à
présenter ces passeports devant un Tribunal.Le
constat fait, au temps, était que des tiers ne détenant aucune
légitimité encore moins une légalité se retrouvaient être détenteurs du
précieux sésame. Il s’agit surtout de personnes issues de familles
religieuses ou proches d’un détenteur. La décision du Président Sall de
faire du nettoyage semble être contrebalancée par sa décision en 2012
d’octroyer aux épouses des parlementaires, le précieux sésame. On
comprend aisément donc que les députés mis en cause aujourd’hui se
retrouvent mariés à près d’une vingtaine de femmes. Un passeport sénégalais « 0 pass » ? Le
passeport sénégalais ne présente pas beaucoup de possibilités. D’après
un classement 2021 des passeports les plus puissants du site Passeport
index, le Sénégal occupe la 68ème place ex aequo au niveau mondial et la
28ème en Afrique. En vrai, seuls 31 pays n’exigent pas aux Sénégalais
un visa. Et il s’agit essentiellement de pays africains comme le Bénin,
le Burkina, le Cap-Vert, le Mali, la Mauritanie entre autres. Parmi les
pays qui exigent un visa, 138 le demandent avant l’embarcation à Dakar
et 29 le demandent à l’arrivée. Ce qui représente surtout une taxe.
Toujours dans le classement, on observe que seuls trois pays africains
offrent la possibilité de voyager dans plus d’une centaine de pays sans
avoir besoin d’un visa. Il s’agit des Seychelles, de l’Île Maurice et de
l’Afrique du Sud. Autre outil de mesure, les points de mobilité. Il
s’agit d’une courbe comparative des possibilités du passeport sénégalais
entre 2015 et 2021. Il en ressort qu’entre 2015 et 2016, il y a eu une
chute qui va être rectifiée jusqu’à atteindre 64% en 2019. Les
possibilités de voyager avec le passeport sénégalais sans un visa vont
encore connaitre une chute avec l’arrivée de la Covid-19. Ce
scandale au sommet pourrait rajouter une couche à la méfiance de
certains pays comme les États-Unis qui déjà avaient pris en 2017 des
mesures allant dans le sens de demander aux titulaires de ce type de
passeports un visa. En outre, l’Union Européenne voulait voter une loi
qui obligerait les Sénégalais même détenteurs de passeports officiels de
chercher un visa pour fouler le sol européen. Une procédure qui allait
aboutir n’eût été l’intervention de l’Espagne.En
réalité, ce genre de scandale « porte atteinte à la respectabilité du
document et pourrait retarder le travail des véritables diplomates »,
confie à Seneweb René Massiga Diouf, docteur en Science Politique et
Relations Internationales. Car poursuit-il, « le passeport diplomatique
représente l’identité même du pays l’ayant conçu pour ses officiels ».
Au-delà
de la désacralisation de ce précieux document, on assiste aussi à une
banalisation de l’Institution que représente l’Assemblée Nationale. Le
pouvoir législatif est au cœur du fonctionnement du pays puisque votant
les lois. Si donc aujourd’hui des parlementaires se retrouvent plongés
dans un scandale dû à un privilège que leur confère leur position, c’est
à se demander si l’Institution n’est pas dégrisée. En attendant de
connaitre les degrés d’implication des députés Boubacar Biaye et Mamadou
Sall dans cette affaire, il urge selon le docteur Diouf de « revenir à
l’esprit de la réforme du président Macky et de limiter l’octroi du
passeport diplomatique à ceux qui en ont réellement besoin ». En outre,
il convient de « dépolitiser » l’affaire pour plus de rationalité. Le
docteur va jusqu’à proposer la mise en place d’une instance qui se
charge du processus de concession du passeport diplomatique.