Guinée, la faiblesse d’un coup de force
Alpha Condé a été chassé d’un pouvoir qu’il a
voulu occuper trop longtemps. Mais il est difficile de voir dans ce
putsch militaire les ferments d’une amélioration pour les Guinéens.
Président
mal élu, il y a dix mois, pour un troisième mandat, à l’issue d’un
processus entaché de fraude et de sang, Alpha Condé, 83 ans, a été
chassé du pouvoir, dimanche 5 septembre, par une poignée de militaires
factieux, défenseurs autoproclamés du peuple contre un pouvoir abusif.
Doit-on, à l’image d’une partie de l’opposition, se réjouir de ce coup
de force qui peut hypothéquer l’avenir d’une démocratie balbutiante,
certes imparfaite, mais néanmoins amorcée sous Alpha Condé ? Quel crédit
républicain accorder au colonel Doumbouya, encore récemment caporal de
la légion étrangère française, propulsé à la tête de l’Etat guinéen, les
armes à la main ?
On
ne trouve pas grand monde pour pleurer la fin du président. Cet ancien
opposant, condamné à mort par contumace en 1970 sous la dictature
d’Ahmed Sekou Touré, ce panafricaniste, socialiste progressiste, avait
fini par lasser ses plus ardents partisans. « Au panthéon des héros
africains, il se voyait en Nelson Mandela d’Afrique de l’Ouest ; il
finira déchu comme Mugabe [l’ancien libérateur du Zimbabwe devenu
dictateur] », pronostiquait l’un de ses anciens compagnons de route,
quelques mois avant le coup d’Etat de dimanche.
Où s’arrêtera cette vague ?
Il
fallut à Alpha Condé beaucoup d’obstination pour croire en son destin
présidentiel, pendant ses longues années d’exil en France. Il disait, à
juste titre, qu’en 2010, année de sa première élection, il avait «
hérité d’un pays, non d’un Etat ». Mais son assurance a fini par
troubler son jugement. Jusqu’à la fin, il s’est imaginé en homme
providentiel ; il s’est cru seul capable de propulser sur la voie du
développement un pays dont le sous-sol regorge d’une richesse minérale
aussi insolente que la misère humaine y est abyssale. Il n’a pas écouté
ceux qui lui conseillaient de se retirer, de ne pas se tailler par la
force, en passant sur le corps de dizaines d’opposants, une Constitution
sur mesure pour se présenter à un troisième mandat. Il n’a pas senti
monter la vague qui l’a emporté.
Où
s’arrêtera cette vague ? Les Guinéens se souviennent amèrement de
Moussa Dadis Camara. Ce capitaine fantasque, dangereux surtout,
mentalement confus, à la tête d’une junte éphémère (décembre
2008-décembre 2009), plongea la Guinée dans un bain de sang avant de
recevoir lui-même une balle dans la tête. Lui aussi, comme le colonel
Doumbouya, fut applaudi à son arrivée. Il portait l’espoir d’une
nouvelle ère après des années d’errance, de corruption et de mauvaise
gouvernance.
Aujourd’hui,
aussi, l’Union africaine, les Nations unies, les Etats-Unis et la
France, entre autres, ont condamné le coup de force des militaires
guinéens. Mais il suffit de regarder par-dessus la frontière, au Mali
voisin, pour constater que deux coups d’Etat en l’espace d’un an ont
surtout généré de la complaisance, une fois passées les réactions
outragées. Car depuis, la junte malienne a oublié de rendre le pouvoir
aux civils comme elle l’avait promis.
A
Conakry comme à Bamako, ces coups de force illustrent l’extrême
faiblesse des institutions républicaines, balayées en un tournemain par
quelques hommes en uniforme. Et les espoirs déçus des Guinéens, qui
demandent, tout simplement, une vie meilleure.