Trop d’oignons font pleurer les producteurs sénégalais
« Une maison, un sac
d’oignons »: derrière cet énigmatique appel lancé récemment sur les
réseaux sociaux au Sénégal se cache le cri d’alarme de producteurs
d’oignons appelant chaque foyer à acheter une portion de leur récolte,
qui pourrit faute d’acheteurs.
À
Bambilor, un des foyers de production des oignons au Sénégal, à une
trentaine de kilomètres de Dakar, le constat est amer: l’offre dépasse
largement la demande, sous l’effet conjugué de la concurrence étrangère,
de pratiques agricoles néfastes ou encore de capacités de stockage
insuffisantes.
Sous une fine pluie matinale, des filets de 25 kilos sont empilés le long des trottoirs, ignorés des passants.
Les
professionnels parlent d’une année sombre. En réalité, l’écoulement de
la production nationale du bulbe à forte saveur est une préoccupation
ancienne, à la mesure de l’importance de l’oignon au Sénégal.
L’oignon, dont le Sénégal produit 450.000 tonnes par an, est un ingrédient incontournable de la gastronomie locale.
« Il
est cuisiné à toutes les sauces », explique Aram Faye, 50 ans, qui
travaille dans un jardin de maraîchers. Il donne du goût au poulet
yassa, au thiéboudienne et au mafé, plats traditionnels au pays de la
Téranga.
Au marché de Notto Gouye Diama, le 17 juillet 2021 SEYLLOU AFPL’oignon
arrive en tête de la consommation et de la production maraîchères au
Sénégal, avec une croissance forte, indiquait en 2018 un rapport de
l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture
(FAO). Il fait vivre près de 200.000 producteurs, dans un pays de plus
de 16 millions d’habitants où l’agriculture emploie plus des deux tiers
des actifs, selon Amadou Abdoul Sy, directeur de l’Agence de régulation
des marchés (ARM).
Parmi
eux, Diongue Masseye, 71 ans, regarde, impuissant, les oignons
défraîchis qui tapissent son entrepôt de 450 m2 et dont beaucoup ont
déjà germé.
Question de qualité
Près d’un tiers de la production est ainsi perdue chaque année.
« Je vais en distribuer aux femmes du coin », soupire-t-il.
Le
prix du filet de 25 kilos a drastiquement chuté: vendu 8.000 ou 9.000
francs CFA (12 ou 13 euros) il y a quelques mois, il ne part plus qu’à
4.500 ou 5.000 FCFA (autour de 7 euros) – beaucoup moins si une partie
du lot est défraîchi.
Diongue
Masseye peste contre l’Etat qui, selon lui, aurait dû prévoir une
chambre froide géante. La carence en capacités de stockage est une des
raisons de cette déperdition. Mais elle n’est pas la seule.
Les sacs d’oignons s’entassent au marché de Notto Gouye Diama, le 17 juillet 2021 SEYLLOU AFP »La
faible qualité de l’oignon local se traduit par des pertes importantes
et une quasi impossibilité de le stocker », écrivait la FAO. Les
spécialistes invoquent la qualité discutable des semences mais aussi la
propension à récolter les oignons trop tôt et donc trop humides, pour
les vendre avant les concurrents.
A
Notto Gouye Diama, grand marché de produits maraîchers dans l’ouest du
pays, Daouda Mbaye, commerçant, montre des dizaines de sacs d’oignons
abîmés dont se détournent des clients plus intéressés par les poivrons,
les pommes, les choux et les carottes.
« Ils
appartiennent à un agriculteur venu me les déposer pour que je les
vende. Je l’ai informé qu’ils ne sont plus vendables. Il viendra
lui-même le constater », explique-t-il.
Effet d’aubaine
Les
fêtes du Ramadan en mai et de la Tabaski (Aïd al-Adha local) en juillet
« n’ont malheureusement pas permis d’écouler les stocks des invendus »,
déplore Boubacar Sall, président du collège national des producteurs
d’oignons au Sénégal.
Il
réclame la mise en oeuvre d’une régulation de l’agriculture au Sénégal,
pour rééquilibrer le statut des petits producteurs, « en proie à une
concurrence déloyale de la part des grands », aux rendements trois fois
supérieurs.
Certes,
les importations sont suspendues depuis janvier, « mais on a importé les
producteurs: Marocains, Chinois etc, qui eux, ont des moyens costauds
de production et de conservation », souligne M. Sall.
Un
certain nombre de consommateurs continuent à afficher une préférence
pour l’oignon importé quand il est disponible sur le marché.
Des maraichères au marché de Notto Gouye Diama le 17 juillet 2021 SEYLLOU AFPPour Amadou Abdoul Sy, le directeur de l’Agence de régulation des marchés, les producteurs ont leur part de responsabilité.
« Tout
le monde produit en même temps. Les autorités avaient demandé de mettre
les récoltes sur le marché par périodes différentes selon chaque zone
de production mais elles n’ont pas été écoutées », regrette-t-il.
Les ménagères, elles, se frottent les mains, comme Astou Ndiagne à Bambilor.
« Au
lieu d’acheter un kilo d’oignon à 400 francs CFA, on l’achète à 100 ou
150 francs CFA, ça nous permet de faire des économies », sourit-elle avec
malice.