Abdou Diouf, ex-chef d’Etat: « C’est Paul Biya qui m’a supplié d’accueillir Hissène Habré en 1990 »
Dans ses Mémoires (2014), l’ancien président
Abdou Diouf dit ignorer ce qu’on reprochait à Hissène Habré. En
situation de détresse entre deux aéroports, Habré a finalement atterri à
Dakar-Yoff en 1990 sur demande pressante et alarmante du président
camerounais Paul Biya, rappelle Le Témoin.
Jusqu’à
son arrestation suivie d’une condamnation en 2016 à la prison à vie
pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de torture,
l’ex-président tchadien Hissène Habré avait réussi son adaptation et son
intégration dans son pays d’accueil qu’est le Sénégal. Le défunt
s’était toujours très bien comporté de manière à ne pas compromettre
l’asile qui lui avait été offert. Un comportement irréprochable qui
aurait sans doute poussé l’ancien président Abdou Diouf à le laisser
vivre tranquillement parmi nous. Surtout, le successeur de Senghor
s’était bouché les oreilles pour ne pas entendre toutes les accusations
portées contre son hôte. Et ce au nom de la Téranga sénégalaise. Dans
ses Mémoires publiés aux Editions du Seuil en 2014, il semble d’ailleurs
confirmer cela. Dans son livre, l’ancien président de la République
Abdou Diouf (1980- 2000) raconte le jour de l’arrivée d’Hissène Habré en
1990 à Dakar. Tout a commencé, dit-il, par un coup de fil du président
camerounais Paul Biya, un soir vers 23 heures, pour l’informer de
l’arrivée prochaine de Habré et de l’impossibilité de le garder au
Cameroun, en raison de la proximité avec le Tchad.
«
Le problème pour lui était d’autant plus prégnant qu’aucun des
Présidents africains contactés n’avait voulu accueillir Habré. C’est
suite à tous ces refus que Biya a pris contact avec moi, pour me
demander d’accorder l’asile politique à ce dernier. Je lui donnai mon
accord, et lui demandai de me préciser la date d’arrivée de Habré, pour
que je puisse prendre les dispositions nécessaires. Contre toute
attente, Biya me répondit que Habré serait à Dakar le lendemain de notre
conversation téléphonique, à 6 heures du matin. Pris de court, je
donnais illico presto des instructions à Médoune Fall, ministre des
Forces armées, pour qu’il organise l’accueil à l’aéroport. D’entrée,
Habré ne nous facilita pas la tâche. Il voulut d’abord garder l’avion de
commandement qui l’a amené à Dakar, en avançant comme argument l’avoir
reçu comme un don personnel », raconte le président Abdou Diouf, à
propos des circonstances de l’asile qu’il a accordé au président
tchadien déchu. Puis, il poursuit en évoquant l’avion du commandement «
détourné » que Hisséne Habré voulait s’approprier.
«
J’ai réagi rapidement et avec fermeté, pour lui faire comprendre que
cet avion était propriété du Tchad, et non de son Président. Pour le
convaincre de son erreur, je lui ai cité comme exemple le Méridien
Président. Au moment de le construire, le Roi Fahd m’avait remis
directement le chèque. Pourtant c’est un hôtel enregistré dans le
patrimoine immobilier du Sénégal, et non de son Président. A court
d’arguments sans doute, Habré recula sur le problème de l’aéronef. Plus
tard, Idriss Deby, qui approuva positivement l’asile politique accordé à
Habré, m’informa que ce dernier disposait d’un téléphone satellitaire
et continuait de donner des instructions à ses partenaires au Tchad, lui
créant ainsi des problèmes. Une mise au net s’imposait donc, et j’en
chargeai Médoune Fall. Dans notre entendement, l’asile politique devait
rimer avec la discrétion, ce qui excluait toute immixtion dans la vie
politique du Tchad. Bien entendu, Habré nia les accusations de Deby,
présentées comme des histoires. La mise au point fit en tout cas son
effet, puisqu’après, tout revint au calme. Ce n’est que plus tard que le
problème de son procès sera posé » rappelle l’ancien président Abdou
Diouf.
L’avion… détourné !
L’histoire
de cet avion a failli créer un incident diplomatique entre le Sénégal
et le Tchad. Et surtout du fait que les nouvelles autorités tchadiennes
avaient en effet pressé le président Diouf d’intervenir auprès de Habré
pour qu’il restitue l’avion… détourné. Un appareil immobilisé et scellé
sur le tarmac de Dakar-Yoff. Sous haute surveillance de la gendarmerie
nationale. Face à cette situation embarrassante, nous explique-t-on,
Abdou Diouf dépêcha alors le magistrat Kéba Mbaye auprès du président
Hisséne Habré pour lui faire entendre raison. A l’issue d’intenses
tractations, le président déchu Hissène Habré a finalement accepté de
laisser partir l’avion de commandement de la discorde.
En
clair, le Sénégal se portait garant auprès du président autoproclamé
Idriss Deby pour que Dakar ne soit pas une « base arrière » visant à
déstabiliser Ndjamena. Et au fil des années, il semblerait qu’Abdou
Diouf ait tenu parole puisque Hissène Habré n’a jamais posé un acte de
rébellion encore moins tiré les ficelles de la déstabilisation dans son
pays. En tout cas dans ses Mémoires, le président Abdou Diouf avoue
qu’il ne savait rien de ce qui est reproché à Hisséne Habré. «
Cependant, il est toujours bon pour comprendre cette affaire d’en
reconstituer la trame. Tout commença par un coup de fil du Président
Paul Biya qui m’a supplié dans l’accueillir…», jure le président Diouf,
histoire dire que Paul Biya l’avait pris de court. La suite, on la
connaît…