Jacob Ouédraogo, ambassadeur du Burkina Faso au Sénégal : «Seule une solidarité sincère peut aider le Sahel à vaincre le terrorisme»
L’Ambassadeur du Burkina Faso au Sénégal, Jacob
Ouédraogo, estime que seule une solidarité sincère et agissante en
termes de partage de renseignements, de missions conjointes et de mise
en commun des efforts, de façon générale, des Etats du Sahel permettre
de venir à bout du phénomène du terrorisme. Dans cet entretien, il
revient sur les efforts déployés par son pays pour y faire face et
aborde la coopération bilatérale avec le Sénégal.
Excellence, comment se portent les relations entre le Sénégal et le Burkina Faso ?
Les
relations entre le Burkina Faso et la République sœur du Sénégal se
portent très bien. Ce sont des relations qui tirent leurs sources de
l’histoire commune des deux pays depuis l’époque coloniale et se
bonifient au fil des années grâce à la volonté des Gouvernements
respectifs, l’impulsion des organisations sous-régionales comme la
Cedeao et l’Uemoa et surtout la fraternité et la solidarité des deux
peuples. Il faut également ajouter que ce sont des relations qui
promettent un avenir, au regard des grands projets et programmes communs
que les différents acteurs des deux pays sont déterminés à implémenter
pour le bonheur des populations burkinabè et sénégalaises.
Quels sont les grands axes de cette coopération ?
La
coopération entre le Burkina Faso et la République du Sénégal est un
champ très vaste qui couvre les domaines de la politique, de la
diplomatie, de la défense, de la sécurité, de l’intégration régionale,
etc. De tous ces domaines de coopération déjà actifs, où il y a pleins
de projets, je voudrais faire mention du niveau bien satisfaisant des
concertations politiques et diplomatiques entre les deux Gouvernements
tant au niveau bilatéral que dans les instances régionales et
internationales, et saluer l’intensité des échanges culturels et
éducatifs. Au titre de la coopération culturelle, il me plaît de
signaler, en guise d’exemple frais, que le Sénégal est le pays invité
d’honneur du Fespaco de cette année. Concernant le volet éducation, le
Sénégal est l’un des pays qui accueillent le plus grand nombre
d’étudiants burkinabè. Actuellement, nous avons environ un millier
d’étudiants burkinabè dans les universités et écoles supérieures de la
République du Sénégal.
À combien évaluez-vous le volume des échanges ?
Concernant
les échanges commerciaux, la première chose à retenir est que les
produits du Burkina Faso sont prisés au Sénégal et les produits
d’origine sénégalaise sont également bien convoités par les
consommateurs burkinabè. La deuxième constante est que les commerçants
burkinabè et sénégalais sont très actifs et bien déterminés à
approvisionner les deux pays. Toutefois, certaines difficultés,
notamment l’état des infrastructures routières de l’axe
Ouagadougou-Bamako-Dakar, ne permettent pas aux vendeurs de livrer les
marchandises en un temps record et à moindre coût. À cela, il faut
ajouter la fermeture des frontières due à la pandémie de la Covid-19 et
également l’insécurité dans certaines zones qui ont impacté très
négativement les statistiques au cours de ces dernières années. Au
regard de ce contexte, il n’est pas possible de donner des statistiques
qui refléterait le niveau réel de la coopération commerciale entre le
Burkina Faso et la République du Sénégal.
Quels sont les volets à améliorer ?
Comme
je l’ai déjà évoqué plus haut, la plupart des domaines de coopération
sont pleins de projets et programmes communs que les deux parties se
sont engagées à mettre en œuvre. Mais, à mon avis, le plus urgent, c’est
la réhabilitation de l’axe Ouagadougou-Bamako-Dakar qui va résoudre
beaucoup de problèmes et dynamiser les autres secteurs de coopération.
En tout état de cause, le cadre juridique de coopération établi par les
deux États et les Commissions mixtes de coopération qui réunissent
normalement, chaque deux ans, les acteurs du Burkina Faso et de la
République du Sénégal visent à évaluer l’état de la coopération et
proposer des solutions à même de permettre d’atteindre les résultats
qu’ils se sont fixés.
En
dépit des multiples efforts déployés par les États, notamment les
membres du G5 Sahel, les attaques terroristes persistent. Quelle
appréciation en faîtes-vous ?
Sur
la question du terrorisme au Sahel, mon appréciation est que les
attaques persistent malgré les efforts des États concernés sur le plan
national ou au sein d’organismes sous-régionaux comme le G5 Sahel ou la
Cedeao. Toutefois, cela ne signifie pas que ces efforts sont vains ou
que les États n’avancent pas dans la lutte anti-terroriste. L’histoire a
montré que la guerre contre le terrorisme est une lutte de longue
haleine. Vous savez quand ça commence, mais difficile de dire quand ça
va finir. Donc, face à une telle épreuve, il est important d’avoir une
stratégie à court terme pour limiter et, au mieux, éviter de subir des
pertes surtout celles en vies humaines. Cependant, il faut également
disposer d’une stratégie à long terme et être très endurant pour pouvoir
déraciner les tentacules du terrorisme. Ce qu’il faut ajouter, c’est la
nécessité d’une solidarité indéfectible des États du Sahel dans la
lutte contre le terrorisme. En effet, c’est à travers une solidarité
sincère et agissante en termes de partage de renseignements, de missions
conjointes et de mise en commun des efforts, de façon générale, que les
Etats du Sahel viendront à bout du phénomène du terrorisme.
Qu’est-ce qui explique la persistance des attaques terroristes ?
Les
attaques terroristes persistent parce que jusqu’à présent, les États
concerné, en dépit de la détermination qui les anime, n’ont pas encore
trouvé les moyens de les faire cesser définitivement. Mais, je dois dire
que le phénomène est transnational. Cela ne concerne pas seulement le
Mali ou le Niger. Il faut appréhender le terrorisme de façon globale en
disant qu’il n’y a pas un pays qui est épargné. Hier, c’était le Mali,
ensuite le Burkina. Je ne le souhaite pas, mais c’est un phénomène qui
fait que même les pays côtiers se sentent menacés ; ce qui fait qu’il
faudrait développer une stratégie commune puisque personne n’est à
l’abri. Je dois encourager les Armées et les populations pour qu’il y
ait un partage d’expériences de renseignements, afin que la lutte soit
communautaire et apporte une solution définitive. Au Burkina, nous avons
les volontaires parce qu’il faut associer les populations.
Est-ce que ces volontaires sont encadrés pour éviter des exactions ?
Ce
sont des supplétifs qui ont été créés par la loi afin de pouvoir
contribuer à la lutte sur le terrain. Cette lutte ne peut pas être
laissée à l’Armée et aux fonctionnements. C’est un processus qui a connu
quelques difficultés, mais il existe un dispositif d’encadrement et de
suivi pour éviter des dérapages. Nous avons des volontaires qui se
sacrifient quotidiennement pour défendre leur patrie. Nous les
félicitons pour cet engagement. Le travail d’encadrement va continuer.
Beaucoup
de spécialistes pensent que les États doivent aussi privilégier la
lutte contre la pauvreté dans les zones où sévissent les jihadistes.
Partagez-vous cette idée ?
Évidemment,
nous partageons cette vision qui est que la lutte contre le terrorisme
doit intégrer d’autre composantes toutes aussi importantes que la
solution militaire. Je vous disais tantôt que dans cette guerre-là, il
fallait disposer d’une stratégie à long terme qui devrait permettre de
résoudre le problème de la radicalisation et de la pauvreté des
populations, notamment la franche jeune. En effet, c’est au sein des
populations qui se sentent délaissées et sans alternatives que les
terroristes recrutent facilement leurs adeptes.
C’est
pourquoi dans la nouvelle approche de la lutte contre le terrorisme, la
question du développement occupe une place de choix. La vision au sein
du G5 Sahel établit d’ailleurs cette interdépendance entre le
développement durable et la sécurité ; la solution au terrorisme se
trouve dans la combinaison de ces deux équations. La bonne gouvernance
est aussi réclamée par les populations. Là où il y a un développement
déséquilibré entre les régions, une discrimination entre les régions
communément appelée la stigmatisation communautaire, le phénomène peut
se développer. Les solutions doivent donc être holistiques, envisagées
dans toutes leurs facettes.
Que fait le Gouvernement burkinabé pour combattre ce déséquilibre ?
Le
Gouvernement a très bien appréhendé ce problème et a mis en place le
Programme d’urgence pour le Sahel. C’est un programme qui travaille à
équiper ces régions qui semblent être délaissées. Le Gouvernement leur
donne un certain nombre d’infrastructures pour la population. En plus de
cela, il y a la démocratie. Ces populations participent aux élections.
Il s’agit donc de faire en sorte que chacun soit concerné par le destin
commun.
L’Armée
burkinabè a annoncé, avant-hier, avoir tué au moins 13 jihadistes et
détruit une base logistique détruite lors de deux ripostes à des
attaques terroristes dans le nord. Cette riposte prouve-t-elle que la
situation est sous contrôle ?
Effectivement,
le dimanche 16 août 2021, suite à une attaque à Beleyanga, dans la
province du Soum, région du Sahel, contre des volontaires pour la
défense de la Patrie (Vdp), une opération aéroterrestre, menée par
l’Armée burkinabè, a permis de neutraliser une dizaine de terroristes et
détruire de l’armement ainsi qu’une quinzaine de motos. Une autre
riposte et un ratissage menés après une attaque contre un détachement
militaire de Tankoualou, dans la région de l’est, ont également permis
de neutraliser trois terroristes et de récupérer de l’armement, des
munitions et divers autres matériels. Ces résultats viennent en ajout
aux innombrables exploits de l’Armée burkinabè dont je salue le
patriotisme et le sens du sacrifice suprême pour la Nation. C’est une
Armée républicaine qui bénéficie de la confiance et du soutien de la
population. Comme je le relevais tantôt, le terrorisme est un phénomène
transnational et je pense qu’il serait trop prétentieux pour un seul
État de prétendre le maîtriser. Cependant, une chose est sûre, que ce
soit l’Armée burkinabè ou chaque Burkinabè pris individuellement, nous
sommes déterminés à gagner cette guerre et nous la gagnerons.
Pensez-vous que les Armées de la sous-région peuvent y faire face sans le soutien des partenaires comme la France ?
Je
soulignais un peu plus haut la nécessité absolue pour les États de la
sous-région de conjuguer leurs efforts et leurs moyens en vue
d’éradiquer définitivement le terrorisme qui y sévit. Aussi, à bien
analyser le phénomène du terrorisme, notamment les modes de financement
et d’équipement des groupes jihadistes, on en conclut que c’est une
criminologie qui transcende les régions et mêmes les continents. Dès
lors, je ne pense pas qu’il soit indiqué d’écarter la coopération
internationale dans la lutte contre le terrorisme. Mais, il faudrait
d’abord que chaque Armée, chaque pays se dise que la question
sécuritaire est une question de souveraineté. Elle demande aussi une
stratégie régionale et internationale.