Le Professeur Seydi, un immense médecin face à la tentation populiste (Par Amath Tambedou)
J’ai
beaucoup de respect pour le Professeur Moussa Seydi. Je lui porte
également un profond sentiment de reconnaissance pour tous les efforts
qu’il ne cesse de déployer depuis le début de la crise sanitaire pour
soulager et sauver nos compatriotes. Il n’empêche que je ne puis ne pas
m’inscrire en faux contre ses récentes déclarations à la 7tv incriminant
la communication gouvernementale sur le vaccin.
Ce
grand médecin a accusé les autorités sénégalaises d’avoir mal
communiqué, laissant le champ aux colporteurs de fake news qui auraient
semé le doute dans l’esprit des populations. D’où, selon lui, le peu
d’engouement manifesté par celles-ci pour le vaccin. Pour illustrer son
propos, il montre les USA comme exemple. Selon lui, dans ce pays, les
autorités ont communiqué vite et bien sur le vaccin au point qu’ils ont
pu anéantir l’effet des fake news.
Je
suis en désaccord avec cette prise de position tant sur l’appréciation
qu’elle porte sur la communication du gouvernement sénégalais que sur
l’exemple américain qu’elle brandit.
Certes,
le Sénégal est l’un des premiers pays africains à avoir pu disposer du
précieux vaccin et lancer une campagne de vaccination dans un contexte
où les pays riches, dans un élan de patriotisme égoïste, ont fait
main-basse sur l’ensemble de la production. On doit cette performance au
leadership du Président Macky Sall, n’en déplaise aux détracteurs et
autres calomniateurs. Mais il nous reste toujours à relever le défi de
la quantité, à disposer d’un stock pouvant couvrir au moins une partie
significative des besoins. Face aux difficultés d’accès aux vaccins que
rencontre la grande majorité des pays du globe y compris le nôtre,
aurait-il été de bon aloi d’inciter les populations à se mobiliser dans
les centres de vaccination sans disposer d’assez de doses pour faire
face à la demande qu’on aurait ainsi provoquée ?
Il
est vrai qu’on a perçu chez certains Sénégalais un sentiment de
méfiance voire de défiance vis à vis du vaccin. C’est un sentiment qu’on
retrouve dans tous les pays du monde, et beaucoup plus même dans ceux
qui sont crédités d’une bonne communication sur le sujet et qui sont
considérés traditionnellement comme des modèles de gouvernance. La vague
de scepticisme autour de ce vaccin et ses messages démotivants, tout
comme le flot de messages de réhabilitation délivré en face, ont un
caractère transfrontalier, universel. Autant l’antivax sénégalais est
exposé à l’influence de ses camarades européens ou américains, autant
les messages de promotion du vaccin délivrés à Washington, New-York, Los
Angeles, Paris, Berlin… font leurs effets à Dakar, Ziguinchor,
Kaolack ou St Louis. Les flux de messages ont une portée et des
implications beaucoup plus complexes que ne semble le penser le
Professeur Seydi. Mais on peut retenir qu’au stade actuel, le problème
du Sénégal c’est moins la mobilisation des populations pour la
vaccination que la disponibilité du vaccin.En
ce qui concerne les USA que le Professeur Seydi désigne comme référence
en matière de communication incitative à la vaccination, il convient de
dire que ce pays figure, dans cette pandémie et au moment où l’on
parle, parmi ceux qui ont révélé le plus d’antivax au sein de leur
population. Il suffit de considérer les faits pour s’en convaincre. Les
USA sont le premier pays de la planète à avoir eu accès aux vaccins, en
exerçant une sorte de privilège de priorité au point d’avoir même
parfois frustré certains de leurs grands alliés européens. C’est aussi
l’un des premiers pays à avoir démarré une campagne de vaccination. Ils
ont pu aussi disposer très tôt de suffisamment de doses pour vacciner
toute leur population. Pourtant, malgré tous ces avantages et
privilèges, bien qu’ayant réuni toutes les conditions matérielles pour
une campagne de vaccination rapide et exhaustive, les USA n’ont réalisé à
ce jour qu’un taux de vaccination de 50% là où dans leurs projections,
ils visaient au moins 75% au mois de juin, pour pouvoir célébrer
pleinement la fête nationale du 4 juillet sans masque ni restriction
d’aucune sorte. Ainsi, sont-ils eux aussi en train de subir la nouvelle
vague si durement qu’ils en reviennent aux restrictions et sont en train
de recruter des dizaines d’influenceurs disposant d’une bonne assise
sur les réseaux sociaux pour qu’ils fassent la promotion du vaccin
auprès de leurs followers. Si la communication de qualité des autorités
américaines vantée par le Professeur Seydi avait pour objectif de
réduire le scepticisme et de susciter un engouement populaire pour le
vaccin, le résultat obtenu est là pour démontrer de manière implacable
qu’elle a clairement échoué. Peut-être le Professeur Seydi n’a pas suivi
le récent coup de gueule du Président américain Joe Biden qui, dépité
de n’avoir pu atteindre les objectifs qu’il s’était fixés dans la
vaccination, a accusé les réseaux sociaux de tuer les gens en offrant
aux complotistes la possibilité de diffuser leurs messages de
désinformation sur les vaccins et d’en détourner ainsi les populations.
Facebook qui s’est senti particulièrement visé par la charge du
dirigeant américain a aussitôt réagi pour se dédouaner. C’est donc un
mauvais exemple que le Professeur Seydi brandit pour asseoir une
affirmation plus que contestable.
Le
Professeur Moussa Seydi est un éminent médecin, et son courage et son
engagement admirables dans la lutte contre le Covid19 sont en train de
l’élever au statut de monument national. Il devrait se méfier des effets
pervers de l’exposition médiatique à outrance. Il devrait surtout se
méfier de la tentation populiste qui prédispose à toujours dénoncer, à
tort et à raison, juste pour se tailler un costume de héros. Il est déjà
héros dans son domaine de crédibilité.
Amath TAMBEDOUEnseignant APRNioro du Rip