Tchad: trois mois plus tard, ce que l’on sait de la mort du président Idriss Déby Itno
Il y a trois mois, le 20 avril en fin de matinée, les Tchadiens apprenaient à la radio-télévision nationale le décès du chef de l’État Idriss Déby, au pouvoir depuis trente ans, et la mise en place d’un Conseil militaire dirigé par l’un de ses fils, chargé de conduire une transition de 18 mois. Que sait-on aujourd’hui des circonstances de sa disparition ?
Le
lundi 19 avril au soir, une foule de partisans du MPS se retrouvent
place de la Nation à Ndjamena. Ils sont rassemblés pour fêter la
réélection d’Idriss Déby à la tête du pays. La commission électorale
accorde à celui qui est devenu maréchal du Tchad l’année précédente,
79,32% des suffrages. Mais contrairement à ce qui a été annoncé, le
vainqueur ne viendra pas s’exprimer devant ses partisans. Plus tôt, des
chars ont été déployés autour de la présidence, ce qui intrigue les
journalistes. Dans les cercles proches du pouvoir, la rumeur se répand :
Idriss Déby est mort au combat.
Deux jours plus tôt, le samedi 17 avril, tout juste de retour d’un
déplacement à l’étranger, il avait pris la route du nord, de la province
du Kanem. Depuis une semaine, en effet, les colonnes rebelles du Fact
(Front pour l’alternance et la concorde au Tchad), parties de Libye,
progressent vers le sud. Malgré l’aide du renseignement français et des
survols d’avions censés les dissuader de poursuivre leur chemin, les
voici près de Mao, à quelque 300 kilomètres de la capitale.
Évacué par hélicoptère vers Ndjamena
Chef de guerre décrit comme « courageux, mais parfois colérique »
par plusieurs de ses conseillers, il endosse le rôle qu’il affectionne
du maréchal qui mène ses troupes sur le front. Après un bivouac, il
arrive sur place le lendemain, dimanche 18 avril. Ses hommes disputent
un âpre combat aux rebelles près de Nokou.
C’est là que les affirmations sur la date de son décès divergent.
Selon certains, le soir du dimanche 18, sa colonne tente de s’approcher
au plus près de la ligne de front. Elle est arrêtée par des tirs d’armes
lourdes contre les véhicules de tête, selon un témoin. Sorti du sien,
Idriss Déby est touché, à la tête ou au tronc selon les versions, la
poussière des 4×4 rendant la visibilité quasi nulle sur le champ de
bataille.
On l’évacue vers l’arrière, le temps qu’un hélicoptère arrive de
Ndjamena, et l’embarque inanimé vers la capitale. À l’aube du lundi 19,
l’appareil se pose dans l’enceinte de la présidence avec le corps sans
vie du président à bord. Son fils, néanmoins, assure à Jeune Afrique, le
27 juin dernier, que c’est bien le lundi 19 avril, à l’aube, que ces
événements se sont produits, qu’il se trouvait à quelques kilomètres de
là, engagé lui aussi au combat. Qu’on lui a annoncé sa blessure en
milieu de journée et son décès le soir à son retour à Ndjamena. Quoi
qu’il en soit, notre correspondant, Madjiasra Nako, observe le lundi 19 à
la mi-journée le déploiement des chars en ville et le mouvement des
ambulances à la présidence.
La journée du lundi 19 donnera lieu aux tractations pour former le
Conseil militaire de transition. Le soir, la commission électorale
annonce donc la réélection du « Maréchal ». Les rebelles, en toute fin
de soirée, diffusent une liste de hauts gradés de l’armée tués dans le
même temps : on y trouve le « colonel Idriss Déby Itno ».
Le lendemain matin, stupeur : entouré des membres du CMT, le
porte-parole de l’armée, le général Azem Bermandoa Agouna, annonce la
mort d’Idriss Déby et la suspension de la Constitution.
La thèse alternative
Dans les jours qui suivent, une thèse alternative circule
massivement sur les réseaux sociaux : Idriss Déby aurait été assassiné
par un de ses compagnons d’armes. Il serait la victime d’un règlement de
compte au sein de son clan, les Zaghawas, très minoritaires au Tchad,
mais surreprésentés au sein des milieux sécuritaires. On évoque un
conciliabule qui aurait mal tourné. Un membre de la famille de Yaya
Dillo aurait vengé l’opposant. L’assaut contre sa résidence, le 27
février, lors duquel sa mère est tuée, aurait approfondi une fracture
déjà existante entre les « zag ». Dès le 30 avril, de retour à Ndjamena,
Yaya Dillo reçoit RFI et dément la théorie d’une vengeance familiale,
appelant au pardon et au dialogue. Comprendre, en premier lieu, au sein
du clan. Il se dit sûr que l’ancien président est bien mort au combat,
et que toute autre version est une « fausse information ». Depuis,
aucune information n’est venue soutenir la thèse de l’assassinat.
Demeurent encore des interrogations sur les détails du déroulement du
dimanche 18 avril, notamment sur le fait de savoir si le Fact savait
qu’il visait Idriss Déby, et de quelle manière l’information de sa
présence serait parvenue aux rebelles.
Le décès d’Idriss Déby a, en tout cas, fait oublier l’issue des 17 et
18 avril : la défaite du Fact face aux unités d’élite tchadiennes, à
l’issue de combats coûteux des deux côtés. Forts de plus d’un millier
d’hommes, les rebelles avaient pu jusque-là progresser sans encombre,
avec un arsenal constitué en Libye au gré des prises de guerre, et de
l’entraînement prodigué par des instructeurs russes liés au camp du
maréchal Haftar.
Qu’est devenu le Fact ?
À la suite de ces combats, les colonnes rebelles se sont
dispersées, regagnant la Libye, passant pour certaines par le Niger, ce
qui a occasionné quelques crispations entre Ndjamena et Niamey. Combien
le Fact compte-t-il d’hommes aujourd’hui ? Quelles sont ses ressources ?
Où se trouve son chef, Mahamat Mahdi Ali ? Autant de questions
auxquelles les réponses ne sont que parcellaires.
Certains pensent que le groupe campe dans le désert du sud libyen,
proche de la frontière tchadienne. D’autres qu’il est plus au centre,
près de la ville de Houn, mais sans certitudes. Son leader se fait
discret, craignant sans doute une vengeance, et le Fact a accepté de
participer à des discussions engagées par le Togo, aux côtés d’autres
groupes rebelles : l’UFR, le CCMSR et le FNDJT.
Le but de l’initiative togolaise est de recueillir les revendications
des rebelles en vue de leur contribution au dialogue national que doit
organiser le gouvernement tchadien. Ils réclament une amnistie générale,
la libération des prisonniers de guerre et des prisonniers politiques,
mais ils refusent de reconnaître le Comité militaire de transition de
Mahamat Idriss Déby. Ce dernier balaie toute tractation avec le Fact.
La guerre ne résout rien, mais nous sommes obligés et contraints d’utiliser cette manière là.