Ramadan, mode et habillement : Les tenues sexy rangées au placard
Le Ramadan est un mois de pureté et de forte dévotion. Il rime toujours avec changement de tenues vestimentaires chez les jeunes filles qui, pour se conformer aux prescriptions de l’Islam, s’habillent décemment afin de ne pas laisser apparaître certaines parties de leur corps. Un changement de look « normal », selon certaines filles rencontrées. D’autres, par contre, estiment que l’habit ne fait pas le moine. Reportage
A
Dakar, le constat est unanime : les mini-jupes, bas, pantalons serrés,
décolletés, bustiers etc., ont cédé, depuis quelques jours, la place aux
tenues traditionnelles. Les filles, qui avaient l’habitude de
s’habiller très « sexy », se tournent vers les habits amples, ce
qu’elles ne portaient d’habitude que les vendredis. Les fringues sont
rangées dans les armoires. Car, comme semble le dire Adja Marie Fall,
étudiante dans une école de formation privée, chaque chose a son temps.
«Je ne peux pas jeûner tout en portant des vêtements qui me collent au
corps comme les jeans, les hauts ou certains vêtements trop sexy. Si
nous nous habillons comme d’habitude, on risque de gâcher le jeûne des
autres, aussi je ne veux pas jeuner pour rien, c’est un mois de
promotion comme on le dit », confie-t-elle, la bouche et le nez masqués.
Trouvant anormal le fait de s’habiller sexy durant ces moments de
dévotion, cette habitante de Pikine fait recours aux ’meulfeu’’ et
autres tenues traditionnelles. « Je préfère porter des tailles basses
correctes pour me conformer aux exigences de la religion. Nous sommes de
ferventes croyantes. Donc, on décide de nous comporter ainsi pendant
ces trente jours de jeûne», rassure-t-elle du bout de ses lèvres. « En
dehors du mois du Ramadan, je ne trouve aucun mal à ce qu’une fille
suive la mode. Et aujourd’hui, les habits sexy sont à la mode, on ne
sera pas les premières ni les dernières à vivre la mode. C’est seulement
une période et un jour nous la dépasserons », ajoute Mlle Fall qui
souligne que tous ces vêtements seront mis au placard pendant la période
du Ramadan pour un habillement plus décent.
En
tout cas, elle n’est pas la seule à être dans cette mouvance de «
Sellal ». Selon beaucoup d’entre elles, le fait de porter des vêtements
qui laissent paraître tout son corps c’est d’abord ignorer sa religion
mais aussi un manque de foi.
10
heures passée, ce jeudi, la circulation est assez fluide au rond-point
de Hann-Maristes. Les quelques taxis et bus tata cherchent désespérément
des clients. Ramadan oblige. Toutefois, sur le trottoir menant à
l’Ecole japonaise, des dizaines de piétons marchent tranquillement. Le
visage parfois pale, le corps fatigué, chacun vaque tranquillement à ses
occupations.
Aicha,
la trentaine environ, regagne son lieu de travail. Tout de blanc vêtue,
un voile noir sur la tête, un long cure-dents dans la bouche, cette
ménagère explique les raisons du changement brusque d’habitudes. «
Franchement, je ne m’habillais pas comme ça. Mais, puisque c’est le mois
de Ramadan, je me dis que pourquoi pas ne pas me conformer à la règle
générale. C’est à dire porter des habits décents ». Elle pense que les
filles doivent respecter ce mois béni. « J’invite les jeunes filles de
mon âge à respecter les autres. Même si on ne jeûne pas, on ne doit pas
sacrifier le jeûne des autres ».
Une
autre dame, qui requiert l’anonymat, dit éprouver beaucoup de peine
pour porter ces tenues traditionnelles, mais estime qu’elle n’a pas le
choix. « Je n’ai pas l’habitude de porter des boubous traditionnels.
Mais la période nous l’exige. Une femme musulmane doit se couvrir tout
le corps. Ce que je fais très rarement. Donc, pour le ramadan, je vais
respecter les préceptes de l’islam, afin d’avoir le pardon de Dieu».
Ndeye
Sokhna Sall est femme voilée. Retrouvée devant un arrêt de bus, près du
centre de santé de Hann-Maristes, elle indique que la femme doit
s’habiller de manière décente à tout moment et de tout temps. « Il est
inexplicable qu’une personne abandonne ses coutumes et traditions pour
ensuite imiter d’autres, alors que les réalités ne sont pas les mêmes »,
tonne-t-elle, trouvant que c’est « un manque de confiance en soi.
Pourtant, c’est très joli lorsqu’une femme africaine se met dans un
boubou traditionnel, cela la valorise et elle se fait respecter par tout
le monde ». Pour cette jeune mère de famille, ce qui devrait déranger
le plus, c’est le fait d’attendre le Ramadan pour montrer qu’on a notre
culture : « Moi, je m’habille correctement pendant toute l’année. Je ne
fais pas partie de ceux qui attendent le mois de ramadan pour commencer à
cacher les parties de leurs corps ». Son amie Absa Fall abonde dans le
même sens. Dans son ‘’khartoum‘’ en rayures, elle déclare : « La femme
doit être pure. Et notre religion nous recommande de ne pas exposer
notre corps, surtout chez la femme ».« Même les tenues traditionnelles sont sexy »
Oumy
Tandian habite Dalifort. Rencontrée à la sortie d’une boutique, elle se
dit préoccupée par ce sujet. Dans son pagne multicolore, elle soutient
que l’important, c’est que son corps n’apparaisse pas. « Plus de tenue
serrée ni courte, encore moins de maquillage », lance-t-elle. Non sans
ajouter qu’« en sortant de chez moi, je porte un voile qui recouvre
presque entièrement mes cheveux, parce que je n’ose pas encore le porter
entièrement. J’ai peur de ne pas assumer, surtout après que le mois
sacré soit passé ».
Son
amie Rokhaya, elle, ne compte pas changer de comportement, même pendant
le mois de ramadan. Accusant les autres jeunes filles d’hypocrites,
cette élève en classe de Terminale, fourrée dans son bas noir et un body
blanc, fait savoir que la tenue traditionnelle, ce n’est que pour le
vendredi, même en cette période de jeûne. « J’ai mon propre look à moi,
jean et autres. C’est plus pratique avec les études même durant le mois
de carême. Je mets donc mon jean mais j’évite tout de même les hauts
décolletés. A la place, j’opte pour les tee-shirts mais franchement je
ne vais pas changer le look parce que je suis plus à l’aise avec »,
témoigne-t-elle. Non sans détailler : « Même les tenues traditionnelles
sont sexy maintenant, ce sont les tailles basses bien décolletées, des
jupes avec des fentes ». Quoi qu’il en soit, ce changement de tenue
vestimentaire n’arrange pas tout le monde, surtout les commerçants de
fringues.
Ces
vendeurs de pantalons et de body prêt-à-porter se plaignent de la
mévente. « Notre chiffres d’affaires a fortement baissé à cause du
changement de comportement vestimentaire des jeunes filles. Depuis le
début du ramadan, les clientes se font désirer. Elles préfèrent
maintenant des habits traditionnels », confie Moustapha Boye, gérant
d’une boutique prêt-à-porter non loin du Parc de Hann. Toutefois,
poursuit-il, « le jeûne ne dure que 30 jours. Et pendant la korité,
elles viendront faire leurs achats comme d’habitude ».