Sénégal : Il faut que cesse l’impunité internationale du régime de Macky Sall
Un collectif d’une centaine d’artistes, d’universitaires et de
divers citoyens sénégalais lance un appel pour que cessent la répression
que mène actuellement le régime du président Macky Sall, et l’impunité
internationale dont il bénéficie. Face à l’ampleur de la répression, «
de simples déclarations ne suffisent plus » !
Depuis
le 3 mars, et l’arrestation de la principale figure de l’opposition
Ousmane Sonko, le Sénégal est le théâtre de manifestations populaires
massives. Le président du parti PASTEF (Patriotes du Sénégal pour le
travail, l’éthique et la fraternité), accusé par une employée d’un salon
de massage de « viol et menaces de mort », avait vu son immunité
parlementaire levée en fin février après le vote d’une commission ad-hoc
principalement composée de députés de la majorité. Alors qu’il se
rendait au tribunal pour répondre à la convocation du juge
d’instruction, Sonko fut arrêté et placé en garde à vue pour « troubles à
l’ordre public ». Ce fut la goutte de trop qui embrasa le pays.
Les
manifestations vont cependant bien au-delà du cas d’Ousmane Sonko. La
décision du juge de le placer sous contrôle judiciaire ne change
aucunement l’état d’extrême tension dans lequel se trouve le pays. Dans
la rue et sur les réseaux sociaux, l’on entend aussi bien « Libérez
Sonko » que « Macky dégage » et « Libérez le Sénégal ». Chômage massif
des jeunes, accroissement des inégalités, scandales de corruption, le
tout accentué par une gestion répressive de la crise sanitaire : il
s’agit bien d’un ras-le-bol généralisé d’une population qui désavoue la
gestion du pays par sa classe politique dirigeante.
Un climat de terreur
Depuis
plus d’un mois, pas un jour ne passe sans que les forces de l’ordre
n’arrêtent des opposants au régime, aussi bien militants du PASTEF,
membres du mouvement FRAPP (Front pour une révolution anti-impérialiste
populaire et panafricaine) que divers citoyens engagés. La torture, legs
de l’administration coloniale maintenu par tous les régimes depuis
l’indépendance, est également utilisée comme arme de renseignement. Le 4
mars, la directrice de la maison d’arrêt et de correction du Cap
Manuel, Khadidiatou Ndiouck Faye, déclarait ainsi que les prisonniers
politiques récalcitrants étaient parqués dans des cellules punitives. «
Là-bas, dit-elle, la règle est que le détenu se suicide ».
De
nombreuses organisations de défense des droits de l’homme comme Amnesty
International ont d’ailleurs appelé les autorités sénégalaises à «
cesser les arrestations arbitraires d’opposants et d’activistes,
respecter la liberté de réunion pacifique et la liberté d’expression, et
faire la lumière sur la présence d’hommes armés de gourdins aux côtés
des forces de sécurité ». En plus des restrictions d’accès aux réseaux
sociaux, confirmées par l’observatoire numérique NetBlocks, elles ont en
effet coupé le signal de plusieurs chaînes de télévisions et radios
privées. Et, pour mater les immenses foules regroupées à travers le
pays, de nombreux miliciens en civil, munis de gourdins et d’armes à
feu, ont été mobilisés pour terroriser les manifestants. De nombreuses
vidéos diffusées sur les réseaux sociaux font état de véritables chasses
à l’homme. Dans certaines régions, l’État sénégalais a même fait appel à
l’armée. Le bilan macabre est déjà d’au moins dix morts et des
centaines de blessés graves.
Ce 5 mars, après
une troisième journée de mobilisation, à laquelle avait notamment appelé
le collectif Y’en a marre plusieurs jours auparavant, la déclaration
face à la presse du ministre de l’Intérieur Antoine Felix Diome n’a fait
que confirmer la détermination du régime du Président Macky Sall à ne
reculer devant rien. M. Diome est allé jusqu’à qualifier les
manifestants de « terroristes », manipulés par des « forces occultes ».
Idrissa Seck, ancien opposant à Macky Sall arrivé deuxième à l’élection
présidentielle de 2019, et qui a rallié le gouvernement en fin 2020, a
renchéri en dénonçant des supposés « intérêts encagoulés, nationaux
comme internationaux ».
Impunité internationale
Depuis
son indépendance, le Sénégal a toujours trouvé des alliés à
l’international, à commencer par la France. L’image d’un « modèle de
démocratie », îlot de stabilité dans le tumulte sahélien, par son
premier président Léopold Sédar Senghor, lui-même à la tête d’un régime
au parti unique réprimant l’opposition, a la vie dure. Le pays s’est
ouvert au multipartisme dans les années 1980 et a organisé deux
alternances de parti au pouvoir, en 2000 et en 2012, mais, jadis
opposants, les nouveaux hommes forts, Abdoulaye Wade (2000-2012) et
Macky Sall (depuis 2012), s’inscrivirent tous deux dans la continuité de
leurs prédécesseurs.
En cause, un système
hyper-présidentialiste hérité d’une part de la 5ème République française
de 1958, et d’autre part de la Constitution sénégalaise de 1963 qui
supprima le poste de Premier ministre après l’éviction du chef de
gouvernement d’alors, Mamadou Dia, concentrant ainsi les pouvoirs dans
les mains de l’exécutif. Une pratique confirmée par Macky Sall lui-même,
dans une intervention en wolof à la télévision nationale le 31 décembre
2020 : « Si jamais le Président sait que l’arrestation d’[une] personne
entraînera la mort de
personnes, est-ce qu’il va tout de même l’arrêter ? Peut-être y a-t-il
un autre chemin à emprunter [pour régler le problème] ».
Face
aux caméras du monde entier, la « vitrine démocratique » du Sénégal a
aujourd’hui volé en éclats. Et il faut que cesse l’impunité
internationale du régime de Macky Sall. En 2018, la cour de justice de
la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest)
avait condamné l’État du Sénégal pour la violation des droits de Khalifa
Sall, ancien maire de Dakar et prétendant à l’élection présidentielle
de 2019, dans son procès pour détournement de fonds. Face à la crise
politique que traverse le pays actuellement, les Nations Unies ont quant
à elles appelé « tous les acteurs à la retenue et au calme ». Mais de
simples déclarations ne suffisent plus face à l’ampleur de la
répression. Comme l’exhorte Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty
International Sénégal : « L’usage excessif de la force, et un usage
contraire aux normes internationales des armes létales et le recours aux
milices privées seraient inacceptables. […] Toute personne mise en
cause, civile ou militaire, fera face à la justice. Au Sénégal ou devant
des juridictions internationales ».