Sommet du G5 Sahel: Barkhane à la croisée des chemins
La France et ses partenaires du G5 Sahel se retrouvent lundi et mardi à Ndjamena, un an après le sommet de Pau. Invoquant des raisons sanitaires, le président Emmanuel Macron ne se rendra pas physiquement au Tchad mais participera par visioconférence. Ce sommet sera l’occasion de faire le bilan de la situation sécuritaire au Sahel, l’évolution du format de la force Barkhane pourrait être évoquée, et Paris appelle également ses partenaires sahéliens à un sursaut diplomatique et politique.
Il
y a quelques semaines encore, fort des résultats obtenus par Barkhane
face à l’État islamique au grand Sahara (EIGS), désigné ennemi numéro
un, tout convergeait vers une réduction de l’empreinte militaire
française. Le renfort de 600 soldats, décidé l’an dernier, a permis
d’affaiblir l’EIGS, notamment dans la zone des « trois frontières ». Le
partenariat militaire opérationnel, qui combine sur le terrain soldats
français et maliens fonctionne. La mise en place l’an dernier d’un
état-major conjoint à Niamey porte également ses fruits, avec Barkhane
comme courroie d’entraînement, épaulant les armées sahéliennes,
elles-mêmes appuyées par la force conjointe du général Namata : les
manœuvres s’enchaînent, les victoires aussi.
Plus à l’Ouest, dans le Gourma, la situation est en revanche bien
plus critique. Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) apparaît désormais
comme la nouvelle menace. Ses katibas sont très agressives, très
structurées s’inquiète le général Conruyt, commandant de la force
Barkhane. Dans ces conditions, réduire les troupes n’apparaît plus très
opportun.
« Le « surge », les effectifs supplémentaires qui avaient été décidés
dans le cadre du sommet de Pau, a permis à Barkhane de gagner de la
liberté d’action, de pouvoir créer davantage d’incertitude,
d’imprévisibilité sur nos adversaires, souligne le général Conruyt. On
l’a bien vu dans l’opération Bourrasque en particulier [opération
conjointe menée dans le Liptako à l’automne dernier, NDLR], quand vous
êtes capable de créer cette incertitude et cette imprévisibilité sur
l’adversaire, vous obtenez des résultats. Plus vous êtes nombreux, plus
vous pouvez enchaîner les opérations, plus vous pouvez maintenir la
pression sur l’adversaire. C’est là qu’il fait des fautes, c’est là que
les forces morales de ses combattants l’abandonnent. Ce « surge » nous a
permis d’aller jusqu’au bout des zones refuges de l’EIGS et c’est
probablement grâce à ça que la mise en place de la force européenne
Takuba, peut s’opérer dans les meilleures conditions dans le Liptako. »
Surtout, la France redoute l’extension de cette nébuleuse terroriste
en direction des pays du golfe de Guinée. Les ordinateurs saisis en juin
dernier lors de la neutralisation d’Abdelmalek Droukdal, l’émir d’Aqmi,
font apparaître, souligne le ministère des Armées, un projet régional
très abouti. À telle enseigne que Paris, désigne aujourd’hui clairement
pour cible les chefs des katibas affilées à Al-Qaïda : à l’instar de
Iyad Ag Ghali et son Rassemblement pour la victoire de l’islam et des
musulmans (RVIM) ainsi que son condisciple Amadou Koufa, chef de la
Katiba Macina, qui agit dans le centre du Mali.
Paris exhorte à un sursaut politique
Au-delà des victoires militaires, la diplomatie française estime que
l’action militaire doit désormais produire des effets politiques. Si le
sommet de Pau, il y a un an, a été celui du sursaut militaire, celui de
Ndjamena, ce lundi, sera celui du sursaut diplomatique, politique et du
développement.
Ce message sera porté par Emmanuel Macron. Et en ce sens, il y a
quelques jours au Sénat, son chef de la diplomatie Jean-Yves Le Drian
soulignait son attachement aux accords politiques d’Alger de 2015 sur la
paix au Mali : « L’accord d’Alger a permis le cadre dans lequel on peut
avancer politiquement maintenant. Le problème c’est qu’il n’y a jamais
eu la volonté de le faire aboutir, c’est ça la difficulté ! Maintenant,
il faut passer aux actes. Mais cette interpellation, elle vaut pour ceux
qui siègent au comité de suivi des accords d’Alger et en particulier
les acteurs de la zone et singulièrement les acteurs du Mali. »
Le nord du Mali et son impasse politique avec les Touaregs de
l’Azaouad et sur lequel se concentrent les accords d’Alger ne sont
pourtant qu’une partie de l’équation rappelle Niagalé Bagayoko,
politologue : « L’épicentre de cette crise se situe au centre du Mali,
qui n’est pas pris en considération par l’accord d’Alger et cette crise
s’est étendue aux pays voisins, en l’occurrence au Burkina Faso, au
Niger et l’on voit des poussées en direction du Sénégal, voire de la
Côte d’Ivoire, du Bénin, des pays côtiers », rappelle-t-elle.
L’objectif du sommet de Ndjamena est donc de remettre la politique au cœur du règlement de la crise : accélérer le retour des États, freiner durablement l’expansion jihadiste et ainsi permettre à terme un allégement du dispositif français au Sahel.