[HOMME DE L’ANNÉE 2020] Pr. Moussa Seydi : Dompteur de virus
Guidé
par sa passion, droit dans ses convictions, Pr. Moussa Seydi ne mâche
pas ses mots quand il s’agit de faire la situation. Patron de la prise
en charge des malades de Covid-19, ce chasseur de virus est devenu une
star… malgré lui.
L’homme
n’est certainement pas un poids lourd. Mais malgré sa silhouette
filiforme, il a du volume sur le plan scientifique. Et depuis mars 2020,
son nom est désormais définitivement entré dans l’histoire de la
médecine au Sénégal. Chef du Service des maladies infectieuses et
tropicales de Fann et patron de la prise en charge médicale des malades
de Covid-19, Pr. Moussa Seydi est une personnalité respectée au Sénégal.
C’est cette sommité-là qui a été désignée par Seneweb Homme de l’année
2020 pour son rôle déterminant et son courage dans le combat contre la
pandémie.
Mais
à travers Pr. Seydi, c’est surtout un hommage à ces milliers de
Sénégalais qui se sont battus nuit et jour, affrontant un virus mortel
souvent au péril de leur vie pour sauver celles de leurs compatriotes :
médecins, infirmiers, aides-soignants, ambulanciers, brancardiers,
techniciens de surface, forces de l’ordre. Bref, tous ces héros anonymes
qui ont permis au Sénégal de limiter la propagation du virus et ses
conséquences.
Cette
reconnaissance vise également à récompenser la compétence et le
courage. En effet, face à la gravité de la situation, Pr. Seydi a
rapidement propulsé l’hydroxychloroquine comme un médicament pour guérir
la Covid-19, s’inspirant du médecin français Didier Raoult. Et malgré
les pressions de l’industrie pharmaceutique, l’opération de
discréditation à travers les médias et les atermoiements de l’Oms, Seydi
s’est accroché à sa vérité empirique. Pas question de céder. Au
contraire, d’une voix aiguë et d’un débit assez lent, l’homme aux
cheveux poivre-sel livre ses statistiques jugées encourageantes. Sa
détermination lui permet de gagner le soutien déterminant des autorités
sénégalaises.
Après
une première apparition assez brève sous les projecteurs, en 2014, avec
la maladie à virus hémorragique Ébola, Pr. Seydi fait sa grande entrée
en scène en mars 2020 avec l’irruption du Sars-Cov-2 au Sénégal. Une
actualité qui le propulse devant les caméras…malgré lui.
« S’il avait le choix… »
Sombre
dans son habillement, les yeux derrières des lunettes transparentes,
l’enfant de Kolda est, en fait, un homme de l’ombre. Il aurait sans
doute choisi de rester dans le confortable et exaltant anonymat des
laboratoires scientifiques. Mais enfin ! « Ce que vous êtes en train de
faire sur lui, c’est ce qu’il déteste le plus. S’il avait le choix, on
ne parlerait pas de lui dans les médias », souligne un membre de sa
famille qui, de surcroit, est une confidente. Selon cette source, c’est
l’ampleur de la situation qui a obligé l’infectiologue à sortir de sa
coquille.
Des
propos confirmés par l’attitude du concerné. Sollicité dans le cadre de
ce portrait, l’homme décline gentiment, prenant prétexte la deuxième
vague de Covid-19 qui l’oblige à investir le terrain, mais aussi les
préparatifs de la cérémonie d’inauguration de son service par le chef de
l’Etat Macky Sall. Cette discrétion n’est donc pas feinte, c’est sa
nature. Même face caméra, il a les yeux rivés sur le sol.
Chercheur
émérite, membre de plusieurs associations nationales et internationales
s’occupant d’infections pathologiques, Pr. Seydi est aujourd’hui le
premier à s’étonner de sa notoriété grandissante. « Mais Khadja, la
dernière fois, je suis allé au supermarché, mais là-bas aussi les gens
me reconnaissent », a-t-il confié récemment à sa collaboratrice, Dr
Khadja Diallo, patronne du Centre de traitement des épidémies (Cte) de
Fann.
Malgré
ce trait de caractère, il reste un homme ferme dans ses convictions.
Avec ou sans lumière, ce médecin de la promotion 93 du concours
d’internat des hôpitaux ne mâche pas ses mots quand il s’agit de dire ce
qu’il pense. Peu importe si ça peut déplaire, y compris à un ministre
de la République dans un pays comme le Sénégal. En tournée à Ziguinchor,
le 24 avril, le spécialiste regrette que le service de réanimation ne
soit pas fonctionnel, en plus d’être mal construit. « Quand on gère ce
gendre de maladie, on doit prévoir le pire », lance-t-il devant les
micros.
Un
tel discours d’un fonctionnaire à l’endroit des autorités politiques,
c’est presque casus belli. Et pour quelqu’un comme lui qui connait bien
les réalités de l’administration sénégalaise, on ne peut pas dire qu’il
ignorait les risques encourus.
D’ailleurs,
la réplique n’a pas tardé du côté du ministère. En plus de dénoncer le
modus operandi, Diouf Sarr et ses hommes tentent de l’écarter du centre
de décision, au point de susciter un mouvement de solidarité presque
national en sa faveur.
Quelque
mois après, l’on se rend compte que cette velléité de sanction à son
encontre n’a rien changé de son attitude. En effet, avec cette deuxième
vague de Covid-19 au Sénégal, quand Seydi a estimé à nouveau que le
ministère de la Santé met trop de temps à prendre les bonnes décisions,
il l’a dit haut et fort. « Nous sommes un peu lents dans notre réaction
par rapport à la mise à disposition des centres de traitement des
épidémies, au recrutement du personnel qui doit faire marcher ces
centres de traitement, mais surtout de réanimation », regrette-t-il dans
un entretien publié le 23 décembre dans le journal Le Quotidien.
La passion comme boussole
Né
à Kaffrine, Seydi a grandi dans le Saloum entre Koungheul et Kaolack,
au gré des affectations de son père Samba Seydi, agent de la médecine
vétérinaire. Au lycée Gaston Berger de Kaolack (actuel Valdiodio
Ndiaye), l’élève fait montre d’un grand amour pour les matières
scientifiques. « C’est quelqu’un qui aimait bien les sciences naturelles.
En classe, il participait, mais il participait plus aux cours de
sciences naturelles », se souvient Dr Tall, ancien camarade et ami de
plus de 40 ans.Le
bac en poche, il dépose sa valise à l’Université Cheikh Anta Diop.
D’après ses proches, Moussa Seydi a toujours été un étudiant concentré
dans les études. Il se donnait peu de liberté. « A l’université, il
n’avait que 3 lieux de fréquentation : l’amphithéâtre, la mosquée et le
restaurant », témoigne Dr Tall.
Le
pensionnaire de la faculté de médecine était tellement studieux qu’il
se départait rarement de ses cours, y compris en dehors de l’espace
universitaire. « Quand il venait en week-end, il avait toujours ses
leçons entre les mains. Durant nos discussions, quand j’avais la parole,
lui avait les yeux sur ses notes », se rappelle une dame chez qui elle
logeait et avec qui il a d’étroites relations.
Cette
concentration fait également de lui un homme qui déteste être dérangé
dans ses activités. Son ami Dr Tall le sait. Mais il lui arrive de
prendre un malin plaisir à outrepasser cette ligne rouge. « Un jour, je
suis allé à son bureau, j’ai vu qu’il est écrit : tapez une fois, je
vous entends. J’ai tapé 3 fois, il a ouvert brusquement la porte, quand
il m’a vu, il a dit : je savais que c’est quelqu’un qui me connait »,
s’esclaffe Tall.
En
fait, l’homme est un passionné. Contrairement à beaucoup de médecins,
il n’est pas guidé par l’avoir. Si l’on en croit Dr Khadja Diallo, on ne
voit jamais Pr. Seydi dans des cliniques privées, à la recherche d’une
enveloppe additionnelle sur ses revenus mensuels. « Il est assidu au
boulot. Il m’arrive de quitter vers 20h-21h, et de voir que son véhicule
est toujours là », témoigne Dr Khadja Diallo.
« C’est quelqu’un qui vous parle sans prendre de gant »
Dans
les moments les plus critiques, il n’a pas hésité à mettre son
équipement de protection individuelle pour entrer dans la salle
d’hospitalisation des malades au Cte de Fann pour constater lui-même la
situation. Là où beaucoup se seraient contentés d’un compte rendu du
chef de service.
Une
philosophie de vie qui ne date pas d’aujourd’hui. Dr Tall se souvient
encore qu’après le bac, lorsqu’il a opté pour la pharmacie, Seydi n’a
pas manqué de le taquiner sur son choix : « tu as toujours été intéressé
par le business, c’est pourquoi tu es allé faire pharmacie ».
C’est
sans doute cette vision qui fait son côté intransigeant. Car malgré
l’ouverture et le caractère sociable du Professeur, il reste un homme
ferme dans ses décisions. Certes, il consulte toujours ses
collaborateurs, il met toujours en avant l’esprit de dialogue. Mais
quand vient le moment de trancher, il est sans état d’âme. « Il ne mâche
pas ses mots, c’est quelqu’un qui vous parle sans prendre de gant. Comme
on le dit chez nous, il ne fait pas de masla », confie Dr Khadja Diallo,
selon qui Seydi est toujours zen quelle que soit la situation.
Adepte
du sport, pratiquant des arts martiaux (jusqu’à maintenant), Moussa
Seydi est aussi peint en homme attaché à sa famille. Il rend visite
régulièrement à ses parents établis à Kolda. Il est aussi un croyant qui
a une observance assez rigoureuse de sa religion, l’islam.
Mais
s’il y a une chose que le grand public retiendra de lui au-delà de sa
compétence, c’est sans doute son courage et sa détermination contre
vents et marées. Et ni l’Oms, ni l’industrie pharmaceutique encore moins
le ministère de la Santé du Sénégal ne diront le contraire.