Victimes de racisme… : Les «Lions» racontent leur mésaventure
Avant Pierre Achile Webo et le geste héroïque de Demba Ba, des joueurs internationaux sénégalais ont aussi vécu le racisme. Ils racontent leur mésaventure.
L’image
a fait le tour du monde. À la 14e minute du match entre le Paris
Saint-Germain et Basaksehir, mardi en Ligue des champions, un
attroupement s’est subitement formé au bord de la pelouse. A l’origine,
l’ancien attaquant international camerounais Pierre Achile Webo,
entraîneur adjoint du club turc, accusait le 4e arbitre d’avoir proféré
des propos racistes à son encontre. Au milieu de cette foule et des
stars qui illuminaient le Parc des Princes, Demba Ba s’est illustré. Le
ton ferme et les gestes à l’appui, il s’est adressé avec véhémence à
l’officiel roumain. «En parlant d’un joueur blanc, tu dis ‘‘this guy’’
et non ‘‘this white guy’’ donc pourquoi tu dis ‘‘this black guy’’ pour
parler d’un joueur noir ?» Très remonté mais calme, il a demandé à ses
coéquipiers de rentrer au vestiaire. Avec le soutien des joueurs
parisiens, Neymar et Mbappé en tête, le match ne reprendra pas.
Interrompue, la rencontre a été finalement jouée hier, avec la victoire
du Psg (5-1) lors de la dernière journée de la phase de poule de la
compétition européenne. Un geste fort des deux équipes et de
l’avant-centre international sénégalais de 35 ans (22 sélections, 4
buts) qui marque une première dans le football, voire le sport mondial.
Mais avant mardi et le geste courageux de Demba Ba, d’autres joueurs
sénégalais ont vécu le racisme.
Ferdinand Coly, le choc à Pérouse : «Je me transcendais pour leur montrer que c’est ce petit «negro» qui vous fait la misère»
En 2004, Ferdinand Coly quittait le Racing Club de Lens et le
championnat de France pour déposer ses baluchons à Pérouse. Un transfert
avec l’objectif de passer un cap dans sa carrière en Serie A. Mais avec
la formation du centre de l’Italie, l’ancien arrière-droit de l’Équipe
nationale (48 sélections) va découvrir le racisme. Lors d’un match
contre l’Hellas Vérone. Aujourd’hui encore, il s’en souvient comme si
c’était hier : «C’était lors de la saison 2003-2004. C’était un moment
spécial parce que c’était la première fois qu’un club a été suspendu
pour des cris racistes. Il y avait la mobilisation de toute l’Italie par
rapport à cet évènement. Je me rappelle encore qu’à Pérouse, toute la
ville était décorée en noir et blanc. J’étais en poster dans toute la
ville. Le plus beau, j’ai eu la chance d’avoir un grand portrait affiché
à l’entrée de l’aéroport avec l’écriture en italien : ‘‘Siamo tutti
Coly’’ (nous sommes tous Coly).»
Touché mais porté par son «orgueil», l’ancien joueur de Parme avait
fait fi des moqueries du public. «C’était une source de motivation parce
que plus ils me sifflaient, plus je jouais bien. Je me transcendais
pour leur montrer que c’est ce petit «negro» qui vous fait la misère. Je
découpais tout ce qui passait. (Rire). C’était un match d’orgueil.
C’était un moment fort. Sur le banc, c’était tendu. Quand on atteint la
dignité humaine, c’est difficile à gérer et tout le monde ne peut pas
réagir pareil. J’étais sorti fier parce que mes coéquipiers s’étaient
mobilisés, de même que la fédération et toute l’Italie, parce que
c’était un match retransmis en grande audience. Cela choquait tout le
monde. Ce serait intéressant d’avoir le témoignage de Pape Waïgo Ndiaye,
parce qu’il jouait à Vérone, moi à Pérouse et il était sur mon côté. Je
pensais que les sifflets étaient pour moi, mais non. Ses propres
supporters le sifflaient. C’était ridicule.»
PAPE WAÏGO NDIAYE : «J’ai été sifflé par mes propres supporters qui me lançaient des cris quand je marquais»
«Ferdinand a pété les plombs, raconte Pape Waïgo Ndiaye. Je lui ai
dit : ‘‘Grand, si tu te comportes comme ça, tu leur donnes de
l’importance. On va leur donner une leçon de vie. Continue ton match,
concentre-toi, on s’embrasse et on s’échange nos maillots à la fin pour
leur montrer que nous sommes des gens civilisés.’’ Ce geste a fait le
tour de l’Italie. Du négatif, on a fait du positif.» Avec 229 matches
officiels disputés en Italie où il passé dix ans, l’ancien ailier droit
des ‘‘Lions’’ (15 sélections, 1 but) reconverti latéral, a affronté la
réalité à «La botte» (surnom de l’Italie à cause de sa forme
géographique). «Je suis le seul Noir à avoir joué pour le club le plus
raciste d’Italie, Hellas Vérone (nord-est de l’Italie). Il n’y a pas un
seul Noir qui y a joué pendant deux semaines, j’y suis resté trois ans.
J’ai été sifflé par mes propres supporters qui me lançaient des cris
quand je marquais. Si je n’étais pas fort mentalement, j’allais prendre
mes bagages, rentrer en Afrique et ma carrière s’arrêterait à cause de
personnes que je ne connais pas.»
Avec quatre pays (Italie, Angleterre, Arabie Saoudite, Émirats arabes
unis), l’ancien joueur de Southampton a connu la discrimination
raciale. «90% des joueurs ont vécu le racisme et il y a différentes
manières : le regard, le comportement, la façon de parler, le geste et
les mots, confie-t-il. Tout dépend de comment on réagit et perçoit les
cris. J’ai été traité de tous les noms d’oiseaux, mais en tant que
joueur, j’avais un esprit de dépassement. Je me disais qu’ils n’étaient
pas des gens racistes, mais ignorants. Pour moi, le racisme n’existe
pas, c’est de l’ignorance. Partout dans le monde, il y a des Noirs et
des Blancs ignorants. S’ils voient que tu es Noir, footballeur et gagne
de l’argent et qu’ils ne peuvent pas le supporter, c’est peut-être leur
manière de protester. Mais quelqu’un qui le fait juste parce qu’il ne
t’aime pas, c’est un autre domaine. Chacun a sa propre lecture des
choses.»
Impuissant devant tant de haine, le natif de Saint-Louis a décidé de
«vivre avec», mais à «(sa) manière». «Il ne faut pas rentrer dans ce
jeu. J’avais ma carrière et ma famille à gérer. C’est comme en Afrique,
il y a des gens bien éduqués ou mal éduqués et il faut vivre. A chaque
fois qu’un joueur me traitait de ‘sale noir’, je savais qu’il était
fatigué et voulais me déstabiliser. Il voulait que je lui donne un coup
de poing pour prendre un carton rouge, mais je ne répondais pas. S’il
s’agissait de joueurs, je savais que j’étais en train de faire mal et si
c’étaient des supporters, je me disait que ce sont des gens frustrés de
voir un Noir qui gagne plus qu’eux. Je ne le dis pas pour justifier
leur façon de faire, mais c’était ma manière de vivre la situation. Si
on n’est pas fort mentalement, on est mort. J’étais un joueur
professionnel et me focalisais sur mon travail. Je viens de loin. J’ai
souffert et traversé des moments très difficiles dans ma vie pour
atteindre mon objectif, ce ne sont pas de petits sifflets ou des cris de
singe qui allaient m’arrêter.» Pape Waïgo est conforté dans sa position
par un constat : «Tous les joueurs qui ont été victimes de racisme et
ont manifesté, la plupart ne sont plus dans les clubs».
«Tous ceux qui ont fait arrêter un match ou un truc du genre, l’ont
payé de leur carrière, fait-il remarquer. Tout le monde n’est pas
pareil, chacun a sa manière de digérer les choses. Il y a des joueurs
qui ont vécu pire, mais ils ont un esprit de dépassement et c’est le
plus important. Il faut se focaliser sur son travail et ne pas rentrer
dans cette polémique. Quand on est un ou deux Noirs dans un club et que
cela risque d’amener une mauvaise image, on préfère se séparer du
joueur. Les autres clubs peuvent aussi ne pas te prendre et cela peut
nuire à la carrière d’un joueur. Certains joueurs qui parlent
aujourd’hui ont fini leur carrière ou sont à la fin, mais ce n’est pas
la bonne solution pour aider les jeunes en arrêtant les matches. Si on
fait le boycott total, d’accord, mais tout le monde ne peut pas le
faire. Sur ce qui est arrivé hier (mardi), ce n’est pas Demba Ba qui a
été visé, mais tout est allé vers lui, alors qu’il parlait seulement
pour défendre l’autre (Webo). C’est sensible. C’est une bataille
vraiment très difficile.»
PAPE KOULY DIOP : «C’était devant ma fille et ma femme»
Ces dernières années, d’autres internationaux sénégalais, dont Famara
Diédhiou, Kalidou Koulibaly et récemment Mbaye Diagne ont aussi été
victimes de racisme. En mai 2014, quand les supporters de l’Atlético
Madrid ont proféré à son encontre des cris de singe, Pape Kouly Diop
avait répondu ironiquement en se mettant à danser avec des gestes
simiesques. Cette époque douloureuse, il en parle avec détachement à
L’Obs dans son édition du jeudi 16 juillet 2020. «Si j’étais en
Angleterre ou ailleurs, j’aurais pu vivre cela. En Europe, on n’est
jamais à l’abri du racisme. J’avais déjà vécu cela auparavant, mais ce
n’était pas aussi blessant. Parce que c’était devant notre public (à
Levante), dans mon stade, devant ma fille et ma femme. Cela m’a fait
réagir. Finalement, la Liga m’a présenté ses excuses, le président de
l’Atlético Madrid aussi et les supporters (fautifs) ont été
sanctionnés.»
MOUSSA KONATE : «Mes propres coéquipiers me traitaient de sale singe»
En 2011, Moussa Konaté dépose ses malles à Maccabi Tel Aviv, en
Israël. Dans ce gouffre perdu du Moyen Orient, le Sénégalais attire la
lumière et les conséquences qui vont avec. Sa réussite sur le terrain ne
fait pas que des heureux. Des étoiles du club, jalouses sous les
lampions de ses performances, veulent l’écraser de façon peu orthodoxe.
Il avait raconté sa mésaventure à L’Obs dans l’édition du 26 janvier
2018. «Mes propres coéquipiers me traitaient de sale singe, se
remémore-t-il. Parce que tout simplement, je commençais à leur faire
ombrage, alors qu’ils étaient les vedettes de l’équipe. Ils étaient
deux, voire trois. Le vestiaire était au courant, ça a failli même
s’étaler sur la place publique». L’affaire, étouffée dans l’œuf, ne
noircira pas les pages des journaux. Les dirigeants, flairant très tôt
le caractère trempé de l’homme qui se cachait derrière son image de
garçon bien élevé, ont pris le taureau par les cornes. «Ils savaient que
je n’allais pas me laisser faire, parce que je suis déjà allé leur (les
coéquipiers racistes) parler d’homme à homme. A l’époque, j’étais jeune
(18 ans) et découvrais pour la première fois le monde professionnel,
mais j’ai agi comme un grand.» Tel le géant qu’il est (1,89m), Demba Ba a
aussi réagi comme un titan pour dénoncer le mal.
Eux aussi ont été victimes de racisme
Kalidou Koulibaly a été victime de cris
racistes pendant le match entre l’AS Rome et Naples en 2019. Le match a
été interrompu pendant quelques minutes. Le joueur de Naples est
régulièrement ciblé pour sa couleur de peau en Italie. Le défenseur sénégalais est régulièrement pris pour cible depuis quelques années en Serie A.
Famara Diédhiou : Le samedi 18 juillet 2020,
l’attaquant sénégalais de Bristol City, Famara Diedhiou, a partagé sur
Twitter la capture d’écran d’un message reçu où apparaissent trois
bananes. Le pseudo supporter l’a envoyé peu après son pénalty manqué
lors du match perdu de son équipe contre Swansea, en Championship (D2
anglaise). Le club de Bristol City, qui n’a plus rien à jouer en
championnat, a très vite réagi sur le réseau social en qualifiant ce
comportement de « dégoûtants ».
Mbaye Diagne : Auteur d’un triplé samedi dernier face au Rizespor, Mbaye Diagne a été victime d’injures racistes de la part d’Emre Bol, consultant de sport en Turquie. “Mbaye Diagne ? Il vient du Sénégal. Il mangeait probablement du crocodile et on ne sait même pas s’il a été à l’école ou pas”, a lancé l’ancien footballeur turc en direct sur la chaîne ‘A Spor’. L’attaquant sénégalais, Mbaye Diagne, à travers un Live Instagram avec Taggat SN, repris par wiwsport, s’est prononcé sur le sujet. «Je n’étais pas au courant jusqu’à ce que notre staff m’en informe et me demande de ne pas me prononcer publiquement. En vrai ces propos m’ont fait rire. Comment une personne peut penser à cela. Il a présenté ses excuses mais j’ai clairement dit au club que je ne le pardonne pas. Je déteste le racisme.»