L’Etat déclenche l’audit des couts pétroliers: Les Grands enjeux de la délicate opération
En 2004, la République du Congo avait engagé des cabinets d’audit
pour contrôler les coûts pétroliers sur 9 permis détenus par ENI et
Total. Les contrôles ont révélé que les coûts présentés avaient été
surévalués de 127 millions de dollars. En 2016, la Cour des comptes de
l’Ouganda avait refusé 80,5 millions de dollars de coûts pétroliers au
motif qu’ils n’étaient pas conformes. Des scenarii de ce genre sont très
fréquents dans le monde du pétrole et font perdre beaucoup d’argent aux
pays pétroliers, surtout sur le continent africain.
Ficadec le cabinet choisi
Au Sénégal, l’Etat a lancé depuis plusieurs mois, l’appel d’offres
international pour le recrutement d’un cabinet d’experts en audit des
coûts et dépenses liés à l’exploration, au développement et à
l’exploitation des blocs pétroliers et gaziers. L’objectif: conseiller
l’Etat, faire l’audit des dépenses réalisées dans l’exécution des
contrats pétroliers, particulièrement pour les blocs où se trouvent les
découvertes d’hydrocarbures. A savoir : Sangomar et Grand tortue
Ahmeyim (GTA).
Le Consultant devra vérifier les coûts de la phase d’exploration, les
comparer à des projets analogues et voir les coûts qui sont
récupérables au titre des coûts pétroliers et ceux qui ne le sont pas.
Ainsi, depuis juillet 2019, l’Etat cherche le cabinet idéal. Six
s’étaient présentés. Il s’agit d’Era Baker Tilly, Exco Afrique, Mrc
Group, Mazars Experts Conseils, Exci-Maa, Ficadec et Price Water House
Cooper. Et c’est Ficadec qui a décroché la timbale. Era Baker a contesté
l’attribution provisoire. Mais l’enjeu se trouve ailleurs.
L’enjeu capital de l’audit des coûts pétroliers
«Pour les coûts pétroliers, la société doit prouver que les
investissements qu’il a réalisés reflètent la réalité. Si elle met des
coûts qui n’ont jamais été réalités, cela gonfle les charges. Et le
bénéfice est réduit. L’intérêt, c’est de vérifier pour voir si ce que la
société a déclaré reflète la réalité», explique Idrissa Bodian, ancien
cadre de Petrosen, aujourd’hui consultant dans le domaine pétrolier.
Il explique que parfois, la compagnie peut déclarer qu’elle a réalisé
un forage ou un puits «qui a coûté 80 millions de dollars, alors que
celui-ci n’a pas été réalisé». Si l’audit n’est pas fait, les 80
millions de dollars sont pris comme charges. Et donc, «Cela gonfle les
charges, réduit les bénéfices et réduit par conséquent la part à
partager entre l’Etat et la société.»
Par exemple, dans les cas du Congo et de l’Ouganda, les inspecteurs
ont constaté que des compagnies pétrolières et gazières avaient
surestimé leurs coûts pour un montant de 127 millions de dollars. Ce qui
correspondait à des pertes conséquentes de recettes, renseigne Oxfam
dans une de ses publications sur la question, en novembre 2018. Ce
scénario est redouté par tous les Etats pétroliers. Et le Sénégal ne
veut certainement pas connaitre ce sort.
«Des millions de dollars peuvent leur échapper»
Pour avoir une idée de ce que représentent la manne pétrolière que
peut perdre le pays si jamais les coûts pétroliers étaient gonflés au
Sénégal, il faut jeter un coup d’œil sur le contrat de recherche et de
partage concernant le gisement gazier de Grand Tortue Ahmeyim. Le texte
dispose que quand la commercialisation du gaz sera lancée, «Le
contractant aura le droit de recevoir, chaque année civile, en vue du
recouvrement de ses coûts pétroliers, une partie maximale de 75% de la
production totale commerciale».
C’est-à-dire que 75% de la production de gaz est affecté au
remboursement des coûts pétroliers. Et cela n’a rien à voir avec la part
qui reviendra aux compagnies qui se partageront avec l’Etat les 25%
restants. Ce qui prouve à suffisance l’importance liée à l’audit des
coûts pétroliers. Car, si les compagnies gonflent leurs charges, c’est
la part sénégalaise qui pourrait s’en ressentir.
«Aujourd’hui, les pays producteurs de pétrole doivent s’assurer qu’ils conservent une part pertinente de la valeur de leur pétrole et de leur gaz pour atteindre leurs objectifs de mobilisation de ressources intérieures, faute de quoi des millions de dollars peuvent leur échapper», souligne Oxfam. Le gouvernement du Sénégal est bien prévenu.